Slagmaur est un groupe atypique. Fondé en 1997 sous le patronyme de Norske Synder, le combo emmené par General Gribbsphiiser se tapit pendant près de dix ans dans l’ombre, affinant petit-à-petit son style à coups de démos et de cassettes obscures. Puis le label
Black Hate Productions repère le potentiel du trio norvégien, et
Slagmaur peut enfin délivrer sa prophétie à un monde malade, accouchant au grand jour d’une trilogie grandiloquente et décadente à l’empreinte sonore unique, mélangeant un côté baroque, théâtral et fêlé à un black lent, lourd, sombre et dissonant, le tout enveloppé d’une ambiance glauque et poisseuse à couper au couteau.
Ceci dit, depuis le
Von Rov Shelter paru en 2009 chez les géants d’
Osmose Productions, plus rien. C’est donc à point nommé et après une hibernation de presque dix ans que le général et ses sbires reviennent pour nous sortir leur quatrième full length,
Thill Smitts Terror et rassurer la horde de masochistes qui attendaient impatiemment la nouvelle parole de leur messie déchu. Enfin.
Et dès les premières notes plombées de Drummer of Tedworth, on reconnait avec des frissons de délice et d’angoisse le
Slagmaur de nos cauchemars, avec ce mur de guitares bourdonnantes si typiques dont l’essaim de notes sifflantes semble se tordre, s’effilocher et s’amplifier au fil d’un rythme lent et moribond. Puis le fabuleux
Werewolf nous lobotomise de sa symphonie diabolique, porté par ces guitares aussi gluantes qu’hypnotiques qui nous emmurent dans leurs dissonances schizophrènes, ainsi que par cette double imperturbable et désincarnée semblant pulser comme un cœur en fin de vie.
Le chant d’Aatselgribb est toujours aussi incantatoire, s’incarnant sous forme d’aboiements rauques réellement habités, de hurlements black plus déchirés ou de déclamations litaniques. Les notes de six cordes, acides et nauséeuses, rognent toute vie, exhibant ainsi un désert noir et calciné dans lequel les coups de butoir de LT Wardr résonnent, lourds et réguliers, amplifiés par le tocsin funèbre de la basse qui gronde sourdement dans ce néant que l’on croirait englouti dans les entrailles de la terre. Effectivement le tout nous parvient comme de très loin, sourde mélopée étouffée, décomposée, comme à l’agonie, mais une fois le bouton Play activé, l’horreur remonte paresseusement à la surface, portée par un coulis de guitares bouillonnantes, et le monstre musical, sûr de sa victoire, se meut avec une lenteur hideuse et inéluctable, nous cernant de toutes parts et ne nous laissant aucune échappatoire.
On soulignera les quelques notes de piano inquiétantes sur Bestemor Sang Djevelord, armée de diablotins grimaçants qui jaillissent soudainement de leur boîte et qui rajoutent une note de folie délectable dans cette composition macabre. Impossible également de passer sous silence l’impressionnant Hekeskritt, monstre de 11,48 minutes qui nous empêtre dans la fange de ses guitares visqueuses et délétères à l’avancée inexorable et destructrice comme mille coulées de lave en fusion. Ce titre est sans doute l’un des plus ritualistes et angoissants, avec ces « hey ! » scandés et ces chœurs maudits, le rythme lourd et obscène nous imprégnant de cette sensation palpable de terreur confuse et imminente, sourde menace tapie dans les ténèbres et qui semble prête à fondre sur nous à tout instant. Tout vibre et tournoie en un chaos sifflant, avec ces cris étouffés et ces plaintes diffuses noyées dans ce mur de grattes et de basse tellement assourdissant qu’on finit par ne même plus l’entendre. C’est un fait, on ressent la musique de
Slagmaur plus qu’on ne l’écoute, on la subit tandis qu’elle nous pénètre lentement, insidieusement, nous abrutissant et nous suffocant sous sa lourdeur et nous cloîtrant dans l’hermétisme de cette prison de distorsion et de dissonances malsaines.
Finalement, même si neuf ans séparent ce nouveau cru de
Von Rov Shelter, la patte du trio est tout de suite identifiable et la musique n’a que peu évolué, toujours aussi glauque, pesante et dérangeante. Non,
Slagmaur continue ses pérégrinations occultes et ritualistes sans se soucier du temps, et ces six nouvelles offrandes hallucinées sonnent comme le prolongement de la cérémonie précédente, annihilant toute lumière, et n’offrant aucun espoir de sortie.
Certes,
Thill Smitts Terror ne jouit plus de l’effet de surprise de
Svin, et l’ensemble de ces pistes est extrêmement opaque et répétitif, avec les mêmes riffs qui tournent en boucle indéfiniment comme une nuée de mouches autour d’un cadavre pourrissant, mais cette nouvelle offrande s’écoute d’une traite comme une messe noire maudite et nous envoûte d’un bout à l’autre de ces 43 minutes. Non, il n’y a pas à dire,
Slagmaur n’a rien perdu de son savoir-faire, et possède toujours l’art de nous fasciner en nous emmenant aux limites du malaise. Indispensable, comme tous les autres albums du groupe.
Allez on se repasse Heksekritt...
Bonne soirée
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