Art(s) et littérature >> ~ Carnets de notes... ~
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Jeudi 28 Juin 2012 - 16:19:39
@Inner: Ah cette chute dans Le dormeur du Val me plaira toujours !

Bon Baudelaire fait fureur sur le topic mais comment ne pas poster "Au lecteur" qui débute Les Fleurs Du Mal en proposant un contrat de lecture assez original et un voyage dans le noirceur et le spleen

Au lecteur
La sottise, l'erreur, le péché, la lésine,
Occupent nos esprits et travaillent nos corps,
Et nous alimentons nos aimables remords,
Comme les mendiants nourrissent leur vermine.

Nos péchés sont têtus, nos repentirs sont lâches ;
Nous nous faisons payer grassement nos aveux,
Et nous rentrons gaiement dans le chemin bourbeux,
Croyant par de vils pleurs laver toutes nos taches.

Sur l'oreiller du mal c'est Satan Trismégiste
Qui berce longuement notre esprit enchanté,
Et le riche métal de notre volonté
Est tout vaporisé par ce savant chimiste.

C'est le Diable qui tient les fils qui nous remuent !
Aux objets répugnants nous trouvons des appas ;
Chaque jour vers l'Enfer nous descendons d'un pas,
Sans horreur, à travers des ténèbres qui puent.

Ainsi qu'un débauché pauvre qui baise et mange
Le sein martyrisé d'une antique catin,
Nous volons au passage un plaisir clandestin
Que nous pressons bien fort comme une vieille orange.

Serré, fourmillant, comme un Million d'helminthes,
Dans nos cerveaux ribote un peuple de Démons,
Et, quand nous respirons, la Mort dans nos poumons
Descend, fleuve invisible, avec de sourdes plaintes.

Si le viol, le Poison, le poignard, l'incendie,
N'ont pas encor brodé de leurs plaisants dessins
Le canevas banal de nos piteux destins,
C'est que notre âme, hélas ! n'est pas assez hardie.

Mais parmi les chacals, les panthères, les lices,
Les singes, les Scorpions, les vautours, les serpents,
Les monstres glapissants, hurlants, grognants, rampants,
Dans la ménagerie infâme de nos vices,

Il en est un plus laid, plus méchant, plus immonde !
Quoiqu'il ne pousse ni grands gestes ni grands cris,
Il ferait volontiers de la terre un débris
Et dans un bâillement avalerait le monde ;

C'est l'Ennui ! - l'oeil chargé d'un pleur involontaire,
Il rêve d'échafauds en fumant son houka.
Tu le connais, lecteur, ce monstre délicat,
- Hypocrite lecteur, - mon semblable, - mon frère !


Mardi 18 Septembre 2012 - 20:55:20
Désolé pour le double post, je devrais donner l'exemple en tant que modératrice mais il faut bien faire vivre les topics de temps en temps

Voici un extrait d'un des premiers écrits de Zola (Le voeu d'une morte). Je trouve qu'il a trouvé les mots jutes pour évoquer les prémices d'une relation amicale.

"Ah ! ces bonnes causeries, qui naissent d’une rencontre, et qui parfois décident de l’amitié de toute une vie. On se voit pour la première fois, le hasard vous met face à face, et voilà que le cœur se vide, voilà qu’on se livre tout entier, pris d’une confiance soudaine et irréfléchie. On éprouve une jouissance à se confesser ainsi au hasard ; on trouve une douceur dans cet Abandon de soi-même, dans cette entrée brusque d’un inconnu au plus profond de son être.

En quelques minutes, les deux jeunes gens se connaissaient comme s’ils ne s’étaient jamais quittés depuis leur enfance. Ils avaient fini par se mettre côte à côte sur le banc, et ils riaient en frères.

La sympathie naît à la fois des ressemblances et des dissemblances
."


Mardi 18 Septembre 2012 - 20:58:02
J'aime beaucoup ...


Jeudi 31 Janvier 2013 - 21:35:49
Un extrait de Mes haines de Zola qui pourrait s'appliquer à tous les domaines de la création.


« L'homme a sous les yeux l’œuvre divine ; il en étudie les êtres et les Horizons, puis il essaie de nous dire ce qu'il a vu, de nous montrer dans une synthèse le monde et ses habitants. Mais il ne saurait reproduire ce qui est dans la réalité ; il n'a aperçu les objets qu'au travers de son tempérament ; il retranche, il ajoute, il modifie, et, en somme, le monde qu'il nous donne est un monde de son invention. C'est ainsi qu'il existe, en littérature, autant d'univers différents qu'il y a d'écrivains, chaque auteur a ses personnages qui vivent d'une vie particulière, sa nature dont les paysages se déroulent sous des yeux étrangers »



Dimanche 03 Mars 2013 - 05:07:10
Sade, Justine ou les Malheurs de la vertu:

"...il est sur cela comme ces écrivains pervers, dont la Corruption est si dangereuse, si active qu'ils n'ont pour but en imprimant leurs affreux systèmes, que d'étendre au-delà de leur vie la somme de leurs crimes; ils n'en peuvent plus faire, mais leurs maudits écrits en feront commettre, et cette douce idée qu'ils emportent au tombeau les console de l'obligation où les met la mort de renoncer au mal."

Génial, Sade expliqué par Sade, le plaisir de propager le mal, désir d'immortalité, ou quand le livre devient une arme... objectif pleinement atteint, le mensonge ayant largement trouvé preneurs.

Dimanche 21 Avril 2013 - 19:09:53
Allez encore une petite piqure de rappel de Zola.... Il s'agit de l'ouverture du chapitre X qui marque l'apogée de Nana comme femme entretenue. Je trouve ce passage fort réussi, avec des formules et des images percutantes.


 
citation :
Alors, Nana devint une femme chic, rentière de la bêtise et de l’ordure
des mâles, marquise des hauts trottoirs.
Ce fut un lançage brusque et
définitif, une montée dans la célébrité de la galanterie, dans le plein
jour des folies de l’argent et des audaces gâcheuses de la beauté. Elle
régna tout de suite parmi les plus chères. Ses photographies s’étalaient
aux vitrines, on la citait dans les journaux. Quand elle passait en
voiture sur les boulevards, la foule se retournait et la nommait, avec
l’émotion d’un peuple saluant sa souveraine; tandis que, familière,
allongée dans ses toilettes flottantes, elle souriait d’un air gai, sous
la pluie de petites frisures blondes, qui noyaient le bleu cerné de ses
yeux et le rouge peint de ses lèvres. Et le prodige fut que cette
grosse fille, si gauche à la scène, si drôle dès qu’elle voulait faire
la femme honnête, jouait à la ville les rôles de charmeuse, sans un
effort. C’étaient des souplesses de couleuvre, un déshabillé savant,
comme involontaire, exquis d’élégance, une distinction nerveuse de
chatte de race, une aristocratie du Vice, superbe, révoltée, mettant le
pied sur Paris, en maîtresse toute-puissante. Elle donnait le Ton, de
grandes dames l’imitaient.



Lundi 03 Juin 2013 - 08:58:24
Par les beaux soirs d'été, j'irai dans les sentiers,
Picoté par les blés, fouler l'herbe menue :
Rêveur, j'en sentirai la fraîcheur à mes pieds.
Je laisserai le vent baigner ma tête nue :

Je ne parlerai pas, je ne penserai rien :
Mais un amour immense entrera dans mon âme,
Et j'irai loin, bien loin, comme un bohémien,
Par la Nature - heureux comme avec une femme !

Arthur Rimbaud - 20 avril 1870


Lundi 03 Juin 2013 - 11:25:11
Au bout, à l’extrême bout de la rangée de baraques, comme si,
honteux, il s’était exilé lui-même de toutes ces splendeurs, je vis un
pauvre saltimbanque, voûté, caduc, adossé contre un des poteaux de sa
cahute ; une cahute plus misérable que celle du sauvage le plus abruti,
et dont deux bouts de chandelles, coulants et fumants, éclairaient trop
bien encore la détresse.
Partout la joie, le gain, la débauche ; partout la certitude du Pain
pour les lendemains ; partout l’explosion frénétique de la vitalité. Ici
la misère absolue, la misère affublée, pour comble d’horreur, de
haillons comiques, où la nécessité, bien plus que l’art, avait introduit
le contraste. Il ne riait pas, le misérable ! Il ne pleurait pas, il ne
dansait pas, il ne gesticulait pas, il ne criait pas ; il ne chantait
aucune chanson, ni gai ni lamentable ; il n’implorait pas. Il était muet
et immobile. Il avait renoncé, il avait abdiqué. Sa destinée était
faite.
Mais quel regard profond, inoubliable, il promenait sur la foule et
les lumières, dont le flot mouvant s’arrêtait à quelques pas de sa
répulsive misère ! Je sentis ma gorge serrée par la main terrible de
l’hystérie, et il me sembla que mes regards étaient offusqués par ces
larmes rebelles qui ne veulent pas tomber.


Baudelaire, extrait du ''Vieux Saltimbanque''

Ce poème en prose m'a toujours fait un putain d'effet, quand on arrive à cette description du personnage en décalage complet avec la fête qu'il y a autour de lui. J'ai toujours eu l'envie d'aller vers lui et de le prendre dans mes bras, pour le comprendre et partager. 


Lundi 03 Juin 2013 - 21:13:47
C'est drôle que tu postes cet extrait du Spleen de Paris car je me suis mise à le relire aujourd'hui. Rien que la lettre à Arsène Houssaye comporte des phrases très expressives :

"Quel est celui de nous qui n'a pas, dans ses jours d'ambition, rêvé le miracle d'une prose poétique, musicale sans rythme et sans rime, assez souple et assez heurtée pour s'adapter aux mouvements lyriques de l'âme, aux ondulations de la rêverie, aux soubresauts de la Conscience ?"