Cette soirée du 8 juillet 1982 restera gravée dans nos mémoires. Le lendemain, assis dans le train m’emportant sur le chemin des vacances, la lecture de l’Équipe ne parvenait pas à consoler ma profonde tristesse. « Fabuleux » barrait la une du quotidien sportif, encore en noir et blanc. Ce stade Sanchez Pizjuan de Séville, l’Andalouse, fut le tombeau des illusions perdues. En l’occurrence celles d’une équipe de France de football qui avait opté depuis le match précédent contre l’Irlande du Nord pour le fameux carré magique, où figuraient trois meneurs de jeu d’exception, Michel Platini, Alain Giresse et Bernard Genghini, auxquels se joignait le marathonien-relayeur Jean Amadou Tigana. Des débuts poussifs certes, mais ne pensait-on pas voir le petit poucet Français venir à bout de la géante République Fédérale d’Allemagne (la partie Ouest de l’Allemagne moderne) dont les odieux arrangements avec sa cousine Autrichienne lui permirent de s’inviter au second tour de cette Coupe du Monde de football en Espagne ? La force Allemande faisait face au génie Français. Malgré le potentiel de créativité de nos bleus, le réalisme de nos voisins d’outre-rhin nous condamna après 24 ans d’absence à ce stade de la compétition à la « petite » finale, celle qui laisse un profond goût d’amertume. Funeste dénouement d’une tragédie se jouant à la roulette Russe de la séance des tirs aux buts…
Suivant le sillon tracé au bulldozer par
Trust,
Warning, après 2 années d’existence et un premier album génial sorti l’année précédente, traverse la frontière pour aller enregistrer un second LP chez le fameux Dieter Dierks, producteur de
Scorpions entre autres. Auréolés d’un premier succès discographique reconnu en France (oui, oui, vous ne rêvez pas), deux des membres fondateurs du groupe,
Raphael Garrido, chanteur, et Didier Bernoussi (RIP), guitariste, estiment nécessaire de changer la section basse/batterie, qu’occuperont désormais Michel Aymé et Gérald Manceau. Ce disque bénéficie donc d’un son de qualité numérique, très rare pour l’époque, puissant et racé. Les gros moyens de la production Allemande nous offre un mur de guitares, une base rythmique inébranlable et un chant bien plus animal et aigu que le premier opus. L’imagination des deux guitaristes et la virtuosité du regretté Christophe Aubert (RIP), passé un court instant dans « l’orchestre » de Johnny Hallyday, apportent une touche aventurière et parfois exploratrice d’ambiances et d’arrangements, encore inconnue dans le paysage du
Hard-Rock en France. L’alliance franco-allemande accouchait donc, au travers de sa légendaire opposition de styles, d’un ensemble d’excellente facture, agrémenté de véritables trouvailles. Ach, kolossal produktion Allemande. Achtung !! Finalement assez proche du «
Blackout » de
Scorpions, sorti quelques mois plus tôt, on allait en prendre plein les oreilles. Et ce fût le cas.
L’entame de «
Rock City » ne laisse planer aucun doute.
Riff à peine malsain, avec une bonne petite pointe de blues de Christophe Aubert, la basse et la batterie se mettent en place. Le son est clair, la descente de manche déboule et le titre enchaine sur un mid-tempo très bien agencé. La voix de Rapha est presque reptilienne et le refrain frappe dans le mille. Un Klause Meine du Sud-Ouest, à la voix éraillée et gorgée de soleil, qui envoye son « Cité des monts » et son « Cité du blues » avec conviction voire possession. On ressent les retours de corde à la basse sur un rythme bien soutenu. La paire de guitaristes comme sur tout l’album regorge de trouvailles en tout genre. Le décollage peut avoir lieu en toute sécurité… Les perles occupent d’ailleurs une bonne place sur ce disque. Sans le savoir,
Warning inaugure avec «
Commando » le style speed-metal avec en figure de proue le nouveau duo Manceau/Aymé, et son association tom basse/grosse caisse et ligne de basse apocalyptique. Ils sont bien vite rejoints par leurs copains six-cordistes et l’orgie commence avec des Commandos arrachés des cordes vocales incandescentes d’un Rapha quasi illuminé. Présence de chœurs lors d’un pont-break, suivi d’un échange de soli tout en fluidité et démontrant la dextérité de leurs auteurs. «
Fire Fire » débute comme une fin de morceau, avec une succession de mini solo de guitares, basse et batterie. Soudain, le riff surgit, hyper efficace avec cette agressive acidité qui donne le piquant du morceau. Une ligne de batterie en 4-2 et un jeu sur cymbales très présent. La basse vrombit comme une pelleteuse alors que l’échange sur le refrain entre le cri de Rapha et Christophe est jouissif. Près de deux minutes de ce brûlot sont consacrées à un duel de lead et de solos de guitares vraiment monstrueux. « Speed Moi » porte mal son nom. Après une entame à la AC/DC des temps modernes (attardez vous aussi sur le break qui fleure bon les terres australes), les musiciens nous enfoncent dans le crâne un modèle de mid-tempo qui arrache tout sur son passage. La voix de Rapha sur le refrain trouve son écho dans la guitare imaginative de Christophe Aubert. Le rythme et le solo vous prennent les tripes et le rodéo s’achève presque un peu trop tôt, tant on en redemande.
