Décidément, je ne sais pas si ce sont les vapeurs cannabiques, mais il y a vraiment quelque chose de spécial qui traîne dans l’air des Pays-Bas : entre Deynonichus,
Urfaust,
Gnaw Their Tongues,
Dodecahedron ou
Wederganger, la scène black batave a enfanté de combos hybrides et avant-gardistes gentiment dérangés.
Heureusement pour nous, masochistes que nous sommes, Dodenbezweerder n’échappe pas à la règle. Duo formé en 2019 et ayant déjà accouché de trois démos et un EP dans l’ombre, les Hollandais délivrent avec leur premier full length, sorti chez Iron Bonehead sous format vinyle, une musique complètement possédée, dont chaque seconde s’apparente à un tâtonnement dans les ténèbres les plus noires, abritant une entité malsaine et néfaste dont l’on sent constamment la présence invisible et profondément malveillante tout le long de ces 42 minutes. Ces six titres nous précipitent au fin fond d’une crypte millénaire témoin de rituels innommables, ou d’une vieille maison hantée qui renferme des secrets macabres et de nombreux cadavres sanguinolents dans ses placards.
L’ambiance est à couper au couteau, les instruments créant un brouillard opaque nous enveloppant dès les premières secondes et nous plongeant dans une angoisse irrépressible. Ces guitares lentes, menaçantes, rampantes et sournoises se distillent comme une brume maléfique dans l’atmosphère, nous plongeant malgré nous dans un profond sentiment de malaise (dès le début de Vrees de toorn van de wezens verscholen achter majestueuze vleugels), formant une plainte continue soutenue par un mur de basse.
L’ensemble est complètement dissonant et antimélodique, composant une sorte de bourdonnement sifflant qui évolue lentement, instillant cette ambiance horrifique indicible (le début d’Opgeslokt door de ontzielde leegte, à l’ambiance incroyable, aussi funèbre que fascinante, le
Haat in het aangezicht van de verscheurde zielen de clôture, angoissant au possible, qui semble vouloir nous emmener définitivement de l’autre côté). La musique de Dodenbezweerder évoque des vieux gramophones qui jouent tout seuls et susurrent une ariette grésillante et sinistre, des ombres furtives qui passent dans votre dos en chuchotant, des portes qui claquent sans courant d'air, de vieilles ampoules qui explosent soudain dans le silence angoissant de la nuit, bref, ces mille horreurs inavouables et cachées qui cèdent la place à une peur muette et paralysante lorsque, en pleine nuit, vous vous réveillez seul dans votre lit, encore agité des spasmes d’un cauchemar trop terrifiant pour que vous vous en souveniez. Dans cet amas de distorsion aussi bruitiste qu’hypnotique, distinguons tout de même le superbe Opgeslokt door de ontzielde leegte, complainte déchirante, belle et mélancolique comme la nostalgie poussiéreuse et la souffrance des siècles passés, semblant incarner les pleurs d’une âme déchue condamnée à errer seule et sans but dans le monde des vivants.
Les fréquences graves des guitares et de ces basses désincarnées semblent flotter comme une armée d’ectoplasmes, rythmées par cette batterie sourde à l’écho étouffé (Zalf de voeten van het hoofdeloze lichaam, mélopée déjà morte et décomposée depuis des siècles, un peu à l’instar d’un
Xasthur, où un crachat de notes désaccordées et sifflantes nous invite à une valse morbide), et de cette infâme cacophonie surgissent des recoins d’ombre les hurlements déments de M. de Jong, nous poursuivant de leurs stridences cruelles. Cette voix, glaçante à se faire dresser les poils sur la nuque, n’est clairement pas humaine, et croyez-moi, vous n’aimeriez pas vous retrouver en face de l’entité qui la produit.
Quelque part entre
Slagmaur,
Black Cilice et les abominations ambiant que sont
Abruptum,
Aghast ou Psuchagogoi, l’art sonore de Dodenbezweerder est infiniment torturé, maladif, et réellement flippant, à l’image de cette pochette, malsaine au possible, qui ferait passer Annabelle pour une gentille poupée Barbie.
Amateurs de noirceurs musicales et de sensations fortes, ce Vrees de toorn van de wezens verscholen achter majestueuze vleugelsst est fait pour vous. Si vous n’avez pas peur de vous plonger dans les ténèbres les plus totales, osez affronter la colère de ces créatures innommables, mais soyez prévenus : il n’est pas sûr que vous en reveniez indemne…
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