Bien sûr que l’Espagne est un pays à tradition celtique. Vous me prenez pour un menteur !? La Galice et les Asturies sont bien représentées au festival interceltique de Lorient. Il y a eu aussi ce que l’on appelle les Celtibères, ayant vécu au centre de la péninsule ibérique avant l’arrivée des Wisigoths. On dira que ce peuple n’est que le résultat d’un mélange de Celtes venus du nord et d’Ibères déjà existants, ce qui est vrai, mais ça n’ôte en rien son héritage culturel celtique. Une formation castillane de folk metal semble l’avoir très bien compris. Elle considère les Celtibères comme ses ancêtres directs et la musique celte comme une richesse faisant partie intégrante de son patrimoine. Pourtant, à bien les écouter, il y a quelque chose sans rapport au monde celtique dans leur musique. Peut-être est-ce leur penchant pour un groupe comme «
Korpiklaani » ? Cette impression est néanmoins estompée par l’influence au modèle du folk celtique qu’est leur compatriote « Mägo de Oz », autre de leurs influences majeures. En se passant leur premier ouvrage daté de 2011, «
Tirikantam », la bande originaire de Ciudad Real n’a vraiment pas à rougir à côté de ces deux pointures du folk metal.
L’opus débute avec une introduction tout en vigueur et en insouciance, dans un folk celtique jovial particulièrement réussi qui fait songer aux musiques dansantes des Brésiliens de «
Tuatha De Danann » ou à une petite fête populaire emmenée par la flûte dans un village de Galice ou dans les Monts Cantabriques. Cet extrait plein de gaieté se termine sous les applaudissements et les discussions en langue castillane. On cherche pourtant en vain la part d’hispanité du produit. «
Celtibeerian » semble s’accommoder d’un folk celtique couplé d’influences éminentes aux formations finlandaises en vogue. « The
Path » n’est ainsi pas sans rappeler «
Finntroll », usant d’une fougue et de sonorités quelque peu similaires. Cependant, le groupe castillan vénère davantage l’autre ogre finlandais qu’est «
Korpiklaani ». Celui-là figure en bonne place des formations favorites des Espagnols et marque profondément les chansons les plus festives du présent volume, telle « The Great Feast », un hymne à boire, un extrait divertissant à l’esprit campagnard, qui réussit là où les Français de «
Cave Growl » ont essayé.
On rapprocherait «
Celtibeerian » à «
Cave Growl », car on y trouve le même esprit, mais également des inspirations identiques. Néanmoins, «
Celtibeerian » se montre beaucoup plus professionnel, développe de manière intelligente les différents éléments folkloriques : flûte, violon, cornemuse. Ils bénéficient d’un bien meilleur son si on le compare au seul opus délivré par leur cousin français. La qualité sonore fait véritablement la différence. Elle permet d’enrailler certaines frustrations liées à la faible durée des titres de l’album «
Tirikantam », mais aussi parfois leur redondance. Car, oui ! Les morceaux sont assez répétitifs, bien qu’avoisinant le plus souvent les 3 minutes de durée. On en a d’ailleurs un bon exemple avec un « Praise to the Vineyards » énergique et désinvolte. Le chant de Gus y est relâché, détendu, quelque peu en contraste par rapport à la musique essentiellement dominée par les efforts prodigués par la cornemuse. C’est très souvent guilleret et déchaîné comme nous le prouve ce morceau. On pourrait aussi relever le cas du vibrant « Riding
Home » où le chant fait de nouveau quelques écarts par ses à-coups lors des couplets. Façon de prendre son élan pour ensuite dynamiser le refrain.
Il faudra toutefois nuancer la part festive de l’album, car celui-ci comporte également des titres à l’ambiance moins joyeuse. On se serait attendu à quelque chose de très enthousiaste sur « Sacred Wine ». En fait le ton y est neutre, solennel. Musicalement, celui-là entretient une certaine forme de tribalisme par ses chœurs mais aussi par ses percussions. Le morceau se montre ainsi remarquable, subtil, original. L’expérience n’en est que plus exaltante. Cette neutralité se ressent tout autant pour un « An Dro », sincère et exploitant une touche champêtre assez typique des formations slaves. Cet instrumental est percutant, mais ne parvient pas à égaliser celui de « Gallaecia », beaucoup plus nourri, dégageant des humeurs différentes, comme l’atteste la révolution produite à partir de 1:40 où tout n’est plus que gaieté. Une belle petite promenade à vrai dire, qui s’éloigne de la beauté triste et touchante de «
Warrior’s
Sorrow ». Ce bref instant émotif est ici bien aidé par le violon de dame Patricia. On croit cerner à travers ces morceaux quelque peu différents de la majorité un certain intérêt pour le folk de l’Est, et notamment celui d’ «
Arkona », bien que l’influence à travers le volume reste minoritaire, voire superficielle.
Vous l’aurez compris, «
Celtibeerian » en 2011 n’affichait pas vraiment une personnalité propre. Un premier album est souvent livré à moult influences. C’est un essai avant de rechercher une identité. En dépit de cela, «
Tirikantam » propose une musique bien calibrée pour nos oreilles. La production et le mixage ont été bien travaillés. Les compositions, sans vraiment s’avérer étonnantes se révèlent plus qu’honnêtes, tout bonnement distrayantes, amusantes même. On passe réellement un bon moment à l’écoute de ce produit. Il est néanmoins dommage que les morceaux proposés soient de trop courte durée. On pressent là une certaine limite au travail de composition, peut-être en ayant anticipé un problème de redondance. Ce qui prouve aussi que «
Celtibeerian » a conscience de ses limites et capacités. Ce qui est en soi prometteur pour un premier album. Loin de là, en Grèce, est écrit sur le fronton d’un ancien temple de Delphes : « Connais-toi toi-même, et tu connaîtras l’univers et les dieux. » On peut toujours espérer que les prochains dieux soient celtibères.
14/20
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