Art(s) et littérature >> ~ Carnets de notes... ~
Share to Facebook Share to Myspace Share to Twitter Stumble It Email This More...

   
Mercredi 22 Avril 2009 - 23:10:46
Un extrait de "La Morte Amoureuse", de Théophile Gautier :

[...] Clarimonde entra en robe de nuit, et, s’étant débarrassée de ses
voiles, s’allongea dans le lit auprès de moi. Quand elle se fut bien
assurée que je dormais, elle découvrit mon bras et tira une épingle
d’or de sa tête ; puis elle se mit à murmurer à voix basse :
« Une goutte, rien qu’une petite goutte rouge, un rubis au bout de
mon aiguille !… Puisque tu m’aimes encore, il ne faut pas que je meure…
Ah ! pauvre amour ! Ton beau sang d’une couleur pourpre si éclatante,
je vais le boire. Dors, mon seul bien ; dors, mon dieu, mon enfant ; je
ne te ferai pas de mal, je ne prendrai de ta vie que ce qu’il faudra
pour ne pas laisser éteindre la mienne. Si je ne t’aimais pas tant, je
pourrais me résoudre à avoir d’autres amants dont je tarirais les
veines ; mais depuis que je te connais, j’ai tout le monde en horreur…
Ah ! le beau bras ! comme il est rond ! comme il est blanc ! Je
n’oserai jamais piquer cette jolie veine bleue. » Et, tout en disant
cela, elle pleurait, et je sentais pleuvoir ses larmes sur mon bras
qu’elle tenait entre ses mains. Enfin elle se décida, me fit une petite
piqûre avec son aiguille et se mit à pomper le sang qui en coulait.
Quoiqu’elle en eût bu à peine quelques gouttes, la crainte de m’épuiser
la prenant, elle m’entoura avec soin le bras d’une petite bandelette
après avoir frotté la plaie d’un onguent qui la cicatrisa sur-le-champ.
Je ne pouvais plus avoir de doutes, l’abbé Sérapion avait raison.
Cependant, malgré cette certitude, je ne pouvais m’empêcher d’aimer
Clarimonde, et je lui aurais volontiers donné tout le sang dont elle
avait besoin pour soutenir son existence factice. D’ailleurs, je
n’avais pas grand’peur ; la femme me répondait du vampire, et ce que
j’avais entendu et vu me rassurait complètement ; j’avais alors des
veines plantureuses qui ne se seraient pas de sitôt épuisées, et je ne
marchandais pas ma vie goutte à goutte. Je me serais ouvert le bras
moi-même et je lui aurais dit : « Bois ! et que mon amour s infiltre
dans ton corps avec mon sang ! »

Mercredi 21 Octobre 2009 - 22:51:14
"À la dernière foire du village, j'ai vu quatre hommes qui vivent comme je voudrais vivre. Leurs grands yeux sont devenus brillants pendant qu'ils faisaient une musique si surprenante qu'elle donne envie tantôt de danser, de pleurer, ou de faire les deux à la fois.
L'un, en traînant son archet sur son violon, semblait raconter un chagrin, et l'autre, en faisant sautiller son marteau sur les cordes d'un petit piano avait l'air de se moquer de son voisin, tandis que le troisième frappait ses cymbales avec une violence extraordinaire.
Enfin, ils ont ramassé leurs sous, ont chargé leurs bagages sur le dos et son partis. J'ai compris seulement alors, qu'ils ne demeuraient nulle part.
Mais ils se sont endormis, le front tourné vers les étoiles.
Les enfants se séparent, chacun allant, à son insu, selon les circonstances et le hasard, mûrir sa destinée, scandaliser ses proches et graviter vers la gloire ou le déshonneur."

C. Baudelaire

Difficile d'expliquer pourquoi ce texte me plaît par contre.



Jeudi 08 Décembre 2011 - 21:32:32
Atala de Chateaubriand
 
"Ainsi passe sur la terre tout ce qui fut bon, vertueux, sensible!  Homme tu n'es qu'un songe rapide, un rêve douloureux: tu n'existes que par le malheur; tu n'es quelque chose que par la tristesse de Ton âme et l'éternelle mélancolie de ta pensée!"
 
Petite précision pour que personne ne déprime après cette citation, l'oeuvre est inséré dans l'ouvrage Génie du Christianisme dont le but est de montrer les vertueux de la religion chrétienne donc c'est tout à fait normale que l'auteur veuille montrer notre vanité.

