Qu’aurait donné l’organisation d’un Woodstock satanique en 70, doté d'une tête d’affiche comme
Coven, et suivi d’un discours de
Anton LaVey ? Nous ne le saurons jamais, l’évènement ayant été avorté dans l’œuf avant même sa mise en orbite sous la pression cléricale et sociétale. Pourtant à l’automne 69, lors de la sortie de
Witchcraft Destroys Minds and Reaps Souls, cela fait déjà quelques années que
Coven, groupe de rock occulte fondé par la sculpturale
Jinx Dawson et ses frères d’arme, Steve Ross et Oz Osborne, tournent et mettent en scène leur "opéra gothique" en défrayant les bonnes mœurs.
Crucifix renversés, cierges, cercueils, chalices, autel sacrificiel, éclairage rougeoyant, chansons folk rock démoniaques, interludes maléfiques en latin, citations de
Crawley, messe noire, incantations et autre
Hail Crawley, tels sont les ingrédients dispensés par le groupe vêtu de capuches et capes noires jusqu’à leur interdiction pure et simple suite à l’affaire Manson. Le lien ? Une malheureuse photo parue dans un magazine et montrant le célèbre criminel sortant d’un disquaire le premier album de
Coven à la main. Il n’en fallait pas plus pour que Mercury Records, label de Chicago déjà très embarrassé par la cover intérieure à forte connotation sexuelle dudit disque (
Jinx allongée sur un autel, nue, un crâne sur le sexe, prête au sacrifice), se rétracte et rappelle les disques encore invendus, précipitant du même coup le groupe dans la fange underground la plus ingrate. Privé de sa gloire et de sa notoriété naissante,
Coven se fait ainsi voler la vedette par un groupe de Birmingham qui sort quelques mois plus tard la pierre angulaire de tout l’édifice
Metal.
En effet, de nombreux liens sont à faire entre
Black Sabbath, dont l’album éponyme est distribué par
Vertigo, justement division de Mercury, et
Coven, principalement au niveau iconographique. Pour commencer, si
Dio a effectivement popularisé les cornes, supposément héritées de sa grand-mère italienne superstitieuse, la paternité semble revenir aux membres de
Coven qui en gratifiaient généreusement le public durant leurs représentations démoniaques et théâtrales dès la fin des années 60.
Jinx ajoutera d’ailleurs à ce propos qu’elle tenait ce signe de sa famille, profondément versée dans l’occultisme, et que c’est au
Rainbow Bar, célèbre repère californien fréquenté par des stars du rock et leurs groupies, que
Dio leur aurait chouré ce gimmick gestuel. Comment aussi ne pas s’interroger sur la présence d’un Mike "Oz" Osborne dans les rangs de
Coven, ainsi que d’une chanson intitulée
Black Sabbath en ouverture de l’album, sorti, rappelons-le, plusieurs mois avant le premier jet de la bande à Tony
Iommi.
Black Sabbath serait-il finalement le groupe que les maisons de disque affiliées cherchaient à imposer après le black out sur
Coven ? C’est du moins ce que prétend la superbe chanteuse, dont les roadies auraient lors d’une tournée dans les environs de Memphis, facétieusement peinturlurés de croix renversées les portes des loges de
Black Sabbath, incitant du même coup le groupe anglais à ne plus qu’arborer des chapelets ostentatoires bien gentils en regard des crucifix renversés de
Coven.
Info ? Intox ? Anecdotes croustillantes pour le moins, les dates parlent d’elles-mêmes, mais la comparaison entre les deux groupes s’arrête cependant à l’imagerie, tant musicalement ils sont éloignés. Là où
Black Sabbath balance des riffs lourds et saturés, inventant le Heavy
Metal et préfigurant le
Doom,
Coven se montre bien plus léger et reste ancré dans un style psychédélique rock à la limite du folk, entrecoupé parfois de litanies occultes et sataniques lui conférant toute sa particularité. Pour exemple, le superbe
Coven in
Charing Cross, divisé en plusieurs parties, et articulé autour d’incartades incantatoires et diaboliques, se terminant sur les "la la la" inoubliables de
Jinx, ou encore les choeurs profondément démoniaques et délicieusement hippies du morceau
Black Sabbath, qui se termine lui sur les roulements frénétiques de Steve Ross, que viennent meubler des cris et des rires hystériques ainsi que des sons psychédéliques tirant fortement sur le Floyd.
Instrumentalement, le vrai moteur des morceaux qui composent l’album, c’est la basse très au devant de Oz Osborne, qui accompagnée des frappes sèches et rythmées de Steve Ross, constituent la dynamique de
Coven, sur laquelle viennent ensuite se greffer quelques soli de bonne facture et un soutien au clavier rappelant parfois l’orgue de Jon
Lord sur l’éponyme de
Deep Purple, sorti une poignée de mois plus tôt. For Unlawful
Carnal Knowledge, qui voit d’ailleurs un vocaliste mâle épauler
Jinx, possède bien ces montées, où rafales de caisse claire et claviers typiquement Purplelesques, encadrent une rythmique plus jazzy.
Ainsi chaque morceau possède son riff tripant et son leitmotiv occulte, que ce soit dans les lyrics portés par une
Jinx hallucinée et complètement habitée, ou un choeur à la saveur hippie décadente. Respect total pour White Witch of
Rose All, sans conteste le point fort de l’album, ou encore Dignitaries of
Hell à la rythmique terriblement accrocheuse où la guitare distille de savoureux leads, toujours sur une assise très forte au clavier, le tout ayant le parfum d’un Jefferson Airplane, façon evil.
Enfin, impossible de faire l’impair sur la pièce finale clôturant l’album, véritable messe noire de 13 minutes, témoignage unique et quasi inédit, si l’on excepte celle de LaVey parue en 68, et dans laquelle les huit membres de
Coven se plongent littéralement. Rien de feint dans ce document sonore repris quelques fois dans le milieu metal (
Mercyful Fate sur
The Oath en 84, ou encore de manière plus officieuse,
Luciferion en ouverture de son album Demonication en 94) tant les membres semblent sincères dans leur allégeance à
Crawley, ceux-ci ayant d'ailleurs la réputation après leurs shows de pratiquer des rituels jusqu’à l’aube. Ecrite par Bill Traut, producteur de l’album, en collaboration avec le groupe, cette messe noire laissera de marbre ceux venus seulement chercher un son psyché occulte et inédit, mais ne manquera pas d’intéresser les amateurs de satanisme, ou du moins, tout historien du metal soucieux de rechercher l’origine evil de leur genre de prédilection.
Musicalement loin d’être révolutionnaire, bien que prenant et singulier, mais iconographiquement capital,
Coven se montre envoutant et marqua les esprits par ses opéras sataniques sans précédents et son imagerie blasphématoire choquante. Néanmoins, dès l’album suivant, et pour les raisons expliquées plus haut, le groupe laisse peu à peu tomber l’occultisme qui l’habite, relégué qu’il est dans l’underground rock, et rentre plus ou moins dans le rang, laissant son premier né dans l’ombre de son implacable cousin metallique UK durant près de trois longues décennies.
J'ai envie d'y jeter un oeil maintenant. Mais je suis sur que je vais détester, j'ai déjà du mal avec les premiers Black Sab'...
Je dois avouer que c'est passé vachement mieux que ce que je m'attendais. D'habitude, ce qui date d'avant 1980, ça passe généralement pas. Mais là, nan, le morceau que j'ai écouté (Black Sabbath), j'ai pas eu trop de problèmes à l'écoute. Du coup, je me dit que j'ai une paire de trucs à rattraper, si j'arrive enfin à écouter des trucs aussi vieux.
Du coup, je note l'album dans un coin, et je me le ferai en entier plus tard.
Merci pour la découverte du coup :)
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