Enjoy The Violence : une bible de 440 pages qui revient en détail sur les prémices du microcosme Thrash/Death hexagonal (années 1980/90), narré sur le mode de « l’histoire orale », avec des interviews fleuves et inédites de nombreux acteurs de l’époque (groupes, activistes, labels, journalistes, éditeurs de fanzines, tape-traders, illustrateurs, etc.). Un ouvrage qui capture l’essence même de ces années formatrices, marquées par l’insouciance, la colère, la sauvagerie, le non conformisme mais aussi et surtout la naïveté, la sincérité, le fun et l’amateurisme. Plus qu’un livre compilant les témoignages de ceux qui ont défriché le terrain, un véritable guide pour mieux comprendre l’évolution qu’a connu le Metal (sous toutes ses formes les plus extrêmes) durant ces trente dernières années.
Nous imaginons facilement l'excitation à l'approche de la livraison d'un ouvrage aussi dense. Veux-tu raconter aux lecteurs de Spirit of Metal quelle en a été la genèse ? D'où est venue cette idée ? (Il y a eu, il y a quelques années, un article instructif sur le premier numéro de New Noise magazine avec interviews croisés d'anciens de la scène, cela a t-il été une base de travail ?)
Sam : Je connais Jérémie depuis environ une douzaine d’années, on a collaboré ensemble sur des sites, des fanzines et des podcasts. Il a sorti, il y a cinq ans, une biographie du groupe Supuration/SUP (Trace Ecrite, chez Camion Blanc), et un autre livre (Metal Bunker, un recueil d’interviews d’acteurs de la scène Metal et autre) il y a 3 ans. De mon côté j’ai également sorti deux livres il y a quelques années, dont Explosion Textile – Mon Premier T-shirt de Groupe (qui est un recueil de textes -écrits par des journalistes, des musiciens, des activistes, des auteurs, des tatoueurs, des boss de labels- revenant sur l’expérience de leur premier T-Shirt de groupe acheté, souvent un groupe affilié au Hard Rock/ Metal d’ailleurs)… on s’est rendus compte qu’on parlait plus ou moins de la même chose dans nos livres respectifs : on y traitait de notre adolescence, de nos premiers émois musicaux et culturels, de ce qui nous a construits, influencés et modelés.
A partir de 2010, il y a eu pas mal de livres portant sur les origines des courants extrêmes (Thrash/Death/Grind/Black), mais il n’y était globalement question que des scènes de « têtes de gondole », c’est-à-dire des scènes américaines, anglaises et scandinaves. J’ai passé la barre des 40 ans (Jérémie également), on a grandi en écoutant du Hard Rock, du Heavy Metal, du Thrash et du Death Metal, on a eu envie d’archiver ce qui c’était passé en France car cette scène n’avait pas encore été disséquée dans un livre. Comprendre comment et pourquoi cette scène française n’avait jamais été très bien représentée sur l’échiquier européen et mondial du genre. C’était aussi un moyen de se pencher à nouveau sur nos plus jeunes années, dépoussiérer des souvenirs et gratter plus en profondeur un style qui nous a fascinés et transcendés quand nous étions mômes et ados.
L’idée de ce livre a été validée fin 2013… l’article dont tu fais mention dans la question (si on parle bien du même) est paru il y a deux ans il me semble, donc non, nous n’avons pas du tout été influencé par ce dossier. Par conte, l’auteur de cet article a été interviewé dans notre livre, avant qu’il fasse ce dossier, il est donc probable que ça lui ait donné quelques idées. Même si c’est vrai que ces dernières années, quelques papiers –notamment dans la presse écrite spécialisée hexagonale- sur le sujet ont été publiés ici et là. C’est une bonne chose, si tu me poses la question.
- De nombreux livres, comme il est mentionné dans le teaser font office de référence, en tout cas partielle, sur les prémices du death, grindcore, etc.... En quoi avez-vous su vous distinguer de ce type d'ouvrage pour cette parution ?
