Ataraxie

interview AtaraxieLes jours racourcissent, les arbres se dénudent, les premiers frimas se font pressant, c'est l'automne qui étend sur nous sa chappe de plomb, l'hiver qui nous menace inexorablement. Quoi de mieux en cette morne saison que le doom pour totalement faire corps avec dame Nature ? Voici Ataraxie, leur nouvel album étant dans les bacs depuis peu, il serait judicieux de faire connaissance plus amplement avec ce groupe tout simplement phénoménal. C'est Fred, un des 2 guitaristes, qui a répondu à mes questions en novembre 2005.

Pourrait-on démarrer cet entretien par une présentation d' Ataraxie ? Quand/où/pourquoi avez-vous fondé le groupe ?
Ataraxie est né à Rouen fin 2000, sous l'impulsion de Jonathan, après le split de son groupe précédent de black-metal. Passionné de doom depuis quelques années et regrettant l'absence de groupes dans le style, il a donc décidé de monter son propre groupe. Le magasin Hellion records étant l'épicentre métal de Rouen, c'est en fait là bas que tous les membres se sont rencontrés. Franck, le propriétaire, connaissant nos goûts musicaux respectifs nous a orienté les uns vers les autres, et c'est ainsi que tout a commencé…

Musicalement ce sont les dieux anglais du doom My Dying Bride qui semblent vous avoir marqué au fer rouge. Quels ont été vos premiers contacts avec ce genre ô combien sinistre et grandiose ?
Il est clair de My Dying Bride est un groupe incontournable, leur travail au début des années 90 reste pour moi une référence dans le doom/death. Ceci dit, je considère My Dying Bride que comme l'une de nos influences multiples, des groupes comme Evoken, disEMBOWELMENT, Thergothon, Worship, ou Mournful Congregation pour le doom, BoltThrower ou Morbid Angel pour le death, ont profondément imprimé leur patte sur notre vision de la musique. Pour ma part, le premier groupe de doom que j'ai écouté était Cathedral, puis j'ai découvert My Dying Bride et Evoken. En fait, je suis très vite devenu fan du style, dont j'écoute à peu près tous les sous-styles existants…

Pour les non-initiés, jouer du doom funèbre pourrait donner à penser que vous êtes des personnages dépressifs et ultra tourmentés. Qu'en est-il réellement ?
Là, je crois que je vais briser un mythe… Les doomeux sont dans leur très vaste majorité des gens comme les autres. En fait, une personne qui se promènerait dans les coulisses d'un festival doom serait probablement très surprise de rencontrer une bande de métalleux qui picole et plaisante ensemble, nullement une bande d'autistes en train de préparer des nœuds à une corde solide pour se pendre ! Il faut plutôt prendre notre musique comme une catharsis, l'expression de nos faces sombres en tant qu'individus, appelé à se transfigurer en une musique dont la tristesse fait la beauté. Mais celle-ci reste clairement confinée au local de répétition et à la scène.

Votre dévotion envers le doom-metal dans sa forme la plus pure semble totale avec nullement l'envie de le dénaturer, dans le trip Pantheist en gros. Jamais tentés par de quelconques innovations ?
Notre choix, dès le départ, a été d'orienter la musique d'Ataraxie sur l'efficacité, en puisant nos influences dans l'esprit du doom/death du début des années 90 qui est et reste notre référence principale. Après, nous ne sommes nullement rebutés par "l'innovation", mais évidemment il faut bien s'entendre sur ce que nous désignons par cela. S'il s'agit d'ajouter un passage free-jazz au milieu d'une chanson, je pense que l'on ne nous retrouvera pas sur ce terrain là. Pour nous, innover s'est plutôt traduit par l'introduction du français dans les textes, l'intégration d'éléments venus du doom extrême, comme sur "Another Day of Despondency" ou "l'Ataraxie"… Bref, toute idée qui nous permet de servir l'esprit d'une chanson est la bienvenue, et une fois testée peut se retrouver intégrée dans notre vocabulaire musical.

