Actif entre
1980 et 1986,
Warlord est un groupe à bien des égards étonnant : c'est ce genre de formation maudite qui ne laisse derrière elle qu'un unique véritable album, ratage commercial qui pourtant donnera naissance à un culte aussi fervent que durable chez une poignée de metalheads à travers le monde. Indépendamment de l'incontestable qualité de leurs compositions, il se révèle avec le recul précurseur en bien des domaines.
Tout d'abord, c'est un des premiers groupes à titiller avec bonheur la veine du Heavy
Metal épique. En 1984, il y avait qui à part
Manowar ? OK,
Cirith Ungol et
Manilla Road, mais personne ne les connaissait ;
Virgin Steele, un peu, mais qui restait encore très
Hard Rock.
Heavy Load aussi, mais aux USA, les Suédois ne comptent pas en cette époque pré-internet. Seconde originalité, l'emploi de claviers, souvent utilisés en nappes. Les anciens s'en souviendront, première moitié des 80', les claviers, c'était une excentricité tolérée chez les « vieux » genre Ozzy ou
Dio ; mais que des nouveaux venus débarquent avec ce truc, on les regardait d'un œil torve en les soupçonnant de préparer la prochaine Gay Pride. Enfin, plus anecdotiquement, les musiciens de
Warlord officiaient sous pseudonyme, une pratique assez rare à l'époque et qui ne sera banalisée qu'avec le Black.
Malgré sa brève existence, le groupe californien aura souffert d'une forte instabilité dans son line-up. Les seuls fondateurs à résister sont le guitariste
Destroyer (William J. Tsamis) et le batteur
Thunder Child (Mark Zonder, futur
Fates Warning pendant 15 ans). Quand sort «
And the Cannons of
Destruction Have Begun »,
Archangel (Dave Watry) est le 3e bassiste et
King Damien II (Rick Cunningham) le 2e chanteur, mais il y en aura un 3e avant la fin : leur numérotation (
King Damien I, II et III) donne une impression d'interchangeabilité que confirment les mots très durs avec lesquels Bill Tsamis évoquera ses
King Damien dans une interview de 2001 : une attitude injuste, on verra que
King Damien II est loin de démériter sur cet album. Enfin, une fois n'est pas coutume, une unique claviériste accompagne le groupe entre 81 et 86,
Sentinel (Diane Kornarens).
Ce disque acheté par un pote, je l'avais copié sur une antique K7 qui poussa son champ du cygne en tombant au chant d'honneur, étripée par un vilain lecteur de bagnole. Il y a 2-3 ans, j'achetai une réédition de 2014 qui remplaçait la terne pochette d'origine par la flamboyante peinture du combat naval de Navarin. J'en tirai une double satisfaction : celle de retrouver intacte l'émotion que j'éprouvais à l'écoute de mes titres préférés, mais aussi de découvrir de singulières qualités à ceux que j'avais négligés.
L'aspect épique est à pondérer car il ne prend pas le caractère monolithique d'un «
Hail to England ». En des années plus frustes et brutales, j'avoue avoir eu tendance à m'assoupir après Black
Mass pour ne me réveiller qu'avec les accords farouches et le long hurlement de Child of the Damned. Erreur de jeunesse, car si toute la maestria technique et la richesse d'inspiration du groupe explose en permanence, elle n'en est que mieux rehaussée par les riches nuances des morceaux les plus posés.
Coincé entre deux titres aux allures de monument,
Lost and Lonely Days intrigue un peu, pour ne pas dire qu'il détonne. Oh non qu'il soit mauvais, loin s'en faut, mais il est d'un abord plus classique, entendez plus en accord à ce qui se faisait en Heavy de l'époque ; surtout, sa musique presque enjouée n'est pas raccord avec l'atmosphère de l'album, ni avec les lyrics de cette chanson d'amour déçu que seul vient souligner le chant légèrement troublé de Rick Cunningham. Il reste emblématique du jeu des musiciens : la batterie de chien fou de Zonder, la guitare si précise de Tsamis, bien sèche sur le riffing, envolée et lyrique sur les soli ; et soutenant ces derniers, la basse volubile et caressante de Dave Watry, toute de velouté.
Pourtant fortement charpenté, Aliens est aussi à côté de l'ambiance générale ; rien à redire pourtant à la voix et au jeu des instrumentistes, mais son ton par trop jovial l'aurait plus destiné à un single qu'à ce full length. On trouvera plus en accord avec le reste le court et scintillant instrumental MCMLXXXIV (c'est la misère les chiffres romains quand il y a trop de lettres, je traduis : 1984) ; il m'avait pourtant fait bailler dans le temps. Là où mon souvenir s'est montré le plus injuste, c'est envers le magnifique Soliloquy dont la force tragique et le désespoir à fleur de peau soutenus par des claviers élégiaques m'étaient complètement passés à côté.
Les autres morceaux débordent de pathos, mais affichent un côté plus intimiste et anxieux que chez d'autres orfèvres-forgerons de l'épique, tels
Manowar ou
Manilla Road. On se rapproche plus des meilleurs titres du second album de
Virgin Steele. Au yang velu et agressif des musculeux guerriers new-yorkais vient s'opposer un yin plus intériorisé, tourmenté, délicat, féminin en somme. Attention, j'ai dit féminin, pas efféminé :
Warlord n'a pas l'épaisse brutalité du grizzly, mais la féline et mortelle élégance du léopard.
