Motocultor 2022 - Jour 3

le Mardi 00 0000, Saint Nolff



Gohrgone

 

A mon plus grand bonheur et contre toutes attentes,  j’aurai passé une nuit à peu près correcte hier soir en m’écroulant rapidement dans ma tente - il semblerait que les plus fêtards aussi étaient fatigués après l’orgie de la veille - et c’est donc avec un ratio honorable de 6 h de sommeil que je me dirige lentement vers la Mustage pour aller voir Gohrgone. Disons le tout de suite, il y a eu quiproquo sur le groupe puisque je pensais voir le groupe français de death sympho Gorgon (sans H), et finalement, c’est un concert de blackened death brut de décoffrage que la formation que je découvre alors nous offre. Malgré les efforts d’un frontman fort sympathique et très en verve (qui interdit notamment le pit aux femmes enceintes, remercie le public du « fond du cul » et octroie à un pogoteur le titre de membre du public le plus porcin, en le récompensant d’un parpaing dédicacé par le groupe !), la musique du quatuor, bien qu’efficace et parfaitement exécutée, reste trop générique pour me convaincre pleinement, manquant clairement d’originalité et d’un brin de folie pour faire la différence. Une prestation certes sympathique par des musiciens qui jouent avec un plaisir visible, mais pas transcendant, qui aura tout de même le mérite de lancer tranquillement la journée.

Vivement la suite !

 

 

 

Schammasch

 

La Mustage se prête bien au rituel des Suisses : leur black atmosphérique et liturgique est parfaitement mis en valeur par le jeu de lumières et les costumes de scène de ses membres, sortes de longues toges noires brodées de motifs ésotériques. Les deux chanteurs, côté à côte au centre de l’estrade et le visage peint en noir, sont encadrés par les guitaristes avec leur longue chevelure blonde lâchée, sorte de mise en scène de la bataille cosmique entre ténèbres et lumières.

Même en plein jour, la musique du combo, extrêmement immersive, parviendra à posséder les masses, oscillant entre passages aériens et lancinants, riffs lourds, répétitifs et hypnotiques et harmoniques plus typiquement black tapissées de blasts mordants. La batterie, souvent très rapide, sait tout de même rester en retrait pour laisser les guitares s’exprimer, et la voix grave et cérémonielle de Chris S. R. domine et possède l’assemblée, ce dernier se montrant aussi à l’aise dans son chant éructé que dans les vocalises plus théâtrales, baroques ou atmopshériques.
La prestation est très bonne, malgré une guitare soliste aux mélodies célestes et planantes que l’on peine parfois un peu à entendre sous ce mur de cordes abrasif (jouer à trois guitares a clairement ses avantages et ses inconvénients…), et le set s’achèvera sur un Do Not Open Your Eyes splendide à la longue montée en puissance où les voix claires et profondes des deux chanteurs mêlent leurs harmonies pour un final riche en émotions.       

Every man is an abyss...

 

 

 

Wiegedood

 

Après un concert de black metal, quoi de mieux qu’un autre concert de black metal ?

L’avantage avec ce style, c’est qu’il a tellement de déclinaisons possibles que deux shows consécutifs pourront être très différents, la preuve en est d’ailleurs avec Wiegedood qui se produit sur une Supositor complètement dépouillée et de taille bien plus modeste que la Mustage. Et autant le dire tout de suite, leur musique n’a rien à voir avec celle de Schammash, les Belges dégueulant un set nu, féroce et animal sans aucun artifice : en effet, qui a dit qu’il y avait besoin de costumes, de mise en scène ou d’effets quelconques pour jouer du black ?

A trois seulement (une basse ? Pour quoi faire ?), les Anversois envoient 50 minutes de musique ultra violente, chaotique et abrasive, parfois à la limite du bruitiste (c’est d’emblée le riff de FN SCAR 16 qui nous cueille et qui se répète jusqu’au tournis), à d’autres plus rares moments vraiment belle et profonde. Schizophrène, tantôt hideuse et repoussante, tantôt sensible et lumineuse, la musique du trio montre ce qu’est le black dans toute sa crudité et sa brutalité, avec un Wim Sreppoc phénoménal de vitesse derrière ses futs et un Levy Seynaeve qui s’arrache le gosier et vomit un chant extrêmement arraché  - très en retrait, heureusement pour nos tympans ! - à la limite de la rupture.

Ici, seule la musique s’exprime, les deux gratteux, régulièrement tournés vers l’ampli, ne disant pas un mot et n’accordant pas un regard à l’audience scotchée par la performance.

