Après seize ans d'une indéfectible et fructueuse complicité artistique, on pouvait subodorer que l'aventure n'allait pas s'arrêter en si bon chemin pour ces deux membres clés de deux groupes majeurs de la scène metal néerlandaise...
Plus encore, Simone Simons (vocaliste principale du groupe de metal symphonique
Epica, et ce, depuis sa genèse, en 2003) et
Arjen Anthony Lucassen (pluri-instrumentiste, vocaliste et producteur du groupe de metal progressif
Ayreon, qu'il fonda il y a près de trois décennies déjà, où Simone apparaît en tant qu'invitée dans sept de leurs réalisations, dont les dantesques « 01011001 » et « The Source ») décidèrent, d'un commun accord, de conjuguer leurs talents aux fins d'un projet parallèle, estampé du seul nom de celui de la charismatique vocaliste batave.
De cette étroite collaboration naîtront, en premier lieu, trois singles («
Aeterna », «
In Love We Rust » et «
R.E.D. »), soit trois des dix pistes de leur premier album studio, «
Vermillion », signé, dans la foulée, chez le puissant label allemand
Nuclear Blast. Cela étant, au fil des 46 minutes du ruban auditif de la rondelle, nos deux acolytes nous plongent dans un espace metal mélodico-symphonique moderne, un brin organique, dont l'atmosphère futuriste, insufflée par d'omniprésentes nappes de claviers dispensées par
Arjen, n'est pas sans renvoyer à
Ayreon. Composé dans sa totalité par ce dernier, ce set de partitions ne cristalliserait-il qu'une simple juxtaposition de talents réunis pour l'occasion, où la patte du mastermind tendrait à estomper quelque peu celle de sa comparse ? Ne symboliserait-il pas plutôt une heureuse symbiose entre deux artistes aguerris, inscrits dans deux univers metal qui parfois se côtoient et se complètent souvent plus qu'ils ne s'opposent ?
Un ambitieux projet se dessine, où nombre de musiciens et vocalistes chevronnés viendront prêter main forte à la mezzo soprano et parolière et au claviériste/guitariste patentés. Concernant la partie instrumentale, sur l'entièreté de l'album ont été sollicités : Koen
Herfst (
Arjen Lucassen's Supersonic Revolution,
Vandenberg, guest chez
Epica...) à la batterie et Rob van der Loo (
Epica, ex-
Delain, ex-
Mayan) à la basse.
Plus qu'une quelconque collaboration, l'agrégation de tels artistes au projet donne le sentiment que nos deux maîtres d'œuvre n'ont nullement cherché à naviguer autrement qu'en terrain connu. Impression renforcée par les interventions ponctuelles de : Ben Mathot (
Dis, guest chez
Ayreon,
Epica,
Stream Of Passion,
Xandria...) au violon, Jurriaan Westerveld (guest chez
Ayreon,
Stream Of Passion) et Perttu Kivilaakso (
Apocalyptica, guest chez
Epica,
Sonata Arctica,
Stratovarius...) au violoncelle, ainsi que Joost van den Broek (
Arjen Lucassen's Supersonic Revolution, feu
After Forever, guest chez
Ayreon,
Epica,
Xandria, Star One...) au piano.
Les lignes de chant suivent également cette tendance, lorsqu'on sait que se trouvent impliqués : le growler et instrumentiste Mark Jansen (
Epica,
Mayan, feu
After Forever, guest chez
Ayreon,
Dark Sarah,
Diabulus In Musica), la chanteuse Alissa White-Gluz (
Arch Enemy, feu
The Agonist, guest chez
Tarja,
Kamelot,
Delain...) et le vocaliste John Jaycee Cuijpers (
Arjen Lucassen's Supersonic Revolution, guest chez
Ayreon,
Blind Guardian,
Powerwolf...). Pour compléter le tableau, une pleiade d'artistes se voient sollicités en qualité de choristes sur l'outro de l'opus, «
Dark Night of the Soul », parmi lesquels : les membres restants d'
Epica (le batteur/vocaliste Ariën van Weesenbeek, le claviériste et orchestrateur Coen Janssen et le guitariste/vocaliste Isaac Delahaye), le vocaliste Jasper Erkens (guest chez
Powerwolf), le bassiste/choriste Johan van Stratum (
Stream Of Passion), la guitariste Lori
Von Linstruth (
Guilt Machine, ex-
Stream Of Passion...), Monique Hooft et Peter Ketennis. Excusez du peu !
