AYREON
THE THEORY OF EVERYTHING (Album)
2013, InsideOut Music


DISC 1

1. Phase I: Singularity 23:29
a/ Prologue: The Blackboard
b/ The Theory of Everything Part. 1
c/ Patterns
d/ The Prodigy's World
e/ The Teacher's Discovery
f/ Love and Envy
g/ Progressive Waves
h/ The Gift
i/ The Eleventh Dimension
j/ Inertia
k/ The Theory of Everything Part. 2
2. Phase II: Symmetry 21:31
a/ The Consultation
b/ Diagnosis
c/ The Argument 1
d/ The Rival's Dilemma
e/ Surface Tension
f/ A Reason to Live
g/ Potential
h/ Quantum Chaos
i/ Dark Medicine
j/ Alive!
k/ The Prediction

DISC 2

1. Phase III: Entanglement 22:34
a/ Fluctuations
b/ Transformation
c/ Collision
d/ Side Effects
e/ Frequency Modulation
f/ Magnetism
g/ Quid Pro Quo
h/ String Theory
i/ Fortune?
2. Phase IV: Unification 22:20
a/ Mirror of Dreams
b/ The Lighthouse
c/ The Argument 2
d/ The Parting
e/ The Visitation
f/ The Breakthrough
g/ The Note
h/ The Uncertainty Principle
i/ Dark Energy
j/ The Theory of Everything Part. 3
k/ The Blackboard (Reprise)

Total playing time 1:29:54


Eternalis : 17/20
Part I - L’exigence du concept

Arjen Lucassen n’a jamais fait les choses comme les autres. Confectionnant des œuvres spatiales, concept extrêmement ambitieux allant au plus profond du psyché humain tout en explorant souvent des mondes parallèles, il a, au gré de ses multiples projets, expérimenté les sons, les influences, les tessitures vocales et les atmosphères pour se créer un univers unique reconnaissable dès les premiers instants.
Si Ayreon est son étalon le plus reconnu, nous ne pouvons passer à côté des deux Star One, notamment le second (l’excellent "Beyond Twilight of the Modern Age", l’un des opus les plus sombres de la carrière du Hollandais), du très personnel Guilt Machine ou encore de son essai en solo qui, lui, n’aura pas entièrement convaincu par son approche plus rock psychédélique et épurée.

De retour avec Ayreon, alors qu’Arjen avait déclaré après le stellaire "01011001" qu’il s’agirait du dernier, le compositeur/producteur revient avec un concept plus ambitieux que jamais. Quittant les cieux et la science-fiction pour revenir à une histoire plus contemporaine et humaine (à l’instar de "The Human Equation", qui suivait le parcours d’un homme tombé dans le coma en proie à ses propres émotions) mais traité sous un œil autant psychanalytique que scientifique, Ayreon vient de produire son œuvre probablement la plus ambitieuse à ce jour.
S’attaquant à la fameuse « Théorie du Tout », à ce jour resté en proie à ses nombreux mystères et s’imposant comme l’exact opposé du créationnisme, Arjen a rédigé un concept autour de personnages bien humains, ancrés dans un espace-temps inconnu mais étant face à des questions existentielles très actuelles. L’histoire de ce prodige autiste ne sera pas sans rappeler celui de "The Scarecrow" créé par Tobias Sammet pour Avantasia, ou peut au choix évoquer l’histoire même d’Arjen, lui-même souvent présenté comme un alchimiste un peu fou et isolé lorsqu’il compose. Ce jeune autiste justement qui va aider son père à résoudre le concept de cette théorie et devoir affronter les affres d’un rival impitoyable ainsi qu’un professeur chaleureux mais exigeant et un psychiatre inquiétant.
Bref, le concept est roi et les différents invités furent, plus que jamais, obligés de se plier à la théâtralité du projet afin de faire vivre les protagonistes. Les noms sont secondaires pour ces chanteurs qui se sont transcendés pour leur rôle respectif.

Part II - Un casting sur-mesure

Le casting est souvent l’une des choses que l’on attend le plus lorsque l’on évoque les opus d’Ayreon. Quelle ne fut pas la surprise de voir que JB (Grand Magnus), qui avait déjà refusé plusieurs fois, incarne cette fois-ci un professeur imposant mais plein de sensibilité. De même, Tommy Karevik apparait comme un choix judicieux et salvateur pour le Suédois récemment enrôlé dans Kamelot pour confirmer ses talents et son caractère multi-facettes (Arjen avoue même qu’il fut le seul à répondre dans l’heure, sans rien connaître du projet, qu’il était d’accord pour participer à l’album). Marco Hietala incarnera sans mal un personnage que l’on imagine rageur et maléfique tandis que Christina Scabbia fut choisie en tant que mère pour son image combative et agressive (très italienne selon Lucassen) qui sied à merveille au rôle protecteur qu’il décida de lui confier.
Inutile de s’appesantir sur les nombreux instrumentistes étant encore présents, entre Ed Warby, Jordan Rudess, Troy Donockley ou Steve Hackett (ex-Genesis) qui révèlent à chaque fois les différentes influences du maestro.