On ne peut nier que le death-metal ait eu une influence sur votre doom ? Pensez-vous que les 2 styles soient proches ?
Nous sommes tous fans de death-metal old-school, et il me semble que l'influence de groupes comme Bolt Thrower ou Morbid Angel puisse transparaître clairement dans notre musique. En cela, nous ne sommes pas vraiment innovants, puisque le style doom/death foisonne de groupes dont l'approche a été similaire à la notre. Quand aux passerelles entre le doom et le death, elles me semblent assez évidentes quand on écoute des groupes aussi lents, lourds et terrifiants que peuvent l'être Autopsy, disEMBOWELMENT ou Winter… On entend parfois chez Morbid Angel ou Cannibal Corpse des chansons qui mériteraient largement le label doom/death-metal. En fait, selon moi, doom et death ont surtout la lourdeur en commun, le coté écrasant de la musique…

Que pensez-vous de l'usage des violons, des claviers et des vois féminines dans le doom ?
C'est bien un point sur lequel nous sommes tous d'accord au sein d'Ataraxie, c'est que les violons, les claviers et les voix féminines nous sont totalement inutiles, voire affaibliraient notre musique. Pour les violons, leur utilisation a tellement été associé à My Dying Bride que les utiliser vaut à n'importe quel groupe d'être taxé de rip-off de MDB… Par goût, si je devais utiliser un instrument à cordes – et si toutefois notre musique le nécessitait – j'opterais plus pour un violoncelle ou une contrebasse. Concernant les claviers, nous n'avons rien contre eux (on peut en entendre à deux reprise sur "The Other Path"), le problème est qu'ils sont rarement utilisés à bon escient, souvent mal intégrés à l'ensemble, parfois même c'est à se demander si le clavier n'est pas un prétexte pour placer une jolie demoiselle pour décorer la scène
interview Ataraxie ! A contrario, je trouve leur utilisation judicieuse dans des groupes comme Skepticism, Shape of Despair ou Evoken, où leur couleur musicale apporte beaucoup à l'ensemble. Même chose concernant les voix féminines… Dans des groupes comme Funeral ou Unholy, où s'agit d'une composante du son même du groupe aucun souci. Si par contre, il s'agit de suivre l'effet de mode goth-metal parce qu'une chanteuse c'est "romantique", alors le groupe fait fausse route. A ce sujet, il faudrait d'ailleurs souligner les amalgames souvent faits par la presse, le doom est avant tout autre chose qu'une musique romantique !

Pourquoi avoir choisi un label japonais, Weird Truth en l'occurence, pour sortir votre nouvel album ?
Nous avons démarché pas mal de labels une fois l'album enregistré, et il se trouve que la proposition la plus sérieuse nous a été faite par Weird Truth. Nous sommes d'ailleurs très heureux d'avoir signé sur ce label, car il a sorti quantité de groupes qui sont pour nous cultes, comme par exemple Worship ou Mournful Congregation.

Avec qui / où s'est déroulé l'enregistrement de "Slow Transcending Agony" ? Etait-ce une expérience agréable ?
Orientés par notre ami Fred de Thee Plague of Gentleman, ex-membre de Pantheist, nous avons jeté une oreille sur le travail de Kris Belaen du CCR studio, et nous avons été tout simplement conquis par la qualité des productions qui sortaient de chez lui. Nos avons donc cassé notre tirelire et booké le studio pendant 7 jours en août 2004, 5 jours dédiés à l'enregistrement et 2 jours dédiés au mixage. Kris est un type formidable, d'une patience et d'une gentillesse monstrueuse, avec une oreille très pointue. Malgré le peu de temps dont nous disposions, il a très vite su s'imprégner de l'esprit du groupe et ses conseils nous ont aidé à faire sonner l'album d'une manière qui dépasse largement nos espérances d'alors. Le studio a donc été pour nous une expérience très positive, et je considère avoir beaucoup appris malgré les quelques jours que nous y avons passés. Il y a d'ailleurs des techniques que j'ai découvertes là bas que j'ai appliqué par la suite à l'enregistrement de l'album de Wormfood.

Pour ceux qui connaissent "The Other Path", où se situent les différences par rapport au nouvel album ?
Il y a un monde entre les deux albums ! "The Other Path" est autoproduit sur le petit pc que je possédais à l'époque, avec les moyens du bord, et les compositions présentes sur ce disque sont à mon sens le Ataraxie à la recherche de son identité. J'aime encore énormément certaines des compositions de l'album, que nous jouons parfois à l'occasion lors de rappels pour nos concerts, mais elles restent pour moi un instantané d'une certaine période du groupe. Pour "Slow Transcending Agony", on remarquera immédiatement – en plus de la production de Kris Belaen – l'apparition de textes en français, une meilleure intégration des éléments de notre musique entre eux, l'abandon des passages typés black-metal, l'apparition d'influences doom extreme, comme Worship ou Mournful Congregation.