Intense !


 

Regarde Les Hommes Tomber

 

Bon, je ne vais pas vous mentir, mais cela risque d’être difficile de décrire ce show de Regarde Les Hommes Tomber de manière très précise et rationnelle : je ne sais pas ce qui m’est arrivé – mettons ça sur le compte de la fatigue accumulée et des quelques bières ingurgitées - mais j’ai été comme transcendé par une sorte d’expérience mystique ; contrairement à The Great Old Ones qui évolue pourtant dans un style relativement similaire, les Nantais ont exprimé une profondeur émotionnelle et une intensité incroyables qui m’ont littéralement bouleversé.
Aucune objectivité possible pour décrire ce moment hors du temps donc, le groupe délivrant un amas d’émotions brutes et vibrantes avec une compacité et une fluidité extraordinaires. Le son était idéal avec une batterie bien dosée qui n’étouffait pas les mélodies sombres et vénéneuses des guitares, et le concert s’est déroulé de manière très simple et brute, comme une transe, la musique du quintette parlant d’elle-même. Pas besoin de discours entre les morceaux ou d’effets de scène particulier, les musiciens y croyaient, vivant et vibrant leur art et créant une connexion totale avec le public – moi en tous cas : entre passages aériens suspendus, branlées de gros riffs gras et velus, intensité black déchirante, Regarde Les Hommes Tomber ont trouvé une formule parfaite qui a trouvé une incarnation idéale sur la Massey  Ferguscène.

Magistral !  


 

 

God Is An Astronaut

 

A l’instar de Regarde Les Hommes Tomber, les Irlandais de God Is An Astronaut n’ont pas besoin de grand-chose pour faire parler leur musique : leur post rock instrumental à la fois nerveux, puissant et aérien fédère facilement le public de la Ferguscène, son efficacité se retrouvant démultipliée en live.

Sobre dans leur jeu et dans leur communication, les quatre auront livré une prestation sobre, pleine d’émotions et de tension électrique, avec quelques montées en puissance vraiment prenantes. Torsten Kinsella assurant à la fois le clavier et la guitare parvient à mener un show aussi énergique qu’atmosphérique avec maestria, prestation admirable renforcée par le reste des musiciens, particulièrement inspirés et inspirants. Le concert s’achève sur un Route 666 de toute beauté brut et écorché vif qui envoûte le public et qui vient expirer sur un mini blast beat de batterie.

 

Quand élégance, langueur électrique et puissance mêlent leurs soupirs, on obtient du God Is an Astronaut, et on en redemande. Bravo messieurs !    

 

 

 

Belphegor (AUT)

 

C’est sur les accords sombres et funestes de la Sarabande d’Händel que Belphegor fait son entrée, arborant les corpse paints, les tenues de cuir et autres cartouchières si chers au style. Là encore, comme la veille avec Seth et Noctem, tout le cérémoniel du black metal est bien présent, avec des croix renversées sur lesquelles pourrit un pauvre Christ la tête en bas, des encensoirs sur les pieds desquels s’entrelacent des ossements et deux lames effilées entrecroisées qui soutiennent le micro du hurleur autichien.

Dans un silence de mort, les trois musiciens prennent place, et le carnage auditif débute soudain. Comme on était en droit de l’attendre, le show sera carré et brutal, Helmuth éructant de son chant death toujours aussi profond et effrayant et relayé par un Serpenth qui lâche des backing vocals black très criards. Le bougre est sacrément en voix et prend volontiers la pause, tirant la langue et écarquillant les yeux en des pauses démoniaques pour le plus grand plaisir des photographes qui s’en donnent à cœur joie. La horde puise principalement dans ses trois derniers albums, enchaînant morceaux explosifs et très rapides et titres plus lents et massifs qui permettent judicieusement de souffler, le tout traversé de ces quelques fulgurances purement black qui viennent encore rehausser l’intensité de l’ensemble.

Parmi les morceaux plus anciens, on notera Belphegor - Hell's Ambassador ainsi qu’un Lucifer Infestus particulièrement destructeur et il faut aussi distinguer Conjuring the Dead à la longue intro majestueuse et épique sur lequel Helmuth met le feu au crâne d’un bouc.

Le tout est puissant et imparable, impeccablement exécuté par une machine de guerre bien huilée et mis en valeur par un son écrasant, bref, la branlée totale. Rien de bien original donc, mais un show à la hauteur des attentes qui aura séduit sans peine tous les amateurs du groupe.

