En
2012, qui se rappelle encore d’
Aeternus, glorieux combo de death black norvégien ayant sorti deux superbes albums dans les années 90, mais resté relativement anonyme car éclipsé par le succès retentissant de nombre de leurs confrères norvégiens? Aujourd’hui encore, le groupe continue son bonhomme de chemin, continuant à se fendre d’albums dans les années 2000 dans une certaine indifférence, mais si
Aeternus ne révolutionne pas le monde du metal avec ses réalisations les plus récentes, on ne peut pas en dire autant des deux perles que sont ses premiers albums et qui ont eu une influence indéniable sur une partie de la scène pagan black. Après un
Beyond the Wandering Moon très réussi, mais plus classique dans son approche d’un black païen épique et rugueux, voici qu’arrive en cette année 1998 le bien nommé
And So The
Night Become, véritable pépite noire et majestueuse aux contours plus rugueux que son prédécesseur.
C’est There No Wine Like the
Blood’s Crimson, majestueuse pièce de plus de 13 minutes, qui se charge de débuter les hostilités par une intro très sombre et épique aux sonorités résolument black, nous plongeant dans une ambiance mystique et horrifique. Des claviers fantomatiques épousent des notes de piano graves et dramatiques, puis arrive la voix d’
Ares, terrifiante, grave et haineuse, qui domine de ses éructations death impérieuses d’autres plaintes, apeurées et désespérées, des chants liturgiques, ainsi que des chuchotements mystérieux. Lorsque résonnent les percussions tribales dès 3min20, s’emballant progressivement en une sorte de transe religieuse, le doute n’est plus permis: on assiste, autant révulsé que fasciné, nos yeux ne pouvant se détourner de ce spectacle sanglant et hypnotique, à un rituel païen sacrificiel macabre et sauvage. S’ensuit un moment de silence, lourd de mauvais présages, et l’instrumentation metal déboule furieusement, confirmant nos pires craintes: tout d'abord une batterie guerrière qui tape sans discontinuer, martelant tout du long avec furie ce même rythme hypnotique et puissant, très martial, puis des guitares très graves et lourdes, qui nous servent un riff morbide et sombre, roulant sournoisement sur plusieurs minutes pour mieux partir à l‘assaut de notre âme, cherchant à nous faire insidieusement basculer du côté de l‘art noir... Et, pour parachever le tout, cette voix rauque et possédée, terriblement grave, véritable maître de cette cérémonie macabre, qui enveloppe le tout d’une aura sépulcrale et d’une ambiance mortifère à vous coller des frissons, vous envoûtant littéralement, et achevant de vous entraîner dans les abysses insondables d‘
Aeternus... Non, on ne nage pas dans la joie, et cette première pièce est terriblement sombre et glauque.
La mélopée connaîtra quelques changements de rythme, les guitares cracheront différents riffs à la face du monde bien pensant (avec, notamment, à 10min03, ce riff sublime très typé black à la mélancolie et à la majesté contagieuses), les éructations d’Arès subiront quelques modulations le long de cette immense fresque épique, muant parfois en hurlements black, mais le tout forme un bloc terriblement homogène et consistant, une musique solide, lourde et massive, très puissante, mais qui n’oublie pas pour autant de miser sur les émotions en développant un côté épique très prononcé.
Vient ensuite As I March, qui débute sur un riff plus posé et aéré, à forts relents païens, laissant un peu respirer l’auditeur, mais l’accalmie est de courte durée, car quand la batterie commence à blaster sur ce riff glacé et typiquement black, on replonge immédiatement dans des ténèbres envoûtantes à la beauté irrésistible. En fait, le titre varie continuellement entre lourdeur suffocante et proprement terrifiante, et passages plus lumineux et apaisés pour un résultat toujours très épique et majestueux, et cela se constate sur tout l’album: la fureur de There No Wine Like the
Blood’s Crimson, la magnifique intro acoustique de
Warriors of the
Crescent Moon, l’hymne guerrier qu’est Blodsverging, When The Crow’s
Shadow Falls, qui se pare aussi d’une intro de toute beauté, enchaînant sur un riff monstrueux de puissance appuyé par un blast rageur, et revenant à un mid tempo qui fait la part belle au clavier, Ild Dans est ses chants clairs viking de toute beauté…, tout s’enchaîne sans temps mort avec une cohérence sans faille. On constate qu’au fur et à mesure de la galette, l’ambiance se fait plus calme et moins oppressante, comme si Arès avait éructé toute sa haine lors de la première piste, et que le sacrifice avait repu les divinités assoiffées de sang: après cette cérémonie occulte, tout rentre petit-à-petit dans l’ordre, les éléments s’apaisent, et l’Homme peut reprendre sa place dans ce combat de tous les instants qu’est la Vie, au milieu du climat rude de la nature du Nord. D’ailleurs, l’album se clôt sur une plage entièrement acoustique, touchante de simplicité et de beauté, où les musiciens semblent exprimer par le biais de mélodies celtiques leur amour pour la terre de leurs ancêtres et leur attachement à la nature.
Pour résumer, la musique d'
Aeternus est un habile condensé de plusieurs styles, empruntant la lourdeur et la puissance du death ainsi que ses vocaux abyssaux, le côté occulte et envoûtant ainsi que l‘ambiance noire du black, le tout animé d’une âme violente, fière et païenne à la
Bathory. Globalement, on a affaire à une sorte de death très lourd et mid tempo suintant le mysticisme, aux riffs très gras et hypnotiques, renforcés par une basse bien mise en avant et une double omniprésente, et le tout appuyé par une voix sombre très expressive capable de monter en des plaintes écorchées plus typiquement black. Pour comparer la musique du combo avec celle de formations plus actuelles, on pourrait parler d’un croisement entre
Amon Amarth pour le côté lourd et puissant,
Belenos pour le côté païen omniprésent ainsi que certaines mélodies à consonance celtique et
Taake pour la dimension résolument épique de la musique, le tout dominé par une bonne dose de mélancolie et de noirceur et un côté désolé que n’aurait pas renié
Shining (surtout dans le premier titre). Un art sombre et magique, qui parvient à animer devant les yeux de l’auditeur les fantômes d’un passé glorieux et à ressusciter les légendes et les dieux d’autrefois, une musique prenante et profonde qui parle directement à votre âme, pas spécialement violente, mais très solennelle et animée d’un souffle spirituel palpable, vous ballottant des abysses aux étendues célestes les plus paisibles (la fin sublime de
Warrior of the
Crescent Moon) en passant par la désolation des champs de bataille...
…
And So the
Night Became est une œuvre indispensable à tous les amateurs de musique sombre, païenne et épique, qui fait office à bien des niveaux de précurseur et de modèle d‘un style à part entière. Si vous voulez vous pencher sur les origines d’un mouvement pagan black aujourd’hui largement reconnu, et en exhumer l’une de ses plus anciennes, noires et glorieuses racines, il convient sans faute de se pencher sur cette superbe offrande des Norvégiens, passer à côté serait une véritable hérésie. Vous savez ce qu’il vous reste à faire…
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