1986. Jojo, Ded, Lolo, Stéphane.

Nos jeunes amis, tout droit expulsés du lycée agricole d'Hasparren (64), troquent leurs fourches et leurs rateaux contre deux guitares avariées et une batterie usagée. Leurs goûts musicaux, qui hésitent entre Carnivore, les Toy Dolls et Marcel Dadi, les amènent naturellement à (dé)composer quelques morceaux furieusement débiles. Comme leurs idoles, ils veulent faire du rock et ne pas payer d'impôts. Jojo à la guitare, Ded à la basse, Lolo à la batterie, Stéphane au micro.
Premier concert à la salle de judo de St Pierre d'Irube (entrée 10 francs, 12 spectateurs) un samedi après avoir regardé une dernière fois "Sherif fais-moi peur" sur La 5 pour se donner de l'inspiration. Nullement refroidis par ce premier bide, ils continuent les répétitions dans le garage de Marcel, derrière le capot ouvert de la Talbot Horizon

1987. Un an déjà.

La première cassette de démo intitulée "The first track-tör" est éditée par un de leurs rares fans, aussi taré qu'eux. Les 6 "chansons" présentées ici ne laissent rien présager de bon. On entend tout de suite que c'est enregistré dans une salle de bains et que l'électricité avait été cochonscoupée ce jour-là. De plus, Lolo a un bras dans le plâtre suite à un accident de mobylette, ce qui est malcommode pour un batteur, surtout pendant qu'il joue de la batterie. Quelle pitié ! Signalons que le rhum agricole coulait à flots en ce mardi matin.
Un mois plus tard, Stéphane est licencié pour faute grave : absence injustifiée à un concert donné à la M.J.C. de St Jean Pied de Port. Il est remplacé in extremis par Stef, un ami secourable, qui grimpe sur scène et empoigne le micro avant la fin du troisième morceau. C'est alors que ce dernier "voit la lumière" et décide de se consacrer corps et âme à ce groupe jusqu'à la fin de ses jours ! Une nouvelle carrière de chanteur est lancée !
En septembre ils se produisent à nouveau devant la foule compacte de leurs anciens copains de bahut, un samedi après-midi, non sans avoir visionné une dernière fois un épisode de "Mission impossible" pour se donner du courage. Un concert mémorable organisé dans le garage de la grand-mère d'un copain (28 spectateurs, bière gratuite, enregistrement Dolby-stéréo sur le radio-K7 de Ded - la cassette a disparu à ce jour...) Notons qu'ils sont désormais en mesure d'aligner plus de 11 morceaux, et que l'on distingue presque une lointaine signification des paroles (?), qui sont cependant noyées dans un déluge de bêtise à 120 décibels.
Après le show, ils se saoulent une dernière fois et regardent "Cosmos 1999" (l'épisode où il y a plein de trucs visqueux et laids qui pénètrent par effraction dans la base lunaire). Faut arrêter le Ricard, les gars !

1988. L'aventure parisienne.

La ferme de Jojo périclite. Ses cochons sont malades et ses brebis ont froid car on ne tond pas les brebis en janvier ! Du coup, l'ambiance au sein du groupe s'en ressent. Pourquoi tant de nullité ? Satriani, lui, fait de beaux albums avec plein de jolies notes. "Et si on prenait des cours de musique ?" s'exclame le Ded dans un accès de mélancolie.
Trop tard ! Un coup de fil de Paris réveille Jojo un lundi matin. Les fêtes de Briscous du samedi précédent laissaient encore planer dans le salon une vague odeur de vin frelaté... Qui était donc ce type à l'étrange accent qui disait bosser pour un magazine de hard rock ? D'ailleurs qu'est-ce que le hard rock sinon Motörhead ? Bref, un représentant de "Metal Rock Hard Bourrin Magazine" propose au groupe de venir jouer à PPixtaaris. "Vous êtes cultes, déclare le scribouillard, j'ai un max' de projets pour vous : Vous ferez un 33 tours si vous vendez la ferme et si vous arrêtez de boire. Vous passerez chez Zégut !" Il était tombé par hasard sur la première démo d'Aggressive Agricultor, et avait par conséquent flairé le filon !
En mars, les Aggressive montent à la capitale par le corail de 20 heures 53. Le voyage se déroule sans encombre malgré une dernière bouteille de Ricard à terminer avant la gare d'Austerlitz. Le concert fera date et sera filmé (la cassette a été perdue...) : 827 spectateurs, bière à 10 francs, repas du soir à la pizzeria Pino. En juin, ils reviennent au même endroit. Le "Massive Mosh Festival" restera dans les mémoires comme un tremplin décisif pour des groupes comme Loudblast ou Agressor ! Cette fois-ci, les Aggressive ne sont plus que 3 sur scène car Jojo a quitté la troupe ("Trop de pression, les gars. J'abandonne !"). Il préférait la bière en bouteilles.
Pour couronner le tout, le voyage aller-retour Bayonne-Paris-Bayonne n'a pas été remboursé par l'organisateur, et le "découvreur de talents" s'est révélé n'être qu'un petit escroc sans envergure, prêt à s'enrichir en vendant par correspondance des cassettes enregistrées en répétition, et dupliquées à la main. Tous les projets, la gloire et la renommée internationale s'effondrent