Sam : On les a tous lus, et on les a appréciés. Certains plus que d’autres. Déjà, Enjoy The Violence ne traite que de la scène française, donc rien que le sujet nous éloigne des autres dans le genre. De plus, on a opté pour le mode de l’Histoire Orale, c’est-à-dire que ce sont les acteurs de l’époque (musiciens, fanzineux, tape traders, illustrateurs, organisateurs de concerts, boss de labels, journalistes, etc.) qui racontent leurs histoires, sous forme d'interviews. On ne voulait pas faire une thèse ou une analyse, et encore moins un essai, sur ce courant. On voulait vraiment revenir sur ces années là en s’y plongeant à corps perdus, c’est-à-dire en essayant d’y ressentir le mood de l’époque… le fun, la naïveté, le côté bricolo, les histoires picaresques, mais aussi comprendre pourquoi la plupart des groupes n’ont pas pesé aussi lourd que les groupes allemands ou anglais (pour rester en Europe). Perso, quand je lisais ces livres, mes passages préférés étaient clairement ceux où la parole était donnée aux musiciens et activistes… donc je me suis dit qu’il fallait retirer tout le « gras » pseudo analytique et proposer un truc divertissant et près de l’os. La seule solution pour vraiment revivre cette époque à nouveau : que tout ça soit narré par ceux qui étaient en première ligne (et en seconde!).
- On peut imaginer que la matière fût foisonnante, mais également délicate à aller chercher. Comment avez-vous, par exemple, pu retrouver les groupes aujourd'hui défunts (Mutilated, Death Power, Nomed) ou Phil Pestilence, ancien journaliste ayant bercé par ses chroniques (et ses passages radio sur Doum-Doum Wah Wah) les jeunes fans des 80's ?
Sam : En effet, une grosse partie du travail a consisté à retrouver tout ce beau monde. Un véritable travail de fourmis… voire de détectives privés pour certains d’entre eux ! A chaque nouvelle interview, on glanait de nouvelles informations, on avait de nouveaux contacts, et on pouvait remonter plus loin et creuser plus profond. Pour certain groupes, ou activistes, ça n’a pas été facile. Mais avec un peu de patience (qui n’est absolument pas mon point fort) et de la pugnacité (là, je suis un peu plus performant), on a globalement eu ce qu’on voulait avoir, à deux ou trois exceptions près. Et certaines personnes nous ont vraiment donné de gros coups de main pour remonter le courant, je les remercie ici, ils savent qui ils sont.
- Quelles ont été les plus grandes satisfactions/difficultés en cours de conception ?
Sam : La plus grosse difficulté : récupérer une iconographie correcte (c’est-à-dire pas des images chopées sur le Net comme beaucoup de musiciens nous ont envoyées)… car l’iconographie est très importante pour ce livre, il y a des centaines de photos d’époque, de flyers, d’affiches, de visuels, etc. Il a aussi fallu faire correspondre les plannings de tout le monde pour les interviews, chopper les musiciens qui étaient impliqués dans l’organisation/management de leur groupe, avoir les bonnes personnes qui pouvaient relater des histoires concrètes et intéressantes. L’autre difficulté sur un chantier de cette taille, étalé sur plusieurs années comme c’est le cas pour ce livre, c’est de garder la motivation et l’intérêt intact pour le sujet, ne pas se braquer sur quelques frustrations et désillusions, ce n’est pas toujours facile… sachant que l’on a d’autres activités (musique, édition, écriture pour des magazines/fanzines, podcast, et vie personnelle!), pas facile de tout faire coïncider…. on y a passé des milliers d’heures, et je n’exagère pas.
La plus grande satisfaction, c’est en ce moment que ça se passe, le livre est terminé, on est dans la dernière phase, il y a de l’excitation et de l’intérêt, le teaser circule, on rentre en contact avec tout un tas de gens qui semblent ultra motivés par notre livre, on en parle, on communique, on partage… pour moi, c’est clairement là que ça commence.
- A titre personnel, as-tu un regret de ne pas avoir vu percer un groupe de cette époque en particulier ? On pense à Mutilator/Mutilated jamais signé, par exemple ?
