«
Procession: Cortège solennel à caractère religieux accompagné de manifestations rituelles (chants, prières, etc.) » - Source: Larousse
Si la définition française du terme se restreint presque exclusivement à la notion du cortège religieux, le terme est plus flou en anglais et possède plusieurs significations. Ainsi le fameux dictionnaire Oxford propose: « Un ensemble de personnes ou de véhicules avançant de manière ordonnée, particulièrement dans le cadre d'une cérémonie », « action d'avancer de manière ordonnée » ou bien, dans un contexte théologique, « l'émanation du Saint Esprit ». En baptisant son premier album
The Long Procession,
Amia Venera Landscape ne s'y est pas trompé tant celui-ci s'avère être une oeuvre en perpétuel mouvement, suite logique de morceaux à l'empreinte mystique.
Mais avant de s'attaquer à l'oeuvre complexe et torturée que représente cet album, une petite présentation semble s'imposer.
Derrière ce nom mystérieux (dont le groupe ne souhaite pas dévoiler la signification) se cache un sextet italien originaire de Venerio Venetto en Vénétie (tout du moins c'est là qu'ils se réunissent pour répéter et composer) formé en 2007 et dont le but est de créer tout simplement la musique correspondant à leur état d'esprit, leurs influences, leurs inspirations et aspirations sans se poser de limite. S'assumant totalement et prenant le risque de ne pas être signé sur un quelconque label, justement pour ne pas voir leur créativité contrariée par de quelconques obligations contractuelles ou mercantiles, le groupe sort en 2009 un premier EP éponyme de trois titres puis
The Long Procession en décembre 2010, tous deux auto-produits.
The Long Procession est ce que l'on pourrait appeler une oeuvre totale: un album concept dont les 10 titres ont été composés pour s'enchaîner parfaitement, comme un seul et même morceau. Une longue procession s'entamant dans la douleur et la fureur d'
Empire et prenant fin avec les derniers sanglots de The
Traitor's March. Au premier abord la musique et la démarche d'AVL (pour faire plus court) semblent élitistes, mais nous dirons plutôt qu'elles se méritent. Il faudra en effet prendre le temps d'apprivoiser ces morceaux qui se renouvellent sans cesse truffés de breaks improbables, ces enchevêtrements de guitares réverbérées, les accélérations meurtrières ou à contrario les longues plages ambiantes et progressives qui composent ce monolithe protéiforme de près de 70 minutes.
Partant d'une base Post-Hardcore rappelant
Isis ou Cult of
Luna, le groupe brode un canevas musical ultra complexe dans lequel s'entrechoquent Mathcore, Ambiant, Emo, Musique Classique, Post Rock, voire quelques relents Thrash progressifs et dissonances «meshugguesques ». AVL propose donc une musique résolument complexe et exigeante qui ne saura être appréciée qu'au fil des écoutes. Il faudra de la persévérance pour apprécier Nicholas, ses mélodies sitôt broyées dans des breaks Mathcore, ce duel vocal incessant, cette avalanche de riffs réduite au silence par des vagues ambiantes à leur tour broyées par la lourdeur et les dissonances des trois (!) guitares, jusqu'à ce final somptueux où s'entremêlent mélodies vocales et hurlement damnés, portés les guitares réverbérées.
Plusieurs écoutes ne seront pas vaines pour dompter
Empire, titre d'ouverture d'une violence inouïe et mettant KO d'entrée. Imaginez un instant
The Dillinger Escape Plan qui aurait échangé ses tripes avec celles de
Cult Of Luna et revêtu la puissance de
Gojira Imaginez un instant 3 minutes de broyage méthodique ou les riffs ne cessent de s'empiler (essayez de compter les riffs rien que sur la première minute) et aboutissent à un superbe passage atmosphérique instaurant une atmosphère oppressante. Puis un final dantesque et surpuissant à mi chemin entre
Isis et
Hacride, vient mettre un terme à cette première et monstrueuse baffe assénée par le sextet. On pourrait ainsi s'étendre sur chacun des morceaux tant ceux-ci recèlent de riffs, de mélodies, de breaks incroyables.
Résolument progressive et complexe (quasiment aucun riff ne se répète), la musique d'AVL se laisse apprivoiser au fil des écoutes, révélant à chaque fois de nouveaux détails, de nouveaux arrangements. On se laissera d'abord emporter par l'énergie et l'agressivité cathartique déployées par les morceaux, puis on finira par être envoûté par les mélodies, la voix claire à la fois lumineuse et mélancolique de Marco Berton, guitariste et second chanteur ; puis les interludes atmosphériques finiront par révéler leur richesse et sceller la cohésion de l'album. Car au delà des morceaux « post-mathcore », le groupe a intégré plusieurs interludes aux croisements de l'ambiant et de la musique classique. Ascending est certainement le plus réussi et représentatif, avec ces 8 minutes d'ambiant où un piano réverbérée égrène des notes mélancoliques, sur fond de grésillements. Sur de nombreux albums ces interludes auraient été interprétés comme du remplissage. Mais ici, ceux ci permettent d'apporter une cohérence à l'album et de lier entre elles ses différentes parties.
À l'écoute de
The Long Procession on sent un groupe et des musiciens en pleine possession de leurs moyens, maîtres de leur art. Ecoutez Marasm pour vous en convaincre, instrumental de plus de 14 minutes, au cours duquel le groupe dévoile toute sa palette musicale. Le batteur développe un jeu phénoménal, ultra carré et technique, capable de martyriser ses fûts avec une rage folle comme de d'appuyer les ambiances grâce à un jeu de cymbales/charleston précis. Les trois guitares se complètent parfaitement et apportent une richesse et une puissance indéniables à la musique grâce à la superposition de couches mélodiques. Si sur
Empire les guitares semblent former un véritable mur du son imperméable, elles se diversifient et apportent parfois une dimension quasi symphonique aux morceaux (A New
Aurora). La basse reste relativement discrète et contribue à compléter le mur du son formé par les guitares, cependant elle délivre quelques mélodies (A New
Aurora) ou bien se pare d'overdrive pour assurer toute seule la rythmique (Marasm) quand les guitares restent en retrait.
Les hurlements du chanteur principal, Alessandro, emplis de hargne ne viennent que renforcer la puissance de la musique d'AVL. Ceux-ci sont parfaitement contrebalancés par le chant mélodique de Marco. Toujours utilisé de manière juste et s'insérant dans la progression des morceaux, le chant clair surligne parfaitement la dualité de la musique entre violence et mélancolie.
Enfin on ne peut que s'agenouiller devant la production, absolument fantastique, de l'album soulignant parfaitement l'alchimie entre puissance et mélodie. Le sont est énorme, la batterie massive, les guitares surpuissantes, les mélodies cristallines. Le chant, bien que puissant et audible, n'est pas mis en avant et permet de garder cette impression de rage se fondant dans le magma des guitares si chère au genre. On se demande vraiment si le groupe aurait eu mieux en étant sur un label et, de ce fait on ne peut qu'admirer le travail et la passion qui anime ces musiciens, tout en restