Nom :
Terra Tenebrosa
Profession : Psychopompe
Devise : Avale tes médoc’ et la ramène pas !
L’exigeant label
Trust No One Recordings regroupe dans son catalogue des groupes qui ne sont pas franchement connus pour faire danser les foules un samedi soir (
Khanate,
Isis,
Kongh…), et
Terra Tenebrosa ne déroge pas à la règle. C’est obscur, malsain, fangeux et… inattendu. "
The Tunnels" est présenté comme étant « un voyage inquiétant et cinématographique à travers l’esprit sombre du monarque de
Terra Tenebrosa, The Cuckoo ». A l’instar de ce carton d’invitation, cet album ne laisse que peu de prises auxquelles se raccrocher pour en décrire le contenu, nous allons donc procéder de manière pragmatique :
1.
Terra Tenebrosa c’est qui ? c’est quoi ?
Ce groupe a été formé en 2009 en Suède autour d’ex-membres du combo post-hardcore
Breach. Et c’est à peu près tout ce qu’on sait car cette formation suédoise cultive le secret et ses membres cachent leur véritable identité derrière des pseudonymes : The Cuckoo, Risperdal et Hibernal. En mars 2011, ils sortent leur premier album intitulé
The Tunnels et à l’écoute duquel des noms aussi divers que variés surgissent à l’esprit :
Life’s
Decay première période pour le côté angoissant et cru,
Atrium Carceri,
Eyehategod,
Angst Skvadron… en un mot : une sacrée tambouille ! qui promet à l’auditeur une belle plongée dans les abysses…
2. Une esthétique plutôt bizarre, non ?
L’artwork représente The Cuckoo arborant un masque glauque au possible et brandissant une trompette. Cette image est aussi intrigante qu’effrayante, à mi-chemin entre l’esthétique d’un
Death In June et un mauvais trip façon David
Lynch. Le livret, hormis les quelques informations d’usages relatives à la composition de l’album et à l’enregistrement, contient quelques courtes citations de Krishnamurti, Oscar Wilde... et… The Cuckoo : une citation énigmatique pour un personnage cultivant le cynisme et le second degré ? ou simplement un grand mégalo ? En fin de compte explorer ce livret ne nous apprend rien. Il faut s’y résoudre : pénétrer dans l’univers de
Terra Tenebrosa signifie accepter de marcher à tâtons dans l’obscurité…
3. Et cet univers à quoi ressemble-t-il, musicalement parlant ?
En voilà une question embarrassante !... Euh je… pour faire simple je dirais que… ben ça ressemble à rien… euh… z’avez pas une autre question ?... non ?... ah, vous insistez ! OK, puisque c’est comme ça !...
The Tunnels, c’est une musique lente, oppressante, déstructurée, drapée dans un spectre ambiant à base de samples, de nappes de synthés et autres multiples effets qui donne à l’ensemble un côté industriel. Un ciel de guitares saturées gronde des menaces sans jamais vraiment exploser. Une véritable épée de Damoclès qui finit par vriller les nerfs et vous file des cheveux blancs ! "The Teranbos Prayer" ouvre le feu avec un début dark ambiant soutenant la comparaison avec
Atrium Carceri : nappes lugubres, voix fantomatique psalmodiant on ne sait quelle invocation tandis qu’une batterie récite un
De Profundis épileptique à coups de fémurs rancis. En 2 minutes le malaise est palpable et une sourde menace rampe à nos pieds. Et ce n’est que le début…
Soudain, sans comprendre ce qui nous arrive, un mur de guitares nous enfonce la tête à quinze kilomètres sous terre. Un riff lourd, boueux et sans oxygène. Des guitares avec un son sludge fuligineux (voir le titre "The
Arc of Descent" pour l’exemple) que n’aurait pas renié
Eyehategod et totalement en adéquation avec le vent de folie malsain qui hante les sept compositions de
The Tunnels. Par ailleurs les guitares savent céder leur place à bon escient afin d’éviter de noyer des compositions qui reposent essentiellement sur un minimalisme froid, ambiancé finement orchestré qui rappelle certaines formations black metal avantgardistes du genre
Angst Skvadron.
Donc, les morceaux s’enchaînent dans une valse entre le très bon et le génial tandis que l’auditeur, de plus en plus pâle, s’enfonce très loin dans les ombres de
Terra Tenebrosa. Il faut dire que la compagnie du vénéneux "The Mourning Stars" ne se refuse pas avec son début enjôleur et sa longue et imparable montée en puissance cauchemardesque, pas plus d’ailleurs qu’on ne peut décliner l’offre du monstre bicéphale qu’est le froid et religieux "Guiding the
Mist/Terraforming" qui développe des ambiances bizarres et tordues proches de ce qu’on trouve chez un
The Ruins Of Beverast. Le seul truc qui n’était pas écrit sur le dépliant publicitaire c’est qu’une fois entré dans
The Tunnels il est impossible d’en ressortir et on se rétame la tronche sur le dernier morceau éponyme et faussement ambiant qui nous balance dans le vide et attend le choc final avant de baisser le rideau.
4. …Ça à l’air totalement taré ce truc !... mais n’y a-t-il pas des défauts sur ce disque ?
Si on cherche à pinailler, il y en a un principalement et qui se situe au niveau des vocaux. Bon, il faut déjà se mettre d’accord, il n’y a pas de chant sur ce disque ni rien qui s’en rapproche. Ce que j’entends par vocaux sont en fait des voix lointaines masquées par de multiples effets qui récitent des trucs incompréhensibles. Malheureusement, à certains moments elles n’échappent pas au piège de la caricature "je-suis-le-croquemitaine-et-je-fais-peur" (par exemple sur le titre "
Through the
Eyes of the Maninkari"). Ce côté épouvantail d’
Halloween, même s’il n’est pas vraiment gênant, empêche ce disque d’accéder à la note suprême. Sinon, c’est un album excellent, mêlant avec brio des atmosphères ritualistes et opaques, voisines du black metal, avec les lourdeurs abyssales d’un sludge savamment dégueulasse.
5. Une conclusion peut-être ?
Pour conclure, on peut dire que tous les amateurs de musiques sombres, extrêmes et autres friands d’expérimentations sonores hors des sentiers battus devraient se régaler avec ce disque obsédant et chronophage.
Terra Tenebrosa montre avec ce premier album une personnalité forte et originale qui mérite grandement le détour.
J'ai pré-commandé l'album dès sa sortie, il ne m'a pas fallu plus de 3 minutes pour être convaincu/séduit, et je suis loin de regretter ce coup de tête. Une très belle sortie et une chronique leur rendant parfaitement honneur (avec de belles références!).
Ce sentiment, cette présence d'une terreur/horreur silencieuse, cachée, jamais éclatante mais omniprésente est comment dire... jouissive!
Terra Tenebrosa est autant inspiré que Breach, sans même ressembler à ce dernier, qui aurait osé l'espérer!
Le genre d'album à acheter les yeux fermés.
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