Fondé en 2000 à Bagdad, Acrassicauda est le plus célèbre groupe de heavy metal irakien existant aujourd'hui. Sous le régime de Saddam Hussein, et principalement après la guerre du Golfe, jouer du rock en Irak était la voie royale pour s'attirer des ennuis. La défaite et l'embargo qui frappaient le pays avaient rendu suspect tout ce qui provenait des Etats-Unis ou de l'Occident en général, et la seule possibilité d'écouter de la musique occidentale restait le marché noir, et les quelques radios étrangères sur lesquelles les membres de Acrassicauda se forgèrent une éducation musicale à grandes rasades d'albums de Metallica et de Megadeth.

Les membres d'un groupe précédent, Scarecrow, ayant même été arrêtés par les services secrets irakiens et jetés en prison durant deux mois pour sédition (cela rappele un peu le procès mediéval de nos 14 jeunes musiciens il y a presque deux ans de cela), Acrassicaudaen fut réduit à répéter discrètement dans des caves. Désireux de pouvoir se produire en toute tranquillité, ils finirent par se résoudre, sur les
conseils de leur professeur de musique, à la composition d'une chanson patriotique en hommage au Raïs, intitulée "Youth Of Irak". Cette concession au pouvoir en place leur permit de jouir d'une relative liberté artistique et de facilités logistiques non négligeables.

Vu les troubles et l'insécurité qui règnent sur l'ancienne Mésopotamie depuis l'éviction de Saddam Hussein, la situation est devenue nettement plus problématique pour le jeune groupe. La plupart des lieux réputés de la scène culturelle irakienne ont été soit réquisitionnés par les forces américaines, soit détruits et livrés aux pillards. D'autre part, la montée de l'intégrisme religieux dans le pays augure mal de l'avenir d'une musique qui, il est vrai,
possède toutes les caractéristiques pour être perçue comme un signe de "décadence occidentale".

Le groupe ne néglige en plus aucun aspect de l'imagerie occidentale du metal, ce qui passe assez mal auprès d'une grande partie de la population, non préparée à ce style d'expression artistique. Même au sein des fans, certains, plus modérés, estiment que l'Irak a besoin de bien d'autres choses pour l'instant que d'une musique centrée sur la tristesse et la colère. Leur dernier concert, au club de chasse irakien, a pourtant soulevé une telle vague d'enthousiasme dans les rangs du public que l'organisation, peu habituée à ces débordements, a interrompu brutalement le concert et éjecté le groupe hors de la scène, en dépit des lazzi du public. Interdit de séjour dans cette salle, le groupe n'a plus eu la possibilité de se produire depuis lors. Désireux de se faire connaître à l'étranger, et de présenter une autre facette de leur pays que celle proposée par les médias occidentaux, le groupe dispose déjà d'une maquette produite avec les moyens du bord. Ses démarches auprès de labels anglo-saxons n'ont pour l'instant donné aucun résultat. Un producteur français leur a fait part de son souhait d'inclure "Youth Of Irak" sur une compilation, mais Acrassicauda refuse qu'on les découvre au travers d'un morceau qu'ils ont été plus ou moins forcés de composer, et ne représente en rien leurs opinions.

Dans une partie du monde en pleine guerre civile, sous occupation étrangère, et où l'on ignore de quoi le lendemain sera fait ni même si on verra le soleil se lever, il faut aimer la prise de risques et surtout, disposer d'une sacrée dose de courage pour persévérer dans une telle voie, en dépit de la tradition, de la montée d'extrémisme religieux, et de la situation politique troublée. Voilà un groupe qui fait preuve de plus d'obstination et de témérité, en gardant l'espoir de voir un lendemain meillleur où l'artiste
sera jugé à sa juste valeur.