Warning sait alterner les ambiances et atmosphères différentes. Ils se lancent sur la piste du très gros rock US avec « Bahamas
Memorial » et son riff
Saxon pur jus. Rapha s’arrache bizarrement la voix alors que les chœurs toniques s’emboîtent sur un solo aérien, donnant ainsi un ensemble très élégant. Ils abordent un blues très moderne, porté par la qualité du jeu de guitares sur « Strange Way of Love ». Un compromis aux frontières d’AC/DC pour son riff et
Van Halen pour l’amplitude et l’originalité des riffs qui s’enchainent. Distorsion et effet illuminent ce titre sans lourdeur excessive. Un slap de basse introduit « Sexy Lubie », perle de feeling à la guitare et overdose de montées dans les aigus, qu’ils soient vocaux ou musicaux. Encore une excellente rythmique assurée par Michel Aymé, qui depuis aura fait bénéficier de ses talents à de nombreuses vedettes de la variété Française comme Yannick
Noah,
Pascal Obispo ou Calogero. « Série Noire » quant à lui est un morceau heavy, au rythme chaloupé de guitares saturées et saccadé par les interventions de Gérald Manceau. Au final, quelques touches du
Trust voisin donnent sa couleur définitive à ce titre. Enfin, comme pour synthétiser l’ensemble de la performance du groupe, le disque s’achève sur un complexe et rapide « Planete Reverse ». Une basse de bucheron et un roulement de grosse-caisse martèlent un début de morceau qui s’aventure ensuite sur un chemin où les sonorités, tonalités et riffs de guitares varient les ambiances. Côté paroles, elles méritent d’être dé(vo)codées pour en tirer le substrat conceptuel. Belle alchimie d’un morceau de bravoure qui voit les membres du groupe se (re)lâcher dans un élan de spontanéité. Celui qui les habitait sans doute lorsqu’ils offrirent à Jean-François Bouquet, pour son générique des « Tympans Fêlés » sur radio 7, ce terrifiant instrumental « Prohibition » diffusé pour la première fois un soir d’Avril 1983.
Et puis, il y a aussi cette pochette culte. Rouge écarlate avec un coq cuirassé de métal et aux griffes d’acier. Un coq à l’Allemande.
Pas celui que portaient sur leur maillot nos joueurs de football Français.
Pas assez agressif et puissant, mais plutôt créateur et original dans l’âme, vif et léger, ce fameux coq d’or frappé sur le poitrail de 11 valeureux conquérants lancés à l’assaut du panzer teuton. Un peu comme l’essence de
Warning, groupe aux talents multiples, avec son carré magique lui aussi (Garrido, Aubert, Bernoussi et la section rythmique) qui touchait presque au but avec ce disque à la production à la hauteur de leurs ambitions. Ces dernières furent balayées par leur maison de disques, Polydor, en proie à des tourments internes et stratégiques qui firent voler en éclat le succès d’estime de la critique internationale et l’accueil du public. Ou comment gâcher un potentiel artistique par des considérations obscures de business plan. Signe du destin sans doute. Et toujours ce profond goût d’amertume…
A Didier et Christophe, ride on…
Avec les copains, nous avons dû découvrir ce disque en 1996 (22 ans putain), prété par Jean-Mi, le tonton hardos de la bande qui nous fournissait en "nouveautés". Mes potos ont adoré de suite, et j'étais alors le seul sceptique qui ne s'est pas applati devant les délires de Rapha. Malgré la qualité de la prod' (juste monstrueuse) et surtout du flamboyant jeu de guitare, je n'accrochais pas vraiment.
J'ai retrouvé ce disque sur un stand il y a un an et demi, et je me suis enfin rendu compte à quel point mon erreur fût immense à l'époque. Il est absolument énorme cet album et il avait tout ce qu'il fallait pour concurrencer l'international : du style (putain le talent de Christophe Aubert, hallucinant. On croirait entendre un live tellement ça groove), de l'originalité, un bon chanteur, un batteur excellent et même très "moderne" pour cette période (comment il enterre Rarebell pour reprendre la comparaison avec "Blackout") et un son de malade.
Pourquoi passe-t-on à ce point à côté de chef d'oeuvre des fois ?
Qui a dit T O C A R D ?
Merci mon Did' d'avoir rendu hommage à ce bijou.
réécouté ce matin, toujours aussi grandiose. Un supporter de la première heure.
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