Mardi 20 Décembre 2011 - 21:55:44
Extrait d'Ourika de Claire de Duras.
 
L'histoire se passe pendant la Révolution. La narratrice (Ourika) est une jeune africaine qui a été ramenée en France et élevée dans une société distinguée. Elle éprouve des sentiments plus qu'amicals envers Charles le petit-fils de sa bienfaitrice. Cependant, elle ne peut se marier étant donné sa couleur de peau. Charles épouse une jeune femme, Anais de Thémines, qui le ravit. Lors d'une promenade avec Ourika, Charles évoque sa passion pour sa future épouse.
 
"Un jour, nous nous promenions dans la forêt. Charles avait été Absent
presque toute la semaine; je l'aperçus tout à coup à l'extrémité de l'allée où
nous marchions: il venait à cheval, et très-vite. Quand il fut près de l'endroit
où nous étions, il sauta à terre et se mit à se promener avec nous. Après
quelques minutes de conversation générale, il resta en arrière avec moi, et
nous recommençâmes à causer comme autrefois. J'en fis la remarque.
"Comme autrefois! s'écria-t-il; ah! quelle différence! Avais-je donc quelque
chose à dire dans ce temps-là? Il me semble que je n'ai commencé à vivre
que depuis deux mois. Ourika, je ne vous dirai jamais ce que j'éprouve pour
elle! Quelquefois je crois sentir que mon âme tout entière va passer dans la
sienne. Quand elle me regarde, je ne respire plus; quand elle rougit, je
voudrais me prosterner à ses pieds pour l'adorer. Quand je pense que je vais
être le protecteur de cet ange, qu'elle me confie sa vie, sa destinée, ah! que
je suis glorieux de la mienne! Que je la rendrai heureuse! Je serai pour elle
le père, la mère qu'elle a perdus; mais je serai aussi son mari, son amant!
Elle me donnera son premier amour, tout son coeur s'épanchera dans le
mien; nous vivrons de la même vie, et je ne veux pas que dans le cours de
nos longues années elle puisse dire qu'elle ait passé une heure sans être
heureuse. Quelles délices, Ourika, de penser qu'elle sera la mère de mes
enfants, qu'ils puiseront la vie dans le sein d'Anaïs! Ah! ils seront doux et
beaux comme elle! Qu'ai-je fait, ô Dieu! pour mériter tant de bonheur?"
Hélas! j'adressais en ce moment au Ciel une question toute contraire!
Depuis quelques instants j'écoutais ces paroles passionnées avec un

sentiment indéfinissable. Grand Dieu! vous êtes témoin que j'étais heureuse
du bonheur de Charles; mais pourquoi avez-vous donné la vie à la pauvre
Ourika? pourquoi n'est-elle pas morte sur ce bâtiment négrier d'où elle fut
arrachée, ou sur le sein de sa mère? Un peu de sable d'Afrique eût recouvert
son corps, et ce fardeau eût été bien léger! Qu'importait au monde
qu'Ourika vécût? Pourquoi était-elle condamnée à la vie? C'était donc pour
vivre seule, toujours seule, jamais aimée! O mon Dieu! ne le permettez pas!
Retirez de la terre la pauvre Ourika! Personne n'a besoin d'elle: n'est-elle
pas seule dans la vie? Cette affreuse pensée me saisit avec plus de violence
qu'elle n'avait encore fait. Je me sentis fléchir, je tombai sur les genoux,
mes yeux se fermèrent, et je crus que j'allais mourir."

 
 

Samedi 04 Fevrier 2012 - 17:20:54
Un extrait de "L'Invitation au Voyage" de Charles Baudelaire

"Mon enfant, ma soeur,
Songe à la douceur
D'aller là-bas vivre ensemble !
Aimer à loisir,
Aimer et mourir
Au pays qui te ressemble !
Les soleils mouillés
De ces ciels brouillés
Pour mon esprit ont les charmes
Si mystérieux
De tes traîtres yeux,
Brillant à travers leurs larmes.

Là, tout n'est qu'ordre et beauté,
Luxe, calme et volupté
."