Si ce premier mouvement repose à la fois sur des lignes mélodiques le plus souvent finement sculptées et des plus immersives, sur une technicité instrumentale et vocale difficile à prendre en défaut, et sur une heureuse fusion de styles, sa production d'ensemble s'avère, en revanche, plus déconcertante. Pourtant produit, enregistré et mixé – tout comme pour
Stream Of Passion, Star One et
The Gentle Storm – par
Arjen Lucassen, et mastérisé par Joost van den Broek – investi dans la production d'albums de
Mayan,
Nemesea,
Xandria,
End Of The Dream,
Epica,
Ex Libris, entre autres – l'opus témoigne d'enregistrements assez souvent contrariés par un gênant effet de compression. Se superposent des finitions restant à parfaire et une persistant surmixage des lignes de claviers au détriment de l'instrumentation comme des lignes de chant. Autant d'éléments contribuant à atténuer la profondeur de champ acoustique de la galette, et, par voie de conséquence, le confort auditif procuré. En dépit de cet amer constat, le méfait n'est pas sans réserver quelques moments de réjouissance...
S'il ne s'y est pas réduit exclusivement, le combo nous octroie quelques magmatiques passages, aptes parfois à nous aspirer dans la tourmente. Ainsi, sous couvert de virulents coups de boutoir et de riffs acérés, l'organique et pulsionnel « Weight of My World » nous plonge dans un espace metal symphonique moderne enjoué, générant, de fait, une énergie aisément communicative. Recelant un refrain, certes, convenu mais des plus invitants, relevé par le gracile filet de voix de la déesse, l'entraînant méfait pourrait bien pousser le chaland à une remise en selle sitôt l'ultime mesure envolée. Par ailleurs, un headbang bien senti et quasiment ininterrompu sera assurément généré à la lecture du mid/up tempo « The
Core ». Avenant et jouant habilement sur les effets de contraste oratoire – les claires modulations de la mezzo-soprano alternant avec les growls abyssaux de Mark Jansen – l'énergisant manifeste ne va pas, hélas, sans concéder de répétitives séquences d'accords. Mais nos acolytes disposent de bien d'autres arguments encore pour asseoir leur défense et se jouer des nôtres !
Ce faisant, la magie n'opérera pas moins à la lecture de pistes à la cadence un poil moins vive. Ce qu'atteste, en premier lieu, « Cradle to the Grave », low/mid tempo aux riffs épais et calé sur une sente mélodiques des plus engageantes ; une grisante plage symphonique moderne se dessine, où la ''sirénienne'' empreinte vocale de Simone et les fluides ondulations – parfois entrecoupées de growls glaçants – d' Alissa White-Gluz offrent un poignant face à face. On regrettera toutefois l'étouffante présence des lignes de claviers, contrariant, de fait, tout effet de relief du violoncelle de Jurriaan Westerveld. Dans cette mouvance, le low tempo opératique et progressif «
Dystopia », pour sa part, happera le tympan tant au regard des célestes oscillations de la princesse que du flamboyant et substantiel solo de guitare esquissé. Un tantinet plus déroutant et bien que recelant de persistantes linéarités mélodiques, mais parsemé de puissants coups d'olives et de growls judicieusement positionnés et des plus frissonnants, là encore signés Mark Jansen, le low/mid tempo «
R.E.D. » ne saurait davantage être esquivé.
Quand ils nous mènent en des espaces plus intimistes, nos compères trouvent non moins les clés pour nous retenir plus que de raison. Ce qu'illustre, tout d'abord, «
In Love We Rust », ballade romantique jusqu'au bout des ongles et s'écoulant le long d'une radieuse rivière mélodique ; magnifiée par les angéliques impulsions de la maîtresse de cérémonie, sous-tendue par des nappes de claviers aux sonorités résolument futuristes et enorgueilli d'un vibrant solo de guitare, l'instant privilégié comblera assurément les plus exigeantes des attentes de l'aficionado d'environnements ouatés. On ne saurait davantage éluder la ballade atmosphérique «
Fight or Flight » eu égard aux prégnants arpèges d'accords sur lesquels se greffent les troublantes envolées lyriques de la frontwoman. Et ce ne sont ni les ''floydiennes'' lignes de guitare dispensées ni la délicatesse du mélancolique violon de Ben Mathot qui nous débouteront de ce propos fortement chargé en émotion, loin s'en faut. On pourra également se sentir porté par les vibes enchanteresses insufflées par la ballade symphonico-progressive «
Vermillion Dreams », où, dans une perspective plus ''parsonienne'' et sans, cette fois, s'avérer prépondérantes, les félines rampes synthétiques s'ajustent parfaitement aux pénétrantes volutes d'une interprète bien habitée. Enfin, imprégnant la ballade a-rythmique «
Dark Night of the Soul », de sensibles arpèges pianistiques coalisés aux larmes versées par le touchant violoncelle de Perttu Kivilaakso viendront flirter avec les caressantes ondulations de la diva. Chapeau bas.
