Heonia, groupe de metal progressif français, affiche dès lors une détermination à faire ouïr ses octaves et laisser résonner ses riffs, à l'image de sa volonté d'en découdre sur la scène metal internationale. Suite au discret EP «
Simulacra » (2008), le combo a pris le temps nécessaire pour peaufiner ses gammes et ses arpèges afin de nous octroyer, deux ans plus tard, son premier album full length, pièce à l'inspiration féconde et aux parties techniques finement sculptées. L'énergie créatrice est donc au rendez-vous à l'aune des onze pistes de cette généreuse galette de plus d'une heure de ruban auditif. Même si certains courants d'influences ont marqué de leur empreinte quelques accords çà et là, à l'instar de
Nightwish,
Stream Of Passion,
The Murder Of My Sweet ou
Lacuna Coil, le groupe a su y apposer son sceau pour asseoir l'originalité de son projet. Et ce, tant sur chacune de ses compositions que sur ses paroles, toutes délicatement rédigées en anglais.
Déjà, l'artwork de la pochette au design soigné renseigne sur les intentions artistiques affichées du combo. Aussi, le sextet lillois a oeuvré avec opiniâtreté pour concevoir ses titres, offrir quelques beaux soli de guitare, des arrangements assez bien réalisés et quelques séries de notes bien dispatchées. Cela dit, la qualité de l'enregistrement ne permet pas toujours de profiter à plein des compétences respectives de chaque partie mises en scène. Par moments, on ressent les effets d'un sous-mixage des voix, ainsi rendues inhibées, et n'autorisant pas nécessairement une mise en relief optimale de chacun des éléments du champ acoustique. Enfin, les finitions et les enchaînements ne sont pas toujours exempts de toute carence.
Nous découvrons alors un album d'obédience metal progressif, avec une touche symphonique, atmosphérique, un poil heavy, usant du schéma caricatural de la Belle et la Bête. Les lignes mélodiques, à défaut de s'avérer d'une grande précision, se montrent parfois invitantes, mais plus souvent linéaires, et donc, d'une immersivité relative. Néanmoins, eu égard à un travail rigoureux relatif à la section rythmique, les plages dans leur ensemble suivent une architecture percussive solide.
Les pistes typées metal progressif glissant sur un tempo rapide ne manquent pas à l'appel, Ce qui est déjà le cas sur l'entame de l'opus, « The Chase » qui, de ses nappes synthétiques nous accueille, avant de laisser évoluer la belle sur les couplets, avec des growls en faction, au rythme d'une batterie enjouée, le long de riffs écorchés, et d'une lead guitare un poil trop enveloppante. Un break survient avant que la reprise n'explose sur le refrain, plutôt agréable, mais noyé sous les vagues de submersion des accords de guitare.
Plus encore, la ligne mélodique, sans être désagréable, dans ces conditions, ne se dessine pas nettement. De son côté, «
Desire », piste introduite en finesse à la fois par une guitare acoustique et au piano, laisse convoler une roborative section rythmique et des riffs acérés, au moment où la belle et la bête pénètrent dans des couplets un poil lunaires, avant que seule la sirène ne dessine, de son flux clair, les refrains. Des cassures de rythme s'observent alors, tout en laissant percevoir quelques arpèges enjoués au piano. Des effets de surprise sont également présents : on ne s'attend pas à voir déambuler la princesse dans cet espace musical aussi sculptural que fulminant, ni un joli solo de guitare s'esquisser. Dommage que la rupture finale soit aussi brutale. Quant à « Fears », sa rythmique syncopée et ses riffs griffus s'insinuent prestement, avant que la sirène ne distille ses aériennes impulsions et quelques vibes, simultanément aux growls caverneux de son comparse. Si les couplets s'avèrent manquer de pep, les refrains, quant à eux, s'en sortent avec les honneurs. Le champ percussif, lui, se densifie, accélère son tempo et nous entraîne à suivre le léger vibrato de la belle. Quelques petits soli de guitare opportunément placés complètent un tableau riche en rebondissements et finissant sur le gong. Pour sa part, « Mirror of
Life » nous éveille au son d'une guitare sèche alliée à une lead guitare serpentante et au toucher subtil. La déesse pose sa voix claire sur une rythmique ronronnante qui ne tarde pas à s'emballer, le long de couplets un peu fades. Sur les refrains, la voix monte mais n'atteint pas sa cible, même si la bête vient en renfort, tant les harmonies ont du mal à accrocher le tympan. Un sémillant solo de guitare s'invite à nous mais n'évite pas l'enlisement mélodique. Enfin, « Loneliness », au fil des arpèges au piano et d'un timbre de voix envoûtant, un poil vaporeux, fait montre de saccades percussives et d'une lead guitare s'invitant au bal, avant qu'une imposante dynamique rythmique ne se fasse repérer. Cette fois, les refrains prennent une luminosité quasi solaire, qu'on aurait aimée plus fréquente sur l'opus. On suit alors le morceau sans sourciller de par son cheminement mélodique plutôt immersif. Autrement dit, carton plein pour l'outro de l'album !
Une touche heavy parsème aussi certains moments de cette rondelle. Ainsi, «
Requiem for the
Night » nous place au cœur d'un environnement synthétique en entrée, auquel succède une lead guitare au joli délié. Et ce, avant qu'une plombante rythmique et des riffs corrosifs ne se mettent en branle, à la façon de
Lacuna Coil. La belle s'élance sur les couplets avant un petit pont instrumental, lui permettant de prendre l'ascendant sur l'environnement orchestral, bien que ne suivant pas un chemin mélodique encore précisément tracé. Les guitares tourmentent même l'ambiance un instant mais n'empêchent nullement aux inflexions vocales de la belle de s'éclaircir. Un break opportun permet alors au corps instrumental de gagner en dynamique à la reprise, enrichi d'un petit solo de guitare. Mais, la linéarité des harmonies n'est pas encore propice à l'adhésion inconditionnelle. Sur un même schéma rythmique, «
Despair », piste heavy et nous entraînant au son d'une fringante lead guitare, permet à la belle de déployer de délicates ondulations sur les couplets, qu'elle fait danser sur les refrains à la façon de
The Murder Of My Sweet. En outre, d'intéressants changements de tonalité s'inscrivent dans cet espace sonore bien habité. Cette fois, la ligne mélodique s'avère cohérente et le solo de guitare fuligineux. Une belle reprise en piano/voix sur fond de riffs ébouriffés déboule, avant un desserrement de l'étreinte. Puis, se faisant plus entraînant, on assiste à un nouveau changement de tonalité et d'atmosphère, plus aérien. C'est dire que l'on est convié à un jeu de contrastes plutôt rondement mené.
Le combo a aussi joué sur le plan des variations rythmiques pour nous emmener à son bord. Ainsi, « A World Is Collapsing », morceau techniquement complexe, démarre sous l'égide d'un mid tempo pour évoluer vers une furieuse vélocité rythmique accolée à des riffs trapus. Mais ce, le long de couplets bourbeux et de refrains qu'on peine à distinguer. En outre, un manque de relief acoustique ne permet pas une perception optimale de tous les instruments mis en jeu, même si quelques beaux arpèges au piano nous parviennent parfois. Au final, peu de variations harmoniques et une césure terminale, on ne peut plus abrupte, s'observent. Sur une assise plus en retenue, tout en témoignant d'un certain filet d'énergie, d'autres moments de contrastes nous sont octroyés. Dans cette veine s'inscrit la ballade progressive « Broken Toys ». Au son d'un vinyle craquelant, le morceau confère une ambiance vintage confondante en entrée. Joli moment d'émotion que nous offre là le groupe, celui-ci nous agrippant au fil des pérégrinations célestes d'un filet de voix sirénien sur cette pièce aux couplets sereins. C'est alors que la rythmique se met en mouvement, simultanément à une lead guitare inspirée dessinant quelques arabesques enchanteresses, avant le retour avisé des notes cristallines de l'interprète. Soudain, un break s'intercale avant que la reprise ne bondisse, ralentissant ensuite le débit rythmique pour mieux profiter des fines impulsions vocales de la belle. Et ce, en attendant que la cavalerie ne s'agite à l'excès, elle-même précédant des paysages plus feutrés. Là encore, on quitte la piste sans ménagements. Enfin, pour « To
Die in
Silence », des gouttes de pluie au piano et des riffs arrondis s'offrent aux pavillons, avant que la bête et sa belle ne décident enfin à faire décoller leur organe incantatoire. Une lead guitare aux notes épurées assiste alors la belle sur les couplets mais les refrains ont du mal à prendre, au vu de leur complexité. Bien que quelques bribes entraînantes, lâchées çà et là, auraient pu faire pencher la balance, même les envolées quasi lyriques peinent à faire illusion tant le chemin mélodique est incertain. De leur côté, les gammes déployées à la guitare ne sont pas sans intérêt mais trouvent difficilement une base harmonique pour être mises en valeur. Quelques changement de rythme, de belles vibes vocales et un piano sulfureux en bout de piste parviennent à rattraper ces carences de justesse.
Comme une pause au cœur de l'incandescente production, le bref instrumental «
The Awakening », à la lumière de ses perles de pluie au piano et de légères nappes synthétiques, joue le rôle d'interlude, plus qu'un morceau à part entière. On ne s'attardera pas bien longtemps sur cette partition, sans réelle teneur mélodique, pour enchaîner sur d'autres secteurs plus incitatifs à l'adhésion.
On ressort de l'écoute de cet opus avec un sentiment mitigé. D'une part, on perçoit bien le potentiel affiché du groupe, sa capacité à écrire des textes bien charpentés et à composer avec minutie certaines partitions de ce répertoire. Il faudra, cependant, faire l'effort d'écouter plusieurs fois le disque avant de pénétrer dans les arcanes de quelques pistes enjouées, tout en ne pouvant esquiver certains écueils sur notre parcours auditif en mode linéaire. Ainsi, en se délivrant de certains accords parasites et en harmonisant davantage les parties vocales et instrumentales en présence, le groupe pourra impacter plus largement le public visé. Par ailleurs, quelques modularités mélodiques devront être retravaillées pour que les notes tombent plus juste, qu'elles frappent plus immédiatement l'esprit, sans pour autant tomber dans les travers de la facilité. Bref, rien d'alarmant en soi, mais des compétences à valoriser pour que le message soit plus porteur encore qu'il ne l'est actuellement.
Les amateurs de metal progressif à chant féminin pourront y trouver matière à satisfaire quelques aspirations. Et ce, à condition de ne pas succomber à la tentation de la comparaison avec des modèles identificatoires stables et éprouvés. Le combo pourrait même élargir le champ de son auditorat à des publics orientés metal gothique, atmosphérique, power ou symphonique. Dès lors, comptons sur l'habileté de nos acolytes pour trouver les ficelles qui sauront nous rallier plus spontanément à leur cause. On attend la suite du projet, non sans une certaine dose d'impatience...
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