 

 

 

Cult Of Luna

 

Changement de scène et changement d’ambiance pour ce retour à la Mustage : après l’ultra violence de Belphegor, place aux incantations sélénites de Cult of Luna.

Ceux qui connaissent le groupe le savent, écouter la musique des Suédois, c’est vivre une expérience à part, la chute sans fin dans une spirale de riffs tournoyants qui vous happent et vous précipitent dans un tourbillon d’émotions. La musique du quintette est brute et puissante, sans artifice, parvenant à nous immerger à travers ces épais rideaux de fumée, seul effet que le groupe s’autorise pour renforcer son aura mystérieuse et atmosphérique.

Dès les premières mesures de Cold Burn, la transe commence : tribal, pulsant comme un immense cœur animal au rythme des percussions mêlées des deux batteurs, véritable colonne vertébrale rythmique, l’art du combo respire et s’agrège au fur et à mesure de ces arpèges lancinants, de ces boucles de riffs abrasifs et des coups sourds des toms.

Montagnes russes émotionnelles qui se transcendent lors de quelques parties plus intenses où Fredrik Kihlberg, toujours à moitié masqué derrière cet écran de fumées opaques que vient embraser le jeu de lumières de la grande scène, semble fusionner avec sa guitare en une danse shamanique, le show des Suédois est animé de cette même magie qui nous envoûte et nous transporte sur album, fusionnant Vertikal, A Dawn To Fear et The Long Road North.

 

Intemporel et magique !    

 

 

Batushka

 

Certains prétendent que le black metal est un art qui repose plus sur le décorum que sur la musique en elle-même et c’est d’ailleurs ce que l’on reproche parfois à Batushka, groupe très en vogue qui pousse à fond le concept de la liturgie des ombres en faisant de chacune de ses apparitions scéniques une messe noire à part entière.

On pourra reprocher ce qu’on voudra au groupe, mais leur show est extrêmement soigné et peaufiné dans ses moindres détails : les sept font lentement leur entrée sur fond de chants d’église orthodoxe, enveloppés dans une toge liturgique et le visage masqué, tandis que résonnent les cloches qui marquent le début du rituel.

Dans une rigidité parfaite, les Polonais déroulent alors imperturbablement leur black metal tour à tour lent et envoûtant et très rapide, dominé par des riffs exaltés qui transcendent l’âme. Oui, certes, le black orthodoxe de Batushka est plutôt simple, mais sublimé par cette incroyable mise en scène, ces candélabres flamboyants, la fixité de ces moines encapuchonnés, la lumière rouge sang qui irradie la nuit ainsi que les chants monastiques des trois chanteurs dont l’un gardera son livre de prières à la main de la première à la dernière note, statue immuable, l’ambiance restera d’une densité incroyable et hypnotisera le public qui conservera un silence religieux du début à la fin, malgré quelques petits malins qui par impiété fruste, essayeront de ruiner la spiritualité du moment (on aura quand même le droit à une tentative de slam et à de timides débuts de pogos, sacrilège !).

La magie restera cependant intacte jusqu’à la bénédiction finale, lorsque le prêtre purifie l’assistance avec son encensoir et son ciboire d’où il arrose le parterre de fidèles de quelques gouttes d’eau bénite. Alors, tandis que les fantômes quittent l’église Supositor l’un derrière l’autre, comme des ombres, le maître de cérémonie achève le rituel, avec dévotion et application, éteignant les bougies votives une par une, et descend de l’autel pour venir les offrir aux officiants du premier rang. Puis il remonte, prend le crâne humain et le tend au niveau de son visage, geste ultime fusionnant la vie et la mort en un symbolisme primal et conférant tout son sens à cette prière de 70 minutes qui vient de s’achever, toujours accompagné par ces chants orthodoxes qui résonnent du fond des âges, lugubres et immatériels, avant de disparaître définitivement dans l’opacité des ténèbres.


Un concert en forme de communion sacrée et mystique qui restera comme l’un des temps forts de ce festival !    

 

 

C’est donc des images et des décibels plein la tête que je regagne un camping plutôt calme, profitant du silence relatif de la nuit pour essayer de digérer toutes ces sensations et de coucher mes impressions sur le papier. Après de longues minutes à gratter, il sera grand temps de retrouver ma modeste couche afin de se reposer un peu pour affronter le dernier jour de festival qui me réservera encore bien des surprises et des émotions fortes !

 

 


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