Lorsqu'il s'agit d'évoquer la scène allemande en terme de -core, on dénote un phénomène relativement unique : en effet, au cœur des contrées germaniques, on a pu assister à une véritable explosion du genre à la fin des années 90 avec des groupes tels que
Caliban,
Heaven Shall Burn,
Maroon, les mêmes qui encore aujourd'hui défendent ardemment la cause du metal hardcore; et depuis, plus rien. A quelques rares exceptions près (
Neaera ou les martiens de
We Butter The Bread With Butter), la déferlante a disparu aussi rapidement qu'elle est apparue. Entre temps, les quelques courageux qui se sont essayés au genre se sont vite retrouvés dans la caste surpeuplée des groupes de seconde zone, ceux qui suivent mais ne se distinguent pas. Á tort ou à raison,
Six Reasons To Kill se retrouvent dans cette catégorie. En dépit de quinze ans d'activité, ainsi que de quatre albums à leur actif, les coblençois n'ont jamais réussi à décrocher une popularité conséquente, même si leur dernier opus “
Architects of Perfection” était, en de nombreux points, une jolie réussite.
Loin de se décourager, les Allemands continuent leur chemin avec leur nouvelle offrande “We Are Ghosts”, toujours sur le label
Massacre Records et nous livrent, sans aucun doute, leur meilleur album à ce jour.
Pas facile de mettre
Six Reasons To Kill dans une catégorie:
Deathcore ? Metalcore ? Il semblerait que le quintette évolue exactement entre les deux, chavirant incessamment entre l'âpreté du deathcore et le versant plus aéré du metalcore. C'est la première impression que laisse ce “We Are Ghosts”, un compromis énergique entre les deux registres, tour à tour machine de destruction implacable, à l'image de la brutalité du titre “Heartbreaker”, ou imbrication vivace d'influences metal hardcore, tel le titre introductif “The Damned”, au riff agressif, fluide et rapide. Le croisement est souvent effectué, et pourtant
Six Reasons To Kill ne cèdent jamais à la facilité, chacune de leurs hybridations faisant preuve de maîtrise, la meilleure illustration se trouvant du côté de “Inked
Inside”, un morceau aussi bluffant que surprenant, qui nous gratifie d'alternances rythmiques, de quelques harmoniques artificiels bien dosés et d'un refrain qui superpose voix claire et hurlements, pour un rendu dans la veine du morceau “Awaken the Dreamers” de
All Shall Perish, une référence plus que bienvenue.
On dénotera même, par-ci et là, des influences de death mélodique, à l'instar du morceau “Catalyst”, qui aurait très bien pu être enfanté par un des grands de la scène scandinave.
Si les expérimentations de
Six Reasons To Kill fonctionnent c'est aussi parce qu'elles s'appuient sur une maturité artistique qui, enfin, s'assume et se libère. À vrai dire, “We Are Ghosts” n'est pas la première tentative de mixité (on avait déjà pu l'entrevoir sur les albums précédents) mais dorénavant la recette pratiquée s'enquiert des années d'expérience afin de se métamorphoser en un essai sans faille. Ce cap de la maturité a pour conséquences l'assurance d'une musique scrupuleusement pensée et la volonté de peaufiner les acquis musicaux. Si ce “We Are Ghosts” fascine par la densité de son contenu, il fascine tout autant par le soin apporté à agencer les compositions, pour ne jamais lasser l'auditeur : le tempo très écrasé d'un “
God of the
Dead” garantit une ambiance insalubre inimitable, alors que “
Betrayer”, derrière son allure très groovy, effectue un revirement atmosphérique inattendu, lancé par une ligne mélodique aux résonances épiques avant de tirer sa révérence sur un tapping lancinant et qui, osons le dire, véhicule une charge émotionnelle incroyable. Véritable coup de tonnerre, la dernière piste “F... Hipster” s'aventure vers des horizons hardcore-punk, initiant une course effrénée entre le duo de guitares et la basse, un régal pour terminer l'album sur une note positive.
Sur l'ensemble des titres on retiendra aussi la performance du chanteur Lars Telkof, à l'aise comme jamais dans son registre, alternant avec facilité les phases grunt et celles de growl, auxquelles vient ponctuellement s'attacher un chant screamé perçant, dans la veine de
Beneath The Sky et
Heaven Shall Burn. Son chant viscéral s'adapte également aux tournures plus mélodiques que peuvent prendre certaines compositions, notamment le refrain de “
Unburied Again”, oxymore assumé par rapport à des couplets bien plus brutaux. Petite touche d'originalité, le morceau éponyme “We Are Ghosts” nous gratifie de la présence du frontman de
A Traitor Like Judas au chant, dont la voix s'allie bien avec celle de son homologue, proposant une ambivalence efficace.
Pour ce qui est de la production, elle n'a jamais été aussi bonne pour un album de
Six Reasons To Kill, délivrant un son puissant et râblé, qui assure la cohérence sonore tout au long des dix titres. Il reste alors à tirer une conclusion évidente: ce “We Are Ghosts” est, sans l'ombre d'un doute, l'album de la consécration pour
Six Reasons To Kill. Puissant, inspiré et régulier, “We Are Ghosts” découle du potentiel d'un groupe qui a franchi un cap décisif, jonglant sans complexe entre deathcore, metalcore et death mélodique, sans jamais éreinter sa musique. Là où bien des groupes ont fini par pourrir au coin d'une scène aride qui n'aime guère les croisements bâtards,
Six Reasons To Kill se révèlent en redoutables outsiders et démontrent que la scène allemande de metal hardcore ne tourne pas uniquement autour de quelques grands noms.
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