En Suisse, à chaque décennie, on pourrait se risquer à dire qu'on trouvait un unique groupe de black metal assez solide pour marquer la scène internationale. Durant les 80’s, c’était
Hellhammer/
Deathspell Omega du côté des précurseurs. Durant les 90’s, c’était
Samael, dont le premier album «
Worship Him » valait bien certains Norvégiens. À partir de 2000,
Darkspace a pris le relais en se taillant une réputation en or au sein de la scène underground. La question est maintenant :
Schammasch sera-t-il le porte-étendard helvète pour les années 2010 ? «
Triangle » semble l’annoncer.
Et si vous voulez le vérifier, j’espère que vous ne sortez pas de table parce que «
Triangle » est copieux. Avec plus de 100 minutes de musique réparties sur trois disques (de chacun 33 minutes et 33 secondes, sûrement une coïncidence), il réclame forte persévérance à l’auditeur qui s’y attaquera. Et l’effort ne sera pas requis à cause de sa seule longueur, car chacune de ses parties, à la direction artistique distincte, ne ménage pas l’endurance de celui qui s’y risquera, qu’il s’agisse du black metal dissonant de ‘The
Process of
Dying‘, du doom pesant de ‘Metaflesh‘, ou des nappes droniennes flirtant avec le dark ambient de ‘The Supernal Clear Light of the
Void‘.
Schammasch a suivi l’évolution du genre dont il se revendique sur le premier disque, évitant ainsi de tomber dans le conservatisme qui pollue trop d’albums d’une scène qui n’a, paradoxalement, jamais été aussi prolifique. ‘The
Process of
Dying‘, par ses dissonances, rappelle la frange avant-gardiste du black metal, qu’on lorgne du côté de
Deathspell Omega ou de
Dodecahedron ; or, avec ces deux formations, on frise parfois l’indigestion lorsqu’ils se perdent dans un marathon sonore à rallonge avoisinant les vingt minutes par titre.
Schammasch évite cet écueil grâce à sa partie vocale, Chris S.R. rappelant parfois le style puissant de l’inénarrable
Nergal de
Behemoth – ce qui a valu au groupe, à ses débuts, de se faire taxer à tort de ‘
Behemoth suisse’- un style vocal séduisant que le groupe aère avec des chœurs occasionnels, à la dimension sentencieuse bienvenue.
La comparaison avec
Behemoth est naïve, car, à la différence des Polonais,
Schammasch est également caractérisé par des influences doom, déjà audibles sur le soft précédent. Ici, plutôt que de les faire fondre sur leur black metal sans compromis, le groupe divise son identité sur deux disques séparés. Le résultat, c’est que la première partie, ‘The
Process of
Dying‘, étale une violence qu’on ne leur connaissait pas, riche en blastbeats et assoiffée de carnage. L’essentiel des éléments doom se rassemble ensuite sur la deuxième partie, qui se détache également par des chants clairs plus présents, et des guitares risquant des mélodies plus traditionnelles, donnant l’impression d’avoir affaire à un total autre album – si ce n’est carrément un autre groupe !
La troisième partie, de son côté, risque de susciter des réactions plus timides au sein de la metalosphère, la faute à ses ambitions expérimentales assumées. Pourtant, loin de
Sunn O))) et de ses compositions minimales,
Schammasch s’essaie pour la première fois à ce genre particulier avec succès, nuançant ses nappes atmosphériques par d’occasionnelles percussions tribales évoquant, avec bon goût, ce qu’on peut retrouver chez Za Frûmi. Si rapprochement avec drone il y a, on citerait plus facilement
Locrian que
Sunn O))).
Considéré dans son ensemble, «
Triangle » s’avère un album extrêmement abouti, qu’il s’agisse du concept qui l’accompagne ou de la partie musicale en elle-même, soignée avec un sens maniaque jusque dans ses temps morts. Un tel perfectionnisme s’éloigne évidemment de l’esprit primitif des débuts du genre, mais il s’inscrit dans une évolution amorcée durant la seconde partie des années 2000, et maladroitement qualifiée d’ « avant-garde ». C’est avec fierté qu’on voit
Schammasch s’installer dans cette mouvance qui permet peut-être au black metal de subsister.
J'ai beaucoup écouté la chanson metanoia.
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