Sam : Oui bien sûr, il y a des groupes très méritants dans cette scène française… mais on comprend aussi grâce à ces interviews poussées pourquoi ça ne l’a pas fait pour beaucoup de monde. Un bon groupe, ce n’est pas seulement quatre mecs qui composent quelques très bons morceaux sur une période donnée. Il y a tout le reste. Il faut que tout le monde soit impliqué, qu’ils soient prêts au sacrifice. Mais il y a aussi les bonnes rencontres (souvent catalysées par le «mouvement», c’est-à-dire les concerts/tournées), les bons outils (labels, tourneurs, salles de concert, magazines/fanzines, etc.) et bien sûr le petit coup de pouce de destin au bon endroit au bon moment. Mais grosso modo, en lisant toutes ces interviews, on arrive à bien comprendre ce qui n’a pas fonctionné dans tout ce microcosme. Et vu que tu cites Mutilated, je précise que c’est un groupe qui a eu des opportunité pour signer sur des labels, qu’ils ont refusé pour des raisons qui les concernaient à l’époque.
- Au final, et au delà de l'esprit DIY de cette période et de quelques signatures éphémères (Massacra chez Shark, Mercyless), qu'a t-il, selon vous, manqué à la scène Française pour percer réellement, notamment à l'étranger ? Aucun groupe n'est d'ailleurs devenu professionnel par la suite, à ma connaissance.
Sam : Personnellement, je ne pense pas que l’on mesure vraiment la qualité ou l’impact d’une scène en particulier en fonction de sa « professionnalisation ». La plupart des groupes que tu dois écouter aujourd’hui et que tu trouves très bons ne sont pas « professionnels » non plus… c’est très rare. En France, le point crucial, il nous a manqué de bons outils. Il y a toujours eu problème chez nous pour tout ce qui touchait cette culture américaine/anglo-saxonne, que ce soit le Rock ou les musiques qui en découlent… mais c’est aussi valable pour une certaine branche de cinéma (de genre), la BD (comics, et autre), la littérature, etc. Notre pays fonctionne avec d’autres codes culturels que ceux des américains ou anglais (même si ça tend à être de moins en moins le cas avec cette globalisation forcenée, mais on est quand même souvent à la ramasse à bien des niveaux)… un pays où la presse musicale/culturelle n’est pas terrible ni très éclectique, ni très pointue (en tout cas à l’époque), un pays où il y a peu d’endroits adaptés pour jouer, un pays où il y a peu de labels, des tourneurs qui ne travaillent bien souvent qu’avec des styles de musiques plus consensuels, etc., ne peut pas être profitable pour des courants culturels en marge (ce qu’étaient le Thrash et le Death à l’époque… même si le Metal n’est plus du tout en marge 30 ans après les faits si tu me poses la question).
- Si la scène Française a eu des groupes au son et au style très distinct, on peut s'interroger sur l'évolution rapide de l'ensemble des formations, celles-ci ont eu souvent des racines Thrash mais se sont rapidement détournées de ce style d'origine, n'en conservant que quelques stigmates au fil des sorties. Cela a t-il pu, selon les retours en off des interviewés, constituer un frein, voire même un clivage entre fans avec l’émergence rapide du Death Metal ?
Sam : Oui, c’est vrai, en fait le Thrash en France a vraiment été peu représenté en fait, ou en tout cas d’une manière très éphémère… la plupart des groupes pionniers ont commencé avec des racines Speed/Thrash mais sont très rapidement passés à autre chose… ils suivaient tout simplement l’escalade de la violence sonore qui sévissait aux Etats-Unis et en Angleterre, ça me semble très clair. Il y a eu beaucoup plus de groupes de Death Metal en France que de pur Thrash. Et le public a plus ou moins évolué de la même manière. Même si, à titre personnel, j’aimais vraiment les deux styles quand je les ai découverts… le Death Metal tranchait net avec les racines Heavy, alors qu’on retrouvait des grosses traces de ce genre dans le Thrash.
- Avez-vous eu des refus de participation de la part de certains artistes/acteurs de la scène d'alors ?
