UNE…
Ca commence par une, puis deux, ensuite trois, puis quatre, cinq,
six... Plus de balles dans le chargeur... Quelques cliquetis
supplémentaires, le barillet tourne à vide en faisant retentir les
secondes, puis les minutes... Une horloge du rien, une horloge du bien
être... Sur l'oreiller, la tête prend un angle bizarre et
confortable... S'endormir...
Certains comptent les moutons pour passer du côté plus agréable de la
vie, lui il se vide le chargeur d'un
Six coup imaginaire dans le fin
fond de la bouche... Soir après soir, irrévocablement, c'est la
fusillade
Nocturne, c'est l'implosion silencieuse, c'est l'orgasme des
neurones... Un pur moment de bonheur...
Dans cette pensée qui conduit au sommeil, il oublie tout ce qui doit
être oublié... Les après midis ensoleillés passés dans les parcs à
observer les enfants des autres jouer avec des ballons jaunes ou
oranges. A côté de lui une amoureuse qui heureuse et souriante lui
balance un "ils sont mignons tu ne trouve pas ?" ; celle là même qui
n'oublie jamais de prendre sa pilule contraceptive de vingt heures
une... Parfois ces même gamins jouent à la guerre, se tirant dessus
avec des armes imaginaires... Pan t'es mort!... Et dire qu'ils ne sont
là à s'entretuer prématurément que par l'intermédiaire de l'oublie un
soir du tout petit cachet aux hormones... Remarquez, il ne manquerait
plus qu'ils soient le fruit d'une volonté... Ils se tuent pour jouer,
elles oublient et elles procréent, on se tue pour oublier... On naît
par l'oublie, alors pourquoi ne pas dormir par la mort...
Pan!
Six fois... Le barillet vide et il oublie son travail, ses fous
rires et son sourire... Il ne veux même plus penser au
Baiser qu'il a
donné l'autre soir à la belle qui partage souvent son lit depuis près
de deux ans... Un baiser... Tout petit... Juste pour lui souhaiter
bonne nuit avant qu'elle ne s'endorme... Les yeux ensommeillés elle est
belle, elle sursaute, lui met un violent coup de coude dans la
Poitrine et lui jette un regard noir... "Tu m'as chatouillé sale con!"... Un
autre regard magnifique de haine, puis elle lui tourne le dos et
reprend son activité de sommeil parce qu'il le faut... Elle est
amoureuse, folle amoureuse, comme elle ne l'ai jamais été auparavant...
Il l'est aussi, il lui donne tant et tant... Il s'oublie un peu... Tout
comme il s'oublie chaque soir dans sa suppression rituelle et
fantasmée... Quitte à être annulé par l'amour autant l'être aussi par
la mort; même si celle ci ne dure que le temps d'une nuit...
Le soleil est tombé depuis bientôt
Six heures et il meurt une nouvelle
fois... Après l'explosion habituelle des
Six balles du chargeur le
temps des cliquetis d'un barillet tournant à vide a sonné... Il appuie
sur la détente encore et encore... Il n'y a plus de balles mais il se
donne du rabe de ce geste si apaisant... Quelle douce haine de soi...
Cette joie de continuer le meurtre jusqu'au sommeil alors qu'il
visualise les effets sur sa personne des
Six balles tirées juste
avant... Une poignée de minutes d'un imaginaire de bonheur... Il ne
ressent plus rien d'autre que l'échappée de son sang et sa chair qui
vie... Il voit... Il voit des lambeaux de lui éparpillés aux quatres
coins de la pièce... Des tranches de vie... Et il oublie...
Il oublie les morceaux, les portions, les bouts, les secondes... Les
secondes interminables, tout comme les heures trop courtes... Il oublie
dans une violence silencieuse les longues marches à pied pour atteindre
un sommet, tout comme les années d'études pour n'atteindre rien du
tout... Les
Fragments de personnes rencontrées, les
Fragments de
passions partagées... Les pièces d'un puzzle de vie qui ne s'emboîtent
jamais, qui parfois se croisent, mais ne se rencontrent pas... Seules
les pièces les plus fragiles réussissent parfois à coïncider, par deux,
mais celles-ci finissent vite par se détacher attirées qu'elles sont
par l'influence des pièces d'ensemble qui malgré leur lucidité sur le
fait qu'elles ne feront jamais bloc ont le cynisme de vouloir tailler
chaque pièce à leur image... Il tire une, puis deux, trois, et quatre,
cinq, six balles et c'est l'antre de ce qui a construit sa personne qui
fait puzzle... Le puzzle de sa chair pensante... Complètement défait...
Explosé... Et il oublie...
Il oublie sa mère et ses gâteaux trop cuits... Il oublie les vagues et
les cieux... Il oublie les écureuils qu'il voyait chaque matin
lorsqu'il se rendait à l'école... Il oublie son enfance... Il oublie sa
naissance dont il ne s'était d'ailleurs jamais souvenu... Il oublie
qu'il s'était dit un jour qu'il y avait bien une raison à ne pas se
souvenir, à ne jamais se souvenir des toutes premières années d'une
vie... Celles où nous sommes si près de mourir à chaque instant, celles
où nous souffrions si peu ou constamment, on n'en sait rien... Les
premiers souvenirs ne viennent que lorsque nous nous sommes résignés à
accepter le calvaire de la venue au monde... C'est d'ailleurs à cet âge
là qu'il commence à vouloir oublier, inéluctablement oublier... On est
tellement mieux dans le traumatisme de la naissance, si proche des
balles et du suicide virtuel...
Il oublie... Il s'efface, il efface, il nie, rejette... A cet instant,
il en est même venu à oublier le pistolet bien réel qu'il à toujours
sous la mains bien au chaud entre le matelas et le sommier... Un
flingue qu'il garde par habitude, il n'y pense d'ailleurs jamais... Un
calibre qu'il garde en cas d'urgence comme le dit son père faisant
appel à son instinct sécuritaire de protection, de défense, de
survie... Même à cet instant il n'y pense pas, il souhaite s'endormir
et pense donc à ses balles à compter, celles qui remplacent les
moutons... Mais il ne peut retenir sa main... Quelques mouvements pour
chercher un objet imaginaire se transforment en quête d'une vérité ;
peut être la seule vérité en laquelle on puisse croire…
Il n'eut besoin que d'une seule balle cette fois-ci...
Teddy RAVIER le 23 Mars 2007
(attention a ceux qui osent piquer mes trucs

...je ne vous présenterai que ces deux là... Vous en pensez quoi ?)
Supreme Funeral Oration