eulmatt : 16/20 | A l’heure du jugement de l’Histoire, certains phénomènes et évènements n’ont plus lieu de générer la polémique, ils deviennent des faits incontestables, froids et insensibles aux passions subjectives des uns et des autres, y compris de leurs contemporains.
C’est ainsi que presque quinze ans après, on ne conteste plus à Korn la paternité de la vague néo-metal, ni l’ampleur du phénomène durant la décennie qui a suivie. Et en poussant plus loin ce constat, on doit admettre que le succès de Korn et de ses condisciples fût d’autant plus grand qu’il répondait à un véritable manque pour une masse colossale de jeunes métalleux en herbe, réfractaires à la brutalisation globale incarnée par l’avènement du death metal, voire même du post-thrash, héritier peu légitime d’une vague qui avait marquée les années 80. Bien entendu, ces kids n’allaient pas non plus se réfugier dans les contrées un peu ringardes du hard rock ou du heavy metal, forcément obsolètes puisque écoutés par leurs aïeux.
Bref, l’album éponyme de Korn est devenu de fait un des classiques de l’histoire du metal, idolâtré avant tout pour la rupture qu’il a engendrée. Et fort logiquement, par voie de conséquence, tout ce que produisit Korn dans les années qui suivirent, divisa franchement le monde du metal…dieux vivants d’une vague se nourrissant d’une base de jeunes fans abreuvés de MTV, icône du mal pour les vieux metalheads voyant d’un mauvais œil cette approche minimaliste qui ne respectait plus aucun des fondamentaux intouchables du metal de toujours.
Pourtant, comme souvent, les approches manichéennes sont source d’injustice. Ignorer la qualité du quatrième album de Korn, au nom du rejet définitif de ce qui se rapproche de près ou de loin au nu-metal, en est une.
Issues, dernier coup de maître de Jonathan Davies et de sa bande, apogée de son style dans ce qu’il a de plus puissant, album peut-être le plus personnel et le plus sombre.
C’est tout d’abord le thème de l’album en lui-même qui explique beaucoup de choses. Davies construit ainsi une sorte de concept autour de ses problèmes psychologiques, qu’il lie à la maltraitance subie dans son enfance. Bien que ce sujet ait été maintes fois exploité durant la carrière de Korn, c’est ici que ce fil rouge prend toute sa signification, y compris dans l’approche musicale. Son chant en tire un véritable bénéfice, montrant un panel époustouflant, d’un guttural proche du death par moments jusqu’à ces touches plaintives pleines d’émotion.
D’ailleurs, les autres musiciens ne sont pas en reste, délivrant une prestation parfaite du plus pur Korn. Et bien entendu, plus que pour n’importe quel autre style, la puissance du son et de la production étant des éléments clés, Korn bénéficie sans doute là de la plus grosse force de frappe depuis ses débuts, guitares à 7 cordes sous-accordées et basse infrasonore omnipotentes. Ajoutez à cela la maîtrise complète des compositions et notamment des passages calmes et posés, tapant généralement dans le sample bien senti et encadré par une section rythmique sachant montrer beaucoup de finesse quand il s’agit de faire monter l’émotion.
L’émotion, parlons en. Issues est à ce niveau tellement immersif que l’on suit sans peine l’oscillation permanente entre nostalgie, amertume, névrose et colère. Il faut dire qu’avec ces seize titres, le groupe s’est ménagé assez d’espace sonore pour exprimer sa créativité. Et notons que Korn parvient à ménager tout au long de l'album une atmosphère particulièrement noire, amère et introspective qui le singularise de ses prédécesseurs.
Même l’intro avec son imparable cornemuse donne déjà des frissons. S’en suit l’un des morceaux mythiques du groupe, Falling Away from Me : sample inquiétant laissant monter l’adrénaline, puis explosions successives du refrain qui dévastent tout sur leur chemin. La colère noire, furieuse, jalonne régulièrement le disque, du gros riff écrasant de Beg For Me, au superbe Somebody Someone, d’une intensité incroyable, avec ces poussées paroxysmiques successives savamment orchestrées à partir de plages au calme inquiétant, pour s’achever sur un final d’une lourdeur écrasante.
La folie névrosée est parfaitement incarnée par d’autres morceaux dans lesquels Davies excelle : Make Me Bad est à ce titre une franche réussite, autant par le chant de caméléon que par l’accroche de ces enchaînements très inspirés. On tombe même dans l’angoisse malsaine avec Hey Daddy, son couplet plaintif et oppressant - surtout avec le thème abordé, ou Davies règle ses comptes avec son père et les sévices qu’il lui a fait subir – et ses refrains colériques et volcaniques.
L’émotion atteint son paroxysme avec No Way, longue descente aux enfers empreinte de nostalgie, avec ses touches de claviers délicates qui donne un relief unique à ce morceau.
Malgré sa longueur et sa densité, Issues s’écoute parfaitement d’un trait sans jamais s’avérer ennuyeux…l’équilibre entre mélodies prenantes, breaks pachydermiques et riffs au groove inimitable empêche toute linéarité de s’installer. Son néo metal a beau utiliser des plans basiques et un jeu très direct, rien à dire, l’inspiration est présente tout au long de l’album. Evidemment, on pourra toujours reprocher de retrouver une certaine redondance dans la structure des compositions, et il est certain que la musique de Korn est quelque part plutôt prévisible. Mais ici on rentre dans le procès du genre, et en tout cas, à ce titre, Issues reste l’un des disques les plus inspirés de tout ce que je connais de cette vague.
Si il fallait encore une preuve qu’un grand talent artistique pouvait aussi s’épanouir dans les structures basiques du néo metal, Issues est celle là. Et rien que pour ce disque, Korn mérite le respect, même si il marque aussi pour moi le dernier coup de maître des Américains avant un déclin artistique aussi rapide que définitif.
2008-11-02 00:00:00
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