Mais ce serait à l'aune de sa pièce metal symphonico-progressive que le duo serait au faîte de son art. Ainsi, «
Aeterna » se pose telle une petite fresque opératique assortie d'une touche orientalisante et d'une pointe de modernité, infiltrée d'un virevoltant coup d'archet, signé Ben Mathot, et témoignant d'enchaînements intra piste ultra sécurisés. Unifiant les cristallines inflexions de la belle, une enveloppante muraille de chœurs – où s'inscrit John Jaycee Cuijpers – et d' ''ayreoniennes'' rampes synthétiques, cette sémillante offrande constituerait à la fois une parfaite osmose entre les univers respectifs des deux artistes et un moment de pure jouissance auditive.
On l'aura compris, tout au long de notre périple, c'est dans un bain orchestral aux ''ayreoniens'' remous que se love volontiers l'aérien et fondant grain de voix d'une interprète au top de sa forme. Et, en dépit d'une ingénierie du son en proie à quelque irrégularité, force est d'observer que la sauce prend le plus souvent, in fine. Ayant veillé à varier ses phases rythmiques à l'envi et judicieusement diversifié ses joutes oratoires, pour un rendu tenant toutes ses promesses, le duo concède, cependant, des exercices de style quelque peu stéréotypés, ne nous sortant, de fait, que rarement hors des sentiers battus. En découle un message musical, certes, invitant, solaire et empreint de délicatesse, mais aux arpèges d'accords déjà courus, où l'originalité n'est alors que peau de chagrin, et manquant parfois de profondeur d'âme.
D'incompressibles carences que des mélodies subtilement esquissées, une technicité instrumentale parfaitement huilée mais nullement ostentatoire, et les apports d'artistes chevronnés, conviés pour l'occasion, pourront partiellement compenser. Pour espérer happer plus immédiatement et, surtout, plus durablement le féru de metal mélodico-symphonique progressif et, plus encore, un tympan déjà familiarisé aux travaux de nos deux compères,
Arjen comme Simone devront trouver matière à nous surprendre plus qu'ils ne l'ont consenti ici, quitte à nous bousculer un peu dans les plus tenaces de nos certitudes. Ce qui revient à repenser le projet dans son concept comme dans son économie, et peut-être même dans sa dénomination. Bref, un premier mouvement aussi enjoué et sensible que prévisible et taillé dans la roche...
Merci pour la chro :)
Je serai peut être moins critique que toi sur la production, ce qui me dérange dans cet opus c'est les mélodies d'Arjen qui ont du mal a se renouveller si bien qu'on a l'impression d'entendre du Gentle Storm, du Ayreon etc déjà écouté mainte fois....
Dans un des projet solo d'Arjen y a un morceau qui évoque qu'on a fait le tour de tout ce qui a été inventé, je pense qu'Arjen aussi génial soit il a manqué cruellement d'inspiration ici
Merci pour ton retour!
Je suis bien d'accord avec ton ressenti concernant les mélodies parsemant cet album, plus ''ayreoniennes'' en l'âme qu'autre chose. Un effet de redondance, gênant pour certains, je le conçois, qui, toutefois, ne m'a pas empéché d'apprécier les quasi 3/4 de l'album ; peut-être que les prestations plutôt soignées et envoûtantes de Simone ne sont-elles pas étrangères à cet état de fait!.
Mais, aussi agréables soient-elles, ces lignes mélodiques ne sont pas non plus inoubliables, ou, pour le moins pas toujours imparables. Bref, nous est donc livré un assez bon album, que l'on espérait meilleur au vu d'une telle complicité artistique entre deux pointures de cet espace metal.
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