Si le nom d’
Antigama ne vous évoque rien, sachez que ce groupe de grind polonais a déjà derrière lui un parcours respectable (4 albums et une palanquée de splits), suffisamment pour faire partie de la prestigieuse écurie Relapse depuis déjà quelques années. Pour être plus précis,
Antigama fait partie de cette génération de jeunes groupes qui revendique un renouveau du genre.
Zeroland puis
Resonance, les deux albums précédents, ont achevé de bâtir l’identité singulière du groupe, ce qui est parfois utile dans ce milieu pour espérer exister...
Les possesseurs de
Resonance ne seront sans doute pas surpris lors de la découverte de
Warning. Pour les autres, ce sera l’opportunité de comprendre pourquoi
Antigama est parfois vu comme un ovni...et ce n’est pas la pochette singulière qui contribuera à éclaircir le mystère.
Prenez donc une solide ossature de grindcore. Des guitares au son crû, assez abrasif, plutôt typiques du genre. Une basse technique et vrombissante, une batterie qui aime le matraquage et le jeu en rupture, malgré un son de caisse claire horripilant (genre baril de lessive). Rajoutez là-dessus un chant growlé il faut bien l’avouer un poil monocorde, au timbre ultra entendu (Max Cavalera et ses milliers d’émules...) – en régression par rapport à
Resonance soit dit en passant.
Jusque là rien que de très banal. Et effectivement, ça blaste, ça charcute, ça bombarde, pour ça on est servi. Maintenant que vous appréhendez un peu mieux cette moëlle death/grind, passez-la au mixer avec un fond d’indus, lorgnant parfois jusqu’aux vices polyrythmiques à la
Meshuggah…le mélange paraît détonnant mais très rapidement, ça et là, vous allez relever ces structures alambiquées, ce goût pour les cassures rythmiques aussi fréquentes qu’imprévisibles. Puis vous noterez aussi l’utilisation de ces breaks courts mais artistiquement essentiels, qui viennent asseoir les compositions.
Antigama s’amuse à balancer son grind au travers d’un jeu décalé, avec des riffs lancinants ou sifflants donnant cette texture parfois synthétique aux morceaux, qui par ailleurs s’enchaînent naturellement comme si le disque n’était fait que d’une seule composition à tiroirs.
En fait, une nouvelle fois
Antigama démontre sa volonté de ne pas s’enfermer dans les schémas classiques du death/grind. Sans être moins violente ou brutale que celles de ses congénères, sa musique inspire une atmosphère vraiment décalée, évitant bien souvent l’affrontement direct. J’irais même jusqu’à y voir une forme d’ironie, d’hermétisme dans la vision du monde d’
Antigama. Son approche n’incarne pas une colère épidermique et passionnelle, il se situe sans doute plus dans une forme plus conceptuelle de la rébellion qu’il veut générer. Il y a une forme d’intelligence artistique dans le metal des Polonais, sa puissance n’étant pas entamée par un parti pris volontairement abstrait.
Warning est donc façonné par cette approche alambiquée, qui se manifeste avant tout au travers de la gestion rythmique plus que dans le contenu musical proprement dit, qui reste la majeure partie du temps ancré dans un grind/death robuste. Bien sûr,
Antigama sait varier les registres, j’en veux pour preuve l’humour macabre de
Lost Skull, morceau de metal psyché croisé avec du grind, le délire electro-jazzistique de
Paganini, les plans complètement barrés de Heartbeat ou de Empty Room ou grind et math ne font qu’un seul « core » ...parfois intéressants, mais rarement cohérents, ces morceaux peuvent même virer au remplissage franchement dispensable : le seul Black Planet, instrumentale insipide, ampute ainsi de sept minutes un album déjà court (35 minutes au total…).
De plus, en plaçant ces compositions plus extravagantes en fin d’album,
Antigama ne joue pas la carte de l’homogénéité, et
Warning donne l’impression d’être scindé en deux, entre une première période ultra compacte et une seconde plus barrée et désarçonnante.
Après appropriation de l’album, on peut se poser la question des progrès réels affichés par
Antigama. Les Polonais en font-ils trop ou pas assez ? Le manque de linéarité dans les constructions s’avère parfois handicapant en terme d’efficacité, et les amateurs de grind/death moissonneuse-batteuse à la
Rotten Sound risquent de rester sur leur faim, malgré une première moitié d’album décapante. Inversement, si les amateurs de trucs barrés divers et variés (de
The Dillinger Escape Plan à
The Locust, en passant par
Genghis Tron) seront forcément sensibles à l’inventivité des Polonais, je doute que
Warning les impressionne beaucoup. Car sur le coup, je persiste à penser que le groupe n’est pas allé au bout de ses idées. Pourtant issus de la vieille école, les américains de
Cephalic Carnage ont montré depuis bien longtemps une créativité débordante et ambitieuse sans que cela nuise à l’impact et à la cohérence de leur musique. Certes, n’est pas
Cephalic Carnage qui veut, et les deux groupes ont une approche différente du grindcore. Mais si avec ce nouvel album d’une qualité indiscutable,
Antigama lève encore un peu plus les derniers doutes quant à son potentiel, il n’est pas choquant de parler de stagnation par rapport à
Resonance.
Il va peut être lui falloir oser un peu plus désormais, histoire de ne pas devenir un éternel futur grand.
C'est une image pour parler du grindcore bourrin qui fait pas de détail et qui matraque sévère (d'où l'exemple de Rotten Sound).
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