1989. Xabi intègre le groupe.

Un vieux compagnon de beuverie s'invite au sein de la formation. Viticulteur à ses heures, il pique le poste de bassiste à Ded, qui s'oblige donc à apprendre à jouer de la six-cordes pour remplacer Jojo, qui est parti. Le Ded bûche frénétiquement son premier solo en écoutant "Punks not dead" d'Exploited. Un exploit sans précédent ! Les 4 zamis écument les bars de Bayonne et les salles des fêtes du sud-ouest, à la recherche d'une reconnaissance musicale que leur Pays Basque natal ne leur accordera jamais. Les concerts s'enchaînent, les cuites se répètent. Le cachet douloureusement gagné disparaît le plus souvent dans la caisse enregistreuse du bar le plus proche de la salle de concert. Cependant, les répétitions se poursuivent au rythme acharné de 3 tous les 4 mois, dans le grenier d'une ferme de Souraïde (64). Les moutons du voisin se dispersent dans la panique dès que le son apocataleptique des Marshall franchit la clôture de fil barbelé. Pauvres bêtes !

1990. Premier album.

Puisque pas un producteur n'a montré le coin de son porte-monnaie depuis l'expérience malheureuse de Paris, ils décident de se payer le studio et le pressage. Les 17 morceaux sont mis en boîte en 2 jours chez Speedy, à Anglet (64). Le CD, judicieusement intitulé "Eructation Agronomic", sortira en fin d'année et sera distribué à 1000 exemplaires par Le Silence de la Rue (Paris XVIIIème) : édition collector A.O.C. - série limitée - non dédicacée.
Au mois d'août, un méga-festival de heavy metal est organisé à Mouguerre (64), fief de l'équipe de rugby la plus violente de l'univers. L'organisatrice, inconsciente du danger, fait appel à nos braves garçons, qui participent bien volontiers à cette entreprise vouée à l'échec. Ils acceptent pour la bonne raison qu'après le concert, ils pourront rentrer chez eux à pied, contrairement aux nombreux groupes en provenance des 4 coins de l'Europe (d'ailleurs l'Europe a-t-elle bien 4 coins?)
Le festival est un bide même pas retentissant, malgré une prestation honorable des Four Horsemen ( quoi? Y'a pas que Metallica, non ? D'accord, ils sont 4, mais ont-ils un cheval ? Non. Alors que les mecs d'Aggressive en ont un chacun, eux. Non mais ! ) 52 spectateurs, vodka à 12 francs, repas sur place, magnétoscope et télé fournis dans la loge afin de regarder une K7 de "Mannix", pour se donner de l'assurance avant de monter sur scène.
D'après mes dernières infos, la malheureuse organisatrice a fait carrière dans la charcuterie industrielle, du côté de Lava

1991. Retour des fêtes de Pampelune.

Nos 4 bouseux font une halte chez Peio, rue des Tonneliers à Bayonne, afin d'étancher leur soif. Ils ont parcouru 87 km sans boire une goutte ! Les ventes de leur premier album sont encourageantes et leur rapportent de quoi investir dans de nouvelles cordes de guitare et une Muppetsmoissonneuse-batteuse avec clim' et auto-radio, ce qui permet de travailler en écoutant Michel le jardinier sur France-Inter.
Une excursion en autocar sur la Costa Brava sert de prétexte à un show improvisé dans un bar bondé de Girona. La bière est chaude, l'assistance est saoule. Un caméraman oublie d'éteindre son matériel et enregistre le concert par mégarde : 57 morceaux dont 32 reprises des Ramones - durée 1 heure 03. La cassette a été perdue. Après avoir vidé la dernière bouteille de gin, nos 4 compères vont se coucher dans la soute à bagages du bus, soûls comme des cochons. Ils se réveillent le lendemain soir, la tête dans le seau, miraculeusement téléportés à Bourges, où ils doivent se produire au printemps prochain. Ceci dit, ils ne sont en avance que de 9 mois !
Profitant de ce malheureux contretemps, le brave Steph, toujours prompt à amuser la galerie, s'inscrit à l'émission "Tournez manège" sur TF1. Comble de malchance, il est bel et bien tiré au sort et se voit contraint de participer au fameux jeu TV d'Evelyne Leclerc et Simone Garnier, sous les sarcasmes de ses collègues, toujours prompts à se moquer de lui. Il remporte le deuxième prix : 58 kg de blonde (même pas d'Aquitaine, la pauvre) avec qui il va visiter tous les bars du boulevard de Clichy, pour fêter ça. Cependant, ne perdant pas de vue son statut d'artiste vedette du label "Motocultor Prod.", il parvient à faire la promo du CD, encouragé par les gloussements de cette chère Evelyne, qui brandit une photo du groupe devant un caméraman estomaqué. Bel exploit, immortalisé sur VHS par ses congénères, restés au pays pour traire les vaches. La cassette n'a pas été perdue, malheureusement.