Rien n'illustre mieux cette opposition que le plus manowarien des titres de «
And the Cannons... », le lourd Black
Mass, dont l'entame arrive à anticiper
Candlemass. La rythmique est implacable, mais le propos reste aéré par les claviers fusant en arrière-plan, et surtout l'émouvante voix d'un impérial Cunningham : le léger manque de puissance de
King Damien II est un faux handicap, il contribue pleinement à l'ambiance qui nimbe tout l'album, cet entre-deux qui mêle une volontariste audace à un sourd désarroi.
C'est cette force fragile qui illumine le formidable opener, précédé par le récitatif crépusculaire de The Beginning : l'angoissante ambiance du furieux
Lucifer's Hammer est emportée par une voix magistrale, une rythmique d'acier et une guitare souveraine. C'est d'apocalypse nucléaire dont il est question : eh oui, les années 80 ne sont pas seulement l'âge d'or du
Metal, elle voient aussi brûler les derniers feux de l’affrontement Est/Ouest ; Reagan emmenait par dizaines ses Pershing II en Europe, les Allemands manifestaient par milliers en scandant « plutôt rouge que mort ». On avait quelques raisons extra-musicales de headbanger comme des fous, genre no future, et c'est à cette aune qu'il faut apprécier l'obsédant « save us from ourselves » de la fin du morceau.
Assez maidenien dans l'esprit, Child of the Damned n'a pourtant rien à voir avec le
Children of the Damned des précités Britanniques. C'est une petite furie speedée emportée par une batterie de dément et une guitare épileptique dans laquelle Cunnigham arrache purement ses tripes.
Hammerfall ne s'y est pas trompé en reprenant ce titre dans son premier album (1997), donnant ainsi un bienvenu coup d'arrosoir dans le pot flétri du souvenir de
Warlord.
Et enfin, le tube. Ou tout au moins ce qui aurait pu (dû?) le devenir. Dans toute radio autre que France Inter, bien sûr, mais force est de convenir que les autres ne se sont pas pressées au portillon. Dans un bouquet final en feu d'artifice,
Deliver Us from
Evil est énorme d'emphatique allégresse et balaie tout le malaise précédemment accumulé. Des claviers flûtés inaugurent le tour de chauffe des instruments et accompagnent en retrait leur essor plein de gloire, sur cet hymne entonné par un
King Damien II enfin libéré de son tourment latent. Et pour parfaire cette conclusion magnifique, Tsamis nous gratifie d'une poignée d'arpèges acoustiques et baroques, fort originalement intitulés
End : titre prémonitoire, hélas.
En effet
Warlord va mourir, fort de cet unique LP, de quelques singles et EP et de remarquées participations aux compilations
Metal Massacre II et III. Usure de l'insuccès accéléré par l'attitude trop rigide de Tsamis face aux compromissions du business... Rick Cunningham disparaît dans les limbes, suivi de près par Dave Watry qui participera avec Tsamis à la démo de l'éphémère projet
Lordian Winds (1986). Diane Kornarens va développer ses propres projets personnels, hors de la sphère du
Metal. Mark Zonder crée un réputé studio de production voué à la batterie et intègre
Fates Warning. Enfin, Tsamis découvre Dieu (cette manie chez les Ricains!), déménage en Floride et fondera avec sa femme l'intéressant groupe
Lordian Guard. Accessoirement, il fait bouillir la marmite en enseignant la philo en fac, comme quoi le
Metal mène à tout.
Tsamis et Zonder reforment
Warlord en 2001, avec Joacim
Cans, de
Hammerfall, au chant. Deux titres d'«
And the Cannons... » sont repris dans leur album de 2002... et c'est la cata.
Lucifer's Hammer est au mieux d'une effroyable platitude, au pire d'un absolu clinquant tandis que
Deliver us, affublé d'une intro ridicule, a perdu toute profondeur et toute intensité dramatique : ce n'est plus qu'un morceau catchy et gentillet. Cela n'en rend que plus indispensable ce bel album de 1984, à l'inimitable saveur et à la fragrance nostalgique.
Ben voilà, tout est dit, je n'ai rien à ajouter à ta brillante description de ce brûlot que j'affectionne particulièrement... ;-)
concernant warlord, le veritable collector est le premier EP "deliver us" qu'un ami du lycée possédait . A la suite de la chanson introductive "deliver us from evil" il y a le titre "winter tears" qui n'est pas repris dans le "faux live" et qui est pour moi, un titre magnifique.
waow je m'attendais pas ç ce qu'autant de personnes aient lu cette chronique d'un groupe underground Ça fait plaisir à voir!
Belle chronique, en effet le groupe a cette beauté dans sa musique qui fait du bien
Troisième réécoute de cet album suite à ta chronique. Je comprends pourquoi je ne l'avais pas régularisé à l'époque, il ne se dévoile pas immédiatement, mais en insistant il a quelque chose d'attachant, loin des standards de 1984, une touche personnelle très intéressante. Merci d'avoir déterré cette galette Jean-Luc, je me l'offrirai à l'occasion !
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