J'aime surtout ces 2 vers, leur façon de rouler sur la langue lorsqu'on les prononce, toute l'insouciance et la lascivité qu'ils véhiculent. Une parenthèse de plénitude et de jouissance hors du temps loin de tout.  Un aperçu du Paradis.



Dimanche 13 Mai 2012 - 06:04:54
" Selaouit, mar hoc'h eur c'hoant,
Setu aman eur gaozic koant,
Ha na euz en-hi netra gaou,
Mès, marteze, eur gir pe daou.
"

" Écoutez, si vous voulez,
Voici un joli conte,
Dans lequel il n'y a pas de mensonge,
Si ce n'est, peut-être un mot ou deux. "

- Luzel, Contes. -

Je ne saurai pas spécialement expliquer la raison pour laquelle ce bout de texte m'a plu dès la première fois que je le l'ai lu... Et puis, il y a une certaine musicalité lorsqu'on lit ces vers à voix haute.


Jeudi 31 Mai 2012 - 17:54:35
Un extrait du chant onzième de l'Odyssée :

"Une fois arrivés au navire et au rivage, nous tirons d'abord l'embarcation dans la mer divine; puis nous plaçons le mât et les voiles dans le vaisseau noir; nous prenons les victimes et les embarquons; enfin nous montons nous même, affligés et versant des larmes abondantes. Pour nous, derrière le navire à la proue sombre souffle un vent qui gonfle la voile, bon compagnon : il est envoyé par Circé aux belles boucles, déesse redoutable à la parole humaine. Et nous, après avoir disposé tous les agrès, nous demeurons assis dans le navire; le vent et le pilote le dirigent. Tout le jour, pendant qu'il fend les flots, les voiles sont tendues. Le soleil se couchait, à l'heure où les sur la terre les chemins s'emplissent d'ombres.
Alors notre navire arrive à l'Océan au cours profond, limite de la terre. Là se trouvent le peuple et la ville des Cimmériens, enveloppés de nuages brumeux. Jamais le soleil brûlant ne les regarde de ses rayons, ni quand il monte dans le ciel étoilé, ni quand il redescend du ciel vers la terre. Une nuit funèbre s'étend sur les mortels malheureux."


Je sais pas pourquoi, mais je le trouve vraiment très beau.




Dimanche 24 Juin 2012 - 09:12:10
L'infini dans les cieux de Lamartine

C'est une nuit d'été ; nuit dont les vastes ailes
Font jaillir dans l'azur des milliers d'étincelles ;
Qui, ravivant le ciel comme un miroir terni,
Permet à l'oeil charmé d'en sonder l'infini ;
Nuit où le firmament, dépouillé de nuages,
De ce livre de feu rouvre toutes les pages !
Sur le dernier sommet des monts, d'où le regard
Dans un trouble horizon se répand au hasard,
Je m'assieds en Silence, et laisse ma pensée
Flotter comme une mer où la lune est bercée.

L'harmonieux Ether, dans ses vagues d'azur,
Enveloppe les monts d'un fluide plus pur ;
Leurs contours qu'il éteint, leurs cimes qu'il efface,
Semblent nager dans l'air et trembler dans l'espace,
Comme on voit jusqu'au fond d'une mer en repos
L'ombre de son rivage, onduler sous les flots !
Sous ce jour sans rayon, plus serein qu'une aurore,
A l'oeil contemplatif la terre semble éclore ;
Elle déroule au loin ses horizons divers
Où se joua la main qui sculpta l'univers !
Là, semblable à la vague, une colline ondule,
Là, le coteau poursuit le coteau qui recule,
Et le vallon, voilé de verdoyants rideaux,
Se creuse comme un lit pour l'ombre et pour les eaux ;
Ici s'étend la plaine, où, comme sur la grève,
La vague des épis s'abaisse et se relève ;
Là, pareil au Serpent dont les noeuds sont rompus,
Le fleuve, renouant ses flots interrompus,
Trace à son cours d'argent des méandres sans nombre,
Se perd sous la colline et reparaît dans l'ombre :
Comme un nuage noir, les profondes forêts
D'une tâche Grisâtre ombragent les guérets,
Et plus loin, où la plage en croissant se reploie,
Où le regard confus dans les vapeurs se noie,
Un golfe de la mer, d'îles entrecoupé,
Des blancs reflets du ciel par la lune frappé,
Comme un vaste miroir, brisé sur la poussière,
Réfléchit dans l'obscur des Fragments de lumière.