Part III - Un progressisme musical extrême

Si l’on est depuis toujours habitué aux longues plages d’Arjen, l’annonce d’un double album composé d’uniquement quatre compositions, elles-mêmes divisées en 42 parties (soit le nombre de la réponse à « La Grande Question sur la vie, l'univers et le reste » de l'oeuvre de Douglas Adams), il était évident que le Néerlandais entrait dans un type de composition encore plus exigeant, et qu’il deviendrait pour l’auditeur encore plus difficile de pénétrer dans l’album. C’est d’ailleurs ce dernier qui conseille de ne pas découvrir et écouter l’album dans son intégralité au début, d’y plonger progressivement sous peine d’être enseveli sous un trop-plein d’informations que l’on ne pourrait assimiler. Avec deux compositions par disque, d’une moyenne de 23 minutes, il est clair que "The Theory of Everything" est encore plus difficile à assimiler que le dernier opus de Beyond Twilight pour ne citer que lui. Le parallèle avec le pari de Kalisia est alors engagé, tout en sachant que c’est Brett Caldas-Lima himself (cocorico) qui a masterisé l’album, Arjen ayant peur de perdre son intransigeance devant une si grande complexité.
Néanmoins, il serait faux de citer l’album comme une œuvre démonstrative ou technique. Bien au contraire, il s’agit d’une musique épurée, retrouvant les influences parfois celtiques de "The Dream Sequencer", multipliant certes les couches de claviers et les parties acoustiques mais loin de la surenchère d’un "The Sixth Extinction" (bien que "Transformation" possède des éléments sonores très proches de "01011001"). Les pistes vocales sont au centre de tout, et on s’aperçoit qu’Ayreon n’a jamais été aussi cinématographique ("Side Effects", "Progressive Waves", "String Theory") même s’il retourne parfois dans le passé d’un "Flight of the Migrator" (le crucial "The Breakthrought").

Si justement l’opus se caractérise par son absence presque totale de refrain ou de mélodie répétitive (ce qui rend la découverte d’autant plus compliquée), il en découle cependant une immense cohérence, préservée par le thème de "The Theory of Everything", revenant trois fois sur l’album avec à chaque fois des modifications sensibles (la troisième partie avec le quatuor à cordes, notamment, est sublime) afin de ne pas simplement proposer un banal refrain. Michaels Mills impressionne quant à lui pour les notes improbables qu’il parvient à décrocher (incroyable sur "The Argument 1") tandis que Marco se veut souvent très mélancolique malgré son rôle, très désenchanté afin d’offrir une vision très noire de son personnage (chacun ayant eu beaucoup de liberté sur l’interprétation).
Forcément, certaines pistes brillent également par leur complexité technique ("Surface Tension") et si tout cet ensemble peut apparaitre très fouillis au début, voire littéralement imbuvable, les nombreuses écoutes permettent de mettre de l’ordre dans les éléments, d’y voir une certaine logique et même de trouver que tout est finalement à sa place.
C’est finalement un défi qu’Arjen propose aujourd’hui, qu’il a lui-même réussi à surmonter en le produisant mais qu’il impose à ceux souhaitant entrer dans l’album. Ceux souhaitant une immédiateté ou une spontanéité émotionnelle ne s’y retrouveront clairement pas tant il faut de la patience, de la rigueur et même de la combativité pour pénétrer la musique. Non pas que ce soit une œuvre d’esthète ou prétentieuse mais simplement exigeante. La récompense n’en est que plus belle lorsque l’on y parvient.

Part IV – Ce que l’on en retiendra ?

Il y a fort à parier que "The Theory of Everything" fera date plus pour sa conception que sa musique, ce qui est finalement dommage tant cette dernière regorge de qualités et évoque un travail monumental en amont. Cependant, la démarche à faire pour le comprendre en freinera inévitablement beaucoup en ces temps de consommation de masse, où les albums ont une durée de vie très réduite. Faire le tour de l’album résulte d’un défi qu’il serait probablement impossible à relever avant un certain nombre d’années.
Cette relative opacité masquera donc sensiblement la place que pourrait avoir cette œuvre dans la carrière d’Arjen, à qui on retiendra sûrement plus volontairement "The Human Equation", le puissant "Victims of the Modern Age" ou le très spatial, mais finalement simple d’accès, "Flight of the Migrator" (ou dans une moindre mesure "Into the Electric Castle"). Il faut prendre ce disque presque comme un spectacle, une fresque qui se déroulerait devant nos yeux. Ses défauts seront également ses qualités aux yeux des uns ou des autres.

Les derniers mots reviendront donc directement au fou furieux investigateur de cet ovni dans le paysage musical actuel : « S’il vous plait, laissez-lui sa chance, ne le jugez pas trop hâtivement. Revenez-y plusieurs fois, en plusieurs sessions. Après ces quelques efforts seulement, jugez de sa qualité, mais pas la première fois. C’est tout ce que je peux vous demander, mes amis ».

2013-11-30 12:12:21