1992. Sur la route encore.

Rongés de remords, Jojo et sa guitare font leur retour. Les Aggressive sont maintenant cinq. Une deuxième gratte ne peut que multiplier par 1,25 le niveau sonore global, ce qui est une raison amplement suffisante pour accueillir à nouveau ce guitar-hero, que Frank Zappa lui-même n'aurait pas renié.
Un nouveau périple attend les Gunmen (et ouais, ils ont aussi des fusils de chasse ! ) Direction Paris pour la grande soirée Facochère organisée par le Fahrenheit, en compagnie des ignobles Putrid Cadaver. Ils voyagent de nuit à 12 à l'arrière d'une fourgonnette non assurée. Le chauffeur, un certain Dok, se fait indiquer la route par Jean-Michel, le batteur intérimaire, qui a la particularité d'être aveugle et fort chevelu, et qui connaît par cœur l'itinéraire qui mène de Tarbes à Issy-les-Moulineaux, y compris l'adresse exacte du Quick de Poitiers.
4 ans après, les Aggressive se produisent donc à nouveau devant un public parisien subjugué par tant de bêtise musicale. Avec la double-distorsion prêtée par François des Putrid' le Ded explose la sono et vrille les tympans de 631 personnes ! Les O.R.L. des Hauts-de-Seine ont multiplié par 12 leurs honoraires en cette année 1992.
FahrenheitLe lendemain matin, le groupe visite Montmartre, Barbès, Pigalle et la cité des Francs-Moisins, puis ils décident de rentrer à Hasparren (64) où les attend un nouveau défi: l'enregistrement du deuxième album.
Une quinzaine de nouveaux morceaux ont vu le jour ces deux dernières années. L'orientation musicale qu'a prise le groupe navigue entre ADX et Satan Jokers. Finalement, après moult tergiversations, le titre est choisi: "Hé ho Tonton Marcel" Un bel hommage au hard-rock français des années '80. Les chansons ont fait l'objet d'un long travail d'écriture, du jamais vu ! Les solos foisonnent à tous les étages; le chant est empreint d'une mélodie aéroportuaire; les lignes de basse font saliver de rage le tracteur de Maritxu; quant à la batterie, ce brave Lolo produit sur ce disque le résultat de 17 années d'étude auprès des plus grands maîtres : Dave Lombardo, Gene Hoglan, Mick Harris... Le studio d'enregistrement est propice à l'inspiration : idéalement niché au creux d'un bois, derrière une colline surplombant le petit village de Juxue (64), vue sur les Pyrénées, piscine, potager, réchaud, douche au fond du jardin. Un cadre enchanteur pour vos vacances

1993. Faits divers.

Dès le 1er janvier de cette sombre année, les ennuis commencent : tous les cochons de la ferme de Xabi ont été massacrés par un serial pig champion killer, amateur de groin farci auxTueur de cochons langues de dindon. La tuerie a fait grand bruit au nord de la Bidassoa. L'assassin, un certain Patxi, avait écouté en boucle pendant 6 jours la chanson intitulée "La Truie". Un ami inconscient du grand péril lui avait offert le CD "Hé ho Tonton Marcel" pour Noël. A l'aube du 7ème jour d'écoute, après avoir changé 38 fois les piles de son baladeur, Patxi est dans un état proche de celui d'un mec qui a changé 38 fois les piles de son baladeur : décidé à en découdre avec tous les porcs qui passeront dans son champ de vision.
Patxi s'empare de tous les couteaux de son père, qui est le boucher-charcutier d'Iholdy. Il se dirige alors subrepticement vers la porcherie de Xabi et, sur le douxième coup de minuit, en ce 1er janvier 1993, entame la première jugulaire porcine d'une série qui en comptera 39 en 8 minutes. Du sang partout !
L'assurance multirisque-Xabitation a remboursé le cheptel. Un petit porcelet miraculeusement épargné est depuis ce jour, devenu la mascotte des Aggressive Agricultor, sous le sobriquet de Roger