Que le séjour de l'homme est divin, quand la nuit
De la vie orageuse étouffe ainsi le bruit !
Ce sommeil qui d'en haut tombe avec la rosée
Et ralentit le cours de la vie épuisée,
Semble planer aussi sur tous les éléments,
Et de tout ce qui vit calmer les battements ;
Lin Silence pieux s'étend sur la nature,
Le fleuve a son éclat, mais n'a plus son murmure,
Les chemins sont déserts, les chaumières sans voix,
Nulle feuille ne tremble à la voûte des bois,
Et la mer elle-même, expirant sur sa rive,
Roule à peine à la plage une lame plaintive ;
On dirait, en voyant ce monde sans échos,
Où l'oreille jouit d'un magique repos,
Où tout est majesté, crépuscule, Silence,
Et dont le regard Seul atteste l'existence,
Que l'on contemple en songe, à travers le passé,
Le fantôme d'un monde où la vie a cessé !
Seulement, dans les troncs des pins aux larges cimes,
Dont les groupes épars croissent sur ces abîmes,
L'haleine de la nuit, qui se brise parfois,
Répand de loin en loin d'harmonieuses voix,
Comme pour attester, dans leur cime sonore,
Que ce monde, assoupi, palpite et vit encore.

Un monde est assoupi sous la voûte des cieux ?
Mais dans la voûte même où s'élèvent mes yeux,
Que de mondes nouveaux, que de soleils sans nombre,
Trahis par leur splendeur, étincellent dans l'ombre !
Les signes épuisés s'usent à les compter,
Et l'âme infatigable est lasse d'y monter !
Les siècles, accusant leur alphabet stérile,
De ces astres sans fin n'ont nommé qu'un sur mille ;
Que dis-je! Aux bords des cieux, ils n'ont vu qu'ondoyer
Les mourantes lueurs de ce lointain foyer ;
Là l'antique Orion des nuits perçant les voiles
Dont Job a le premier nommé les sept étoiles ;
Le navire fendant l'éther silencieux,
Le bouvier dont le char se traîne dans les cieux,
La lyre aux cordes d'or, le cygne aux blanches ailes,
Le coursier qui du ciel tire des étincelles,
La balance inclinant son bassin incertain,
Les blonds cheveux livrés au souffle du matin,
Le bélier, le taureau, l'aigle, le sagittaire,
Tout ce que les pasteurs contemplaient sur la terre,
Tout ce que les héros voulaient éterniser,
Tout ce que les amants ont pu diviniser,
Transporté dans le ciel par de touchants emblèmes,
N'a pu donner des noms à ces brillants systèmes.
Les cieux pour les mortels sont un livre entrouvert,
Ligne à ligne à leurs yeux par la nature offert ;
Chaque siècle avec peine en déchiffre une page,
Et dit : Ici finit ce magnifique ouvrage :
Mais sans cesse le doigt du céleste écrivain
Tourne un feuillet de plus de ce livre divin,
Et l'oeil voit, ébloui par ces brillants mystères,
Etinceler sans fin de plus beaux caractères !
Que dis-je ? À chaque veille, un sage audacieux
Dans l'espace sans bords s'ouvre de nouveaux cieux ;
Depuis que le cristal qui rapproche les mondes
Perce du vaste Ether les distances profondes,
Et porte le regard dans l'infini perdu,
Jusqu'où l'oeil du calcul recule confondu,
Les cieux se sont ouverts comme une voûte sombre
Qui laisse en se brisant évanouir son ombre ;
Ses feux multipliés plus que l'atome errant
Qu'éclaire du soleil un rayon transparent,
Séparés ou groupés, par couches, par étages,
En vagues, en écume, ont inondé ses plages,
Si nombreux, si pressés, que notre oeil ébloui,
Qui poursuit dans l'espace un astre évanoui,
Voit cent fois dans le champ qu'embrasse sa paupière
Des mondes circuler en torrents de poussière !
Plus loin sont ces lueurs que prirent nos aïeux
Pour les gouttes du lait qui nourrissait les dieux ;
Ils ne se trompaient pas : ces perles de lumière,
Qui de la nuit lointaine ont blanchi la carrière,
Sont des astres futurs, des germes enflammés
Que la main toujours pleine a pour les temps semés,
Et que l'esprit de Dieu, sous ses ailes fécondes,
De son ombre de feu couve au berceau des mondes.
C'est de là que, prenant leur vol au jour écrit,
Comme un aiglon nouveau qui s'échappe du nid,
Ils commencent sans guide et décrivent sans trace
L'ellipse radieuse au milieu de l'espace,
Et vont, brisant du choc un astre à son déclin,
Renouveler des cieux toujours à leur matin.