Sam : Oui, quelques-uns, on l’explique dans une grosse introduction au début du livre. Et il y a quelques activistes que l’on n’a pas pu retrouver, ou, malheureusement, qui ne sont plus là pour raconter leur histoire.
- Y a t-il un album/groupe Français paru récemment ou une formation dont le retour t'a particulièrement marqué ?
Sam : Le retour de Mercyless est pour moi un retour gagnant. Deux excellents albums (même si j’ai une préférence pour Unholy Black Splendor) et au niveau du spirit, ils n’ont rien perdu… ils savent complètement où ils en sont, et leurs concerts sont toujours ultra féroces. Un groupe que tu peux voir sur de gros festivals Metal, dans des salles subventionnées, mais aussi dans le petit club/bar au coin de ta rue… pour moi ça fait toute la différence. Ils peuvent partager l’affiche avec des groupes de Metal Extrême moderne, de Black, de Brutal Death, de trucs old school voire même de Hardcore… ils ont tout compris, c’est le vrai deal pour moi.
- Y aurait-il un ancien groupe ou un membre interviewé dont cette idée d'ouvrage aurait pu faire émerger l'idée d'un retour, à l'instar de la scène allemande, en plein revival depuis quelques années avec plus ou moins de bonheur (Sodom avec le retour de Blackfire, les groupes comme Protector ou Darkness par exemple) ?
Sam : Crusher s’est reformé après l’interview… mais avec un seul membre originel, certes.
Il est également possible qu’Aleister se reforme sur une des soirées de présentation du livre que l’on doit faire à proximité de leur ville (Audincourt), ça serait génial, c’est dans les tuyaux, on verra bien… et une nouvelle incarnation de Nomed jouera pour un show tribute à l’occasion d’une soirée pour la réédition de leur MLP Troop of Death.
- Les fans de cette période ont tous au moins 40 ans maintenant, chacun doit se remémorer ces tranches de vie d'une période révolue, sans internet avec les TDK 90 Chrome dupliquées, et on assiste à du revival de partout, y compris en France (le tribute à Massacra au Fall of Summer en 2016). De jeunes fans arborent des t-shirts d'albums sortis avant leur naissance, selon vous que peut apporter ce livre à cette génération bercée d'internet ?
Sam : C’est le témoignage d’une autre époque. Même s’il y a pas mal de courants revivalistes ici et là (Retro Thrash, beaucoup de groupes Death à l’ancienne aussi), nous vivons dans une autre époque. Tout est différent... la manière dont on compose, dont on répète, dont on enregistre, dont on distribue, dont on promotionne la musique… c’est une autre planète. Je pense qu’il est intéressant pour la jeune génération de découvrir à quel point tout cela a changé. Et de bien comprendre que ces courants Thrash/Death/Crossover et affiliés, étaient en vraie réaction contre ce qui se faisait dans les sphères musicales plus calibrées… même s’il y avait aussi un phénomène de mode évident à l’époque… mais maintenant, il suffit de voir les festivals de Metal énormes, les sites de Merch, les magazines, les livres traitant sur le sujet, le style est complètement installé dans une culture plus globale. Ca n’a plus rien à voir. Le Metal n’est plus du tout cette musique de fous furieux que personne ne comprenait…
- Une tournée, genre "vieilles canailles extrêmes" pourrait-elle voir le jour à aujourd'hui, sachant que nombre d'albums sont devenus "cultes" avec le temps, atteignant des sommets lors de ventes en seconde main sur internet ?
Sam : Je ne sais pas, ça me semble quelque peu illusoire… pour le livre on s’est déplacés à quelques concerts des « gros » groupes français de l’époque encore actifs (presque tous finalement !), dont le French Big Four dans le Nord avec Loudblast, Mercyless, No Return et Agressor sur la même affiche, en 2015 il me semble. Le mood était bon, mais la salle loin d’être remplie.
Infos et précommandes : www.enjoytheviolence.fr
Teaser : https://www.youtube.com/watch?v=lMuCmARpE-w
superbe livre
Oui, clairement une petite bible hyper enrichissante, avec foison d'anecdotes et d'images exclusives. Chronique à venir.
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