1994. Bordeaux sous l'emprise "agricore".

Concert événement au Jimmy's à Bordeaux : Aggressive Agricultor partage l'affiche avec les très culturels Soziedad Alkoholika, qui ne sont pas venus les mains vides puisque moult bouteilles de patxaran, bières basques et autres anisettes de contrebande jonchent la scène. Les espadrilles de Roberto (le batteur de S.A.) ahurissent définitivement notre pauvre petit Lolo (le batteur de A.A.) : il a exactement les mêmes depuis qu'il ne joue plus en charentaises, pour des raisons évidentes de transpiration. La vidéo de ce concert inoubliable a été efffacée
par un malencontreux enregistrement des "Feux de l'amour" (officiel.)
C'est à la suite de cette ultime déconvenue que Lolo décide de quitter le groupe et le monde trop cruel du hardcore rural. Repéré par un organisateur de bals champêtres, il jouera désormais au sein de la formation "La Boîte à Punaises" (tangos, paso-dobles, valses, communions, mariages) afin de parfaire sa technique de batterie et augmenter ses revenus.
Ce faisant, ses collègues (dé)composent 14 nouveaux morceaux de choix en vue de l'enregistrement du 3ème album. Un nouveau frappeur de peaux fait alors son apparition : Pascal, dont le style n'est pas sans rappeler la sonorité d'un tracto-pelle à turbine nucléaire. Il se teste en live à Bordeaux (33) au club le "Do Ré Mi", un soir de pluie.
En décembre, les studio U.H.T. ouvrent leurs portes à nos 5 idiots du village, pour quelques heures d'enregistrement et de mixage. Le CD, intitulé "Adieu toi, je t'aimais bien", sortira en 1995 sous le label rouge Motocultor Productions. Les séances de studio seront toutefois ponctuées de quelques cuites malvenues en cette période de Noël. Certaines habitudes ont la vie dure. Bonne année !

1995. Le dernier album se vend bien.

Le son résolument "métal" des compos, à la trame hardcore ultra-violente, ponctuées de solos dénués de toute harmonie, propulse les Aggressive Agricultor au top 2 des formations bayonnaises les plus violentes. Les organisateurs de concerts se bousculent pour présenter à la population la nouvelle attraction à la mode. Pourtant, le groupe se fait rare : il est difficile de concilier la vie de rock-star à une gestion optimisée de la production maraîchère. A noter une prestation d'anthologie en août sur la plage de Meschers-sur-Gironde (dans le "one-seven") : 22 spectateurs involontaires et ahuris par tant de violence, en cette bucolique après-midi; Jack Daniel's et pizza gracieusement offerts à la fin du show, puis retour aux travaux des champs. Le Massey Ferguson est un matériel coûteux, qu'il faut rentabiliser au plus vite !
En octobre, concert de soutien à l'association des riverains de la centrale nucléaire de Golfech (82) : éclairage verdâtre gratuit toute la nuit, mal de tête atomique le lendemain. Depuis ce jour, Jojo a un sixième doigt à la main gauche ! Très pratique pour les solos à la Steve Vai

1996. Split et fin.

Des tensions personnelles et autres divergences musicales provoquent le naufrage des Aggressive au mois de juin, le soir du concert sauvage donné chez Peio (rue des Tonneliers à Bayonne) pour la Fête de la Musique : en effet, Ded n'a pas souhaité partager avec ses congénères une malheureuse bouteille de Valstar, et de plus il a tenu, malgré la ferme
opposition de ses petits camarades, à jouer pour le rappel, un morceau de Venom. La coupe est pleine, il se fait virer avec pertes et fracas. Mais Jojo refuse d'assumer avec ses onze doigts les parties de guitare du renégat. Résultat : plus de guitariste !
Cependant Xabi, plein de bonne volonté, décide de cumuler basse (main gauche) et guitare (main droite). Résultat : entorse du coude, 3 semaines de kiné. Stef et Pascal, les deux rescapés, munis d'une batterie en mauvais état et d'un microphone Shure à triple impédance zoomorphique, donnent un dernier concert sur le fronton du village d'Esterençuby (64). Les gendarmes les embarquent au bout de vingt secondes. En effet, il faut éviter de s'auto-organiser un concert de hardcore un mardi soir dans un bourg de 102 habitants dont la population n'a pas été prévenue, et qui plus est, sous les fenêtres de la gendarmerie. L'aventure s'arrête là

(petit break de 8 ans)

2004. Ils ont quitté l'hôpital psychiatrique.

Portés par la nouvelle vague punk rock, nos amis se sont réunis un soir et ont parlé de "reformer l'orchestre" comme au temps des "Good old boys". Cauet a approuvé sur l'antenne d'Europe2, contrairement aux médecins qui voient mal les Aggressive reprendre le chemin de la route et conserver une stabilité si durement acquise. "L'énigme est résolue, mais le mystère demeure..." (Alain Decaux)



Source : aggressiveagricultor.free.fr/pages/bio.html