Qui écrit vos textes ? Y attachez-vous une importance particulière ? De quoi parlez-vous ? Les religions y prennent-elles une place particulière ?
Aux débuts du groupe, Jonathan et moi nous partagions l'écriture des textes, mais mon écriture étant un peu "libre", Jonathan rencontrait souvent des difficultés pour placer mes paroles sur la musique. Il s'est donc logiquement chargé de l'écriture des paroles pour "Slow Transcending Agony". Nos textes parlent des blessures de l'âme, de notre quête de l'Ataraxie, de ce souhait de pouvoir atteindre cette quiétude absolue de l'esprit. A une exception près, nous n'abordons pas le thème de la religion, nous préférons mettre l'homme et l'introspection au centre de nos textes.

Votre doom développe une puissance romantique incroyable. D'autres formes d'art que la musique tiennent-elles une place importante chez vous ?
On m'avait déjà parlé de la puissance érotique de notre musique, mais pas encore de la puissance romantique ! Entendons nous sur le terme "romantique" : s'il s'agit des petits oiseaux, des petites fleurs et des bisous au clair de lune, évidemment, nous sommes très loin de tout cela. Notre musique est avant tout noirceur, oppression, désespoir et mélancolie, et en cela elle se rapproche effectivement de l'esprit du mouvement artistique dit "romantique. Mais j'ai tendance à penser que notre démarche artistique va encore plus loin dans notre exploration de la face sombre de l'humain. Concernant les autres formes d'arts, il faut avouer que la musique reste tout de même avant tout notre moyen d'expression privilégié. Nous sommes cependant particulièrement sensible à la retranscription visuelle de notre musique, et nous avons eu la chance de pouvoir travailler avec Dissectionnal, un jeune photographe bourré de talent, sur l'artwork de notre album : ses clichés représentent parfaitement l'idée que nous nous faisons de notre musique.

Lorsque vous composez, avez-vous besoin d'être dans un état d'esprit particulier ?
Aucunement, si ce n'est peut être d'être particulièrement à l'écoute de la musique pour pouvoir la laisser nous guider vers ce qui sera la chanson finie. Nous fonctionnons beaucoup à l'essai/erreur, et chaque plan est répété, disséqué, jusqu'à ce que chacun soit satisfait du résultat global.


Un des gars de Reverend Bizarre me confiait dans une interview être quelqu'un d'assez spirituel, et que les vibrations du doom agissaient comme une espèce mantra. Vous êtes-vous déjà retrouvés dans un état proche de la trance sur scène ?
Oui bien sûr, mais je ne pense pas que cela soit particulier au
interview Ataraxie doom… Je crois que tout musicien sincèrement imprégné par sa musique se met à "vivre" ce qu'il joue. Dans mon cas, la musique occupe totalement ma conscience, au point que je n'ai même plus à penser à ce que je joue.

Vous avez sorti également 2 enregistrements live, ce qui n'est pas banal. Vous attachez donc une importance toute particulière à la vie d' Ataraxie sur les planches ?
Absolument. L'expérience de la scène est quelque chose d'absolument unique : avec le volume sonore, les vibrations de la scène, le feedback du public, la musique prend une intensité toute particulière, quelque chose qu'il est impossible en tous cas d'obtenir en écoutant un enregistrement chez soi. Pour ces raisons, je pense qu'il est important pour pleinement appréhender notre musique de venir en faire l'expérience en concert. Nos chansons sont d'ailleurs écrites avec cette optique en tête, nous pensons qu'elles doivent fonctionner en live avant de pouvoir se retrouver ensuite sur un album. D'autre part, nous pensons tous dans Ataraxie que la crédibilité d'un groupe passe avant surtout par le live. En studio, il n'y a rien d'impossible, tout est une question de moyens et de temps. En live, il n'y a plus que des musiciens, et l'alchimie qui règne entre eux. J'ai personnellement très peu de respect pour ces groupes capables de pondre un bon album et incapables de tenir une scène par la suite… C'est un peu comme si on m'avait arnaqué en un sens !


Le fait d'avoir enregistré un de vos lives à Londres m'amène à me demander si Ataraxie a une renommée conséquente hors de nos frontières ? Et en France, est-ce que le funeral-doom passionne les foules ?
Le fait est que, bizarrement, nous avons commencés par percer à l'étranger avant de gagner une certaine reconnaissance en France. Je pense que ceci s'explique par le fait que la scène doom est très éparpillée, et par conséquent, nous avons souvent été amenés à nous produire à l'étranger. Le fait de partager la scène avec de grands noms du doom, et leur appréciations positives, voire élogieuses, sur notre musique, a je pense aussi énormément aidé à nous faire un petit nom sur la scène doom. Mais ne nous leurrons pas : le doom reste une scène très underground, et notre "renommée" ne dépasse pas ce cercle à l'étranger. En ce qui concerne la France, il y a une évolution certaine depuis nos débuts concernant le doom. A nos concerts, je me rappelle que la plupart des gens ne connaissaient la plupart du temps rien au style, et venaient souvent par curiosité, pour découvrir ce style – à l'époque assimilé d'ailleurs, dans la plupart des magazines français à des groupes de goth-metal à chanteuses, ce qui nous énervait prodigieusement d'ailleurs ! Heureusement, il semble que le doom intéresse de plus en plus de monde, et en dehors de Cathedral et de My Dying Bride, il me semble que les groupes de doom/death ou de doom traditionnel commencent à gagner une petite renommée dans nos frontières. Les noms de Shape of Despair, Mourning Beloveth, Swallow the Sun, Reverend Bizarre, Esoteric, Electric Wizard sont par exemple loin d'être inconnus par les fans français du genre. En ce qui concerne le funeral doom, à part Tyranny, je crois que les français connaissent encore très mal ce sous-genre, je vois en tous cas cette étiquette accolée à tout et n'importe quoi. Des groupes comme Skepticism, ou My Shameful, mériteraient à mon avis une plus large reconnaissance. A contrario, je suis très surpris par la hype existant autour de groupes de drone-doom, récupérés par la scène hardcore, comme c'est la cas par exemple des groupes de Stephan O'Malley. Remarque, je ne m'en plaints pas, cela m'a permis de voir Sunn O))) au Fury fest !


Vous jouez également dans différents autres groupes (Wormfood, Funeralium, Hyadningar). Est-ce important pour vous de vous impliquer dans plusieurs projets simultanément ? N'est-ce pas un obstacle trop énorme lorsqu'il faut gérer les répètes, concerts et vies professionnelles de chacun ?
A part Sylvain, nous avons tous d'autres projets. Pour moi, il est important, en tant que passionné de métal, de pouvoir exprimer d'autres facettes de ma personnalité musicale dans d'autres projets. Funeralium par exemple a été fondé avec à l'esprit l'envie d'expérimenter un concept qui soit très extrême, laissant de la place à l'improvisation, et qui puisse allier des aspects musicaux liés au dark-metal, au doom extrême et au doom traditionnel. Wormfood est l'expression d'un univers plutôt second degré, glauque mais privilégiant l'humour noir. Hyadningar un projet de black-metal épique… Autant d'univers musicaux qui sont hors du champ de celui d'Ataraxie. Quand à gérer répètes, concerts et vie professionnelle, cela se passe sans vraiment de problèmes. Cela demande par contre une grande discipline au niveau de chaque groupe, puisque les annulations de répétitions ne permettent que difficilement de les reporter. Mais du moment que tout le monde joue le jeu, tout va très bien.


Quels sont vos projets à l'heure actuelle ?
Jouer un maximum de concerts pour promouvoir l'album, nous aimerions particulièrement aller dans des endroits en France ou nous n'avons jamais pu jouer auparavant. Nous nous sommes également attelés à l'écriture du prochain album, deux morceaux sont actuellement en voie de finalisation.


Je vous laisse conclure, merci pour les réponses.
Merci pour cette interview, merci à ceux qui ont lu jusqu'ici et auront la curiosité, pour ceux qui ne nous connaissent pas, de nous découvrir en allant sur notre site : www.ataraxie.net Et merci également à tous ceux qui sont là et nous soutiennent depuis toutes ces années !





www.ataraxie.net

Interview done by DJ Extremis

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