Parmi les noms qui ont traversé les océans en provenance du Japon, Mortes Saltantes ne semble pas à première vue faire autorité. Le Japon, sanctuaire du Heavy, possède par ailleurs une scène féconde et un underground bestial de premier ordre. Prenez garde à ne pas réduire aux Pères Fondateurs, que sont
Sabbat,
Sigh et
Abigail, un territoire regorgeant de talents plus torturés les uns que les autres.
Le Black
Metal nippon aurait tendance à se scinder en deux grandes catégories. D’un côté, les puristes attachés à strictement perpétuer l’héritage des early
Bathory,
Darkthrone, et des Légions Noires, à portée soit agressive, soit dépressive. De l’autre, les traditionalistes, comme Mortes Saltantes, partisans d’une vision enracinée dans le terroir japonais, enrichissant son Black
Metal de tous les artifices s’y rattachant.
Mortes Saltantes, groupe pionnier dans son domaine, originaire de Tokyo, entame son existence en avril
1994. Au cours des cinq années qui suivirent, trois démos furent enregistrées avant de disparaître en 1999. Deux éléments caractérisent l’histoire de Mortes Saltantes, l’instabilité chronique du personnel et sa renaissance après 1999, sous le patronyme japonais,
Magane. Lorsqu’on plonge dans les entrailles du groupe, on s’aperçoit que chaque démo fait apparaître de nouveaux compositeurs, même si on retrouve une épine dorsale stable avec au chant Yasufiko et à la batterie Yomituti. Cela n’occasionne aucun revirement de style, mais au contraire un approfondissement de l’intention initiale. Cette compilation regroupe l’intégralité de ces productions nous dévoilant le parcours initiatique de l’une des légendes noires les mieux gardées du Japon.
Dés la première démo, sortie en octobre 1995, se composant de deux morceaux, une forte identité se détache de Mortes Saltantes. Le groupe agrémente volontiers son Black
Metal de fulgurances baroques, pour ne pas dire théâtrales, mettant à l’honneur l’héritage japonais, tant dans la sonorité de ses claviers, aux faux airs de clavecins, que dans les envolées de sa Soprano, Yuko, qui vient illuminer par ses aigus une instrumentation primitive et rugueuse dans son déploiement. À cette époque c’est le batteur qui compose, Kenichi Kudo (as Yomituti). Le résultat représente une lutte acharnée entre une rythmique dévastatrice et des lignes mélodiques qui tentent de se frayer un chemin dans un épais brouillard sonore. Ce qui surprend tient à deux éléments : pour une première démo de Black
Metal, la production est vraiment claire et tranchante, permettant de percevoir tous les instruments sans exception. Second élément, la lutte qui s’engage entre les forces instrumentales en présence demeure plus constructive que chaotique en définitive. L’ensemble reste brut de décoffrage. Cette démo s’écoule à 300 exemplaires à sa sortie et n’est distribuée qu’au Japon. Le groupe intègre fin 1995 le cercle Black
Metal Yakuza rejoignant
Sigh et
Abigail, entre autres.
Les deux autres productions, de 1996 et 1998, affinent ses caractéristiques et renforcent la dimension japonisante dans un Black
Metal de plus en plus construit aux reliefs vertigineux et aux couleurs séduisantes. On s’attardera sur le travail des voix uniquement masculines, depuis le départ de Yuko, qui mettent en scène toute une galerie d’esprits nous faisant basculer dans un univers opératique infernal où subtilité et brutalité trouvent une cohérence insoupçonnée. Évolution et maturité sautent aux oreilles tout au long de cette odyssée des plus revigorantes et dépaysantes. Le soubassement Black thrash primitif est idéal pour faire ressortir des motifs orchestraux recherchés alliés à ce jeu de voix et de claviers permanent. Cette rencontre entre deux univers diamétralement opposées, entre les racines d’un Japon rituel et ancestral respectueux de la Nature et ses esprits et la violence instrumentale venue d’Europe trouve un point d’équilibre et une concrétisation unique et spectaculaire au sein de Mortes Saltantes. Juste pour l’anecdote, le groupe changera 3 fois de bassiste, au cours de son existence et à chaque fois le poste fut occupé par des personnages emblématiques : d’abord Yuko, dont la voix inspirante habite la première démo, puis
Kamala, en réalité Kentaro de
Funeral Rites venu épauler le groupe pour la deuxième démo, et enfin Miduti pour la dernière démo, plus connu en tant que Ryuichi, fondateur et leader d’Amduscias et surtout pilier du Black
Metal à Tokyo grâce à sa boutique, aux airs de
Helvete japonais, qui était le point de rencontre et de vente d’une génération de musiciens en pleine découverte.
En conclusion Mortes Saltantes est une plaque tournante du Black
Metal japonais que cette compilation nous permet enfin de découvrir et d’appréhender à sa juste mesure. Cette entité a fait le choix dès sa création d’enrichir son Black
Metal de ses racines culturelles. En choisissant d’intégrer des éléments caractéristiques de la voie des kamis et du Japon millénaire, en se référant directement au Gagaku, au Nô et au Kokiji dans ces textes comme dans sa musique, le groupe est devenu le porte drapeau d’un style à part entier appelé Yomi
Metal. Ce parti-pris est né d’abord d’une réflexion sur l’intérêt de reprendre à son compte la thématique sataniste alors que le christianisme n’a jamais percé au Japon ; puis en réaction au mouvement d’occidentalisation généralisé, en particulier dans les arts, depuis l’ouverture du Japon vers l’extérieur dès 1868, avec une accélération après 1945, visant à expurger peu à peu la culture japonaise de sa vision du monde héritée de sa mythologie et de ses pratiques ancestrales, même si cela reste à nuancer. Ce courant a été enrichi par les sorties de
Magane, Mïsogi, et Quest for
Blood, trois groupes issus de Mortes Saltantes tant par le style que par les membres. Voilà pourquoi la connaissance de Mortes Saltantes devient d’un coup des plus dignes d’intérêt.
« We play Black
Metal, but we are neither satanists or racists. We believe in Japanese ancient gods called Yaoyorosu No Kamigami. » (1996)
Merci pour cette chronique très instructive, comme à ton habitude !
Je ne connaissais pas ce groupe, et je vais m'empresser d'aller écouter ça grâce à ton texte qui m'a sacrément donné envie !
Bonne découverte et n'hésite pas à poster un retour...
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