Et l'homme cependant, cet insecte invisible,
Rampant dans les sillons d'un globe imperceptible,
Mesure de ces feux les grandeurs et les poids,
Leur assigne leur place et leur route et leurs lois,
Comme si, dans ses mains que le compas accable,
Il roulait ces soleils comme des grains de sable !
Chaque atome de feu que dans l'immense éther
Dans l'abîme des nuits l'oeil distrait voit flotter,
Chaque étincelle errante aux bords de l'empyrée,
Dont scintille en mourant la lueur azurée,
Chaque tache de lait qui blanchit l'horizon,
Chaque teinte du ciel qui n'a pas même un nom,
Sont autant de soleils, rois d'autant de systèmes,
Qui, de seconds soleils se couronnant eux-mêmes,
Guident, en gravitant dans ces immensités,
Cent planètes brûlant de leurs feux empruntés,
Et tiennent dans l'éther chacune autant de place
Que le soleil de l'homme en tournant en embrasse,
Lui, sa lune et sa terre, et l'astre du matin,
Et Saturne obscurci de son anneau lointain !
Oh ! que tes cieux sont grands! et que l'esprit de l'homme
Plie et tombe de haut, mon Dieu! quand il te nomme !
Quand, descendant du dôme où s'égaraient. ses yeux,
Atome, il se mesure à l'infini des cieux,
Et que, de ta grandeur soupçonnant le prodige,
Son regard s'éblouit, et qu'il se dit : Que suis-je ?
Oh ! que suis-je, Seigneur ! devant les cieux et toi ?
De ton immensité le poids pèse sur moi,
Il m'égale au néant, il m'efface, il m'accable,
Et je m'estime moins qu'un de ces grains de sable,
Car ce sable roulé par les flots inconstants,
S'il a moins d'étendue, hélas ! a plus de temps ;
Il remplira toujours son vide dans l'espace
Lorsque je n'aurai plus ni nom, ni temps, ni place ;
Son sort est devant toi moins triste que le mien,
L'insensible néant ne sent pas qu'il n'est rien
Il ne se ronge pas pour agrandir son être,
Il ne veut ni monter, ni juger, ni connaître,
D'un immense désir il n'est point agité ;
Mort, il ne rêve pas une immortalité !
Il n'a pas cette horreur de mon âme oppressée,
Car il ne porte pas le poids de ta pensée !

Hélas ! pourquoi si haut mes yeux ont-ils monté ?
J'étais heureux en bas dans mon obscurité,
Mon coin dans l'étendue et mon éclair de vie
Me paraissaient un sort presque digne d'envie ;
Je regardais d'en haut cette herbe; en comparant,
Je méprisais l'insecte et je me trouvais grand ;
Et maintenant, noyé dans l'abîme de l'être,
Je doute qu'un regard du Dieu qui nous fit naître
Puisse me démêler d'avec lui, vil, rampant,
Si bas, si loin de lui, si voisin du néant !
Et je me laisse aller à ma douleur profonde,
Comme une pierre au fond des abîmes de l'onde ;
Et mon propre regard, comme honteux de soi,
Avec un vil dédain se détourne de moi,
Et je dis en moi-même à mon âme qui doute :
Va, ton sort ne vaut pas le coup d'oeil qu'il te coûte !
Et mes yeux desséchés retombent ici-bas,
Et je vois le gazon qui fleurit sous mes pas,
Et j'entends bourdonner sous l'herbe que je foule
Ces flots d'êtres vivants que chaque sillon roule :
Atomes animés par le souffle divin,
Chaque rayon du jour en élève sans fin,
La minute suffit pour compléter leur être,
Leurs tourbillons flottants retombent pour renaître,
Le sable en est vivant, l'éther en est semé,
Et l'air que je respire est lui-même animé ;
Et d'où vient cette vie, et d'où peut-elle éclore,
Si ce n'est du regard où s'allume l'aurore ?
Qui ferait germer l'herbe et fleurir le gazon,
Si ce regard divin n'y portait son rayon ?
Cet œil s'abaisse donc sur toute la nature,
Il n'a donc ni mépris, ni faveur, ni mesure,
Et devant l'infini pour qui tout est pareil,
Il est donc aussi grand d'être homme que soleil !
Et je sens ce rayon m'échauffer de sa flamme,
Et mon coeur se console, et je dis à mon âme :
Homme ou monde à ses pieds, tout est indifférent,
Mais réjouissons-nous, car notre maître est grand !

Flottez, soleils des nuits, illuminez les sphères ;
Bourdonnez sous votre herbe, insectes éphémères ;
Rendons gloire là-haut, et dans nos profondeurs,
Vous par votre néant, et vous par vos grandeurs,
Et toi par ta pensée, homme ! grandeur suprême,
Miroir qu'il a créé pour s'admirer lui-même,
Echo que dans son oeuvre il a si loin jeté,
Afin que son saint nom fût partout répété.
Que cette humilité qui devant lui m'abaisse
Soit un sublime hommage, et non une tristesse ;
Et que sa volonté, trop haute pour nos yeux,
Soit faite sur la terre, ainsi que dans les cieux !

Dimanche 24 Juin 2012 - 22:32:37
Le dormeur du val (Arthur Rimbaud)

C'est un trou de verdure où chante une rivière,
Accrochant follement aux herbes des haillons
D'argent ; où le soleil, de la montagne fière,
Luit : c'est un petit val qui mousse de rayons.

Un soldat jeune, bouche ouverte, tête nue,
Et la nuque baignant dans le frais cresson bleu,
Dort ; il est étendu dans l'herbe, sous la nue,
Pâle dans son lit vert où la lumière pleut.

Les pieds dans les glaïeuls, il dort. Souriant comme
Sourirait un enfant malade, il fait un somme :
Nature, berce-le chaudement : il a froid.

Les parfums ne font pas frissonner sa narine ;
Il dort dans le soleil, la main sur sa Poitrine,
Tranquille. Il a deux trous rouges au côté droit.

J'aime bien sa façon d'en venir au fait (dramatique en l'occurence)

Après trois ans (Paul Verlaine)

Ayant poussé la porte étroite qui chancelle,
Je me suis promené dans le petit jardin
Qu'éclairait doucement le soleil du matin,
Pailletant chaque fleur d'une humide étincelle.

Rien n'a changé. J'ai tout revu : l'humble tonnelle
De vigne folle avec les chaises de rotin...
Le jet d'eau fait toujours son murmure argentin
Et le vieux tremble sa plainte sempiternelle.

Les roses comme avant palpitent ; comme avant,
Les grands lys orgueilleux se balancent au vent,
Chaque alouette qui va et vient m'est connue.

Même j'ai retrouvé debout la Velléda,
Dont le plâtre s'écaille au bout de l'avenue,
- Grêle, parmi l'odeur fade du réséda.

Je me retrouve souvent dans ses poèmes, y compris dans l'atmosphère qui s'y dégage. Ce n'est pas un hasard si j'ai mis ces deux auteurs, ils étaient aussi très liés l'un à l'autre.


Mercredi 27 Juin 2012 - 18:11:26
Ce que j'aime chez Rimbaud et Verlaine, c'est que leurs mots emportent facilement l'imagination : on se représente sans peine l'univers.

- Peut-Être Personne. -

La coupe s'arrondit
         Soleil qui nous éclaire
Le ciel s'est entr'ouvert
          Au coin de l'horizon
Les feuilles en tombant faisaient trembler la terre
Et le vent qui rôdait autour de la maison
                                           Parle
Quelqu'un venait
           Était-ce par derrière
La nuit formait le fond
Et l'on se retournait
            Les arbres simulaient un chant
            Une prière
On avait peur d'être surpris
Sur le chemin les ombres s'inclinaient
On ne sait pas ce qui se passe
Il n'y a peut-être personne

Pierre Reverdy.
J'ai recopié la mise en page exacte qui était sur le livre, sachant que c'est un auteur que l'on lie au Surréalisme ( vers les débuts ), et que les mises en page sont souvent importantes dans ce courant. L'absence de ponctuation également. Bref. Un texte que j'aime assez, pour les images qu'il reflète, l'aspect un peu décalé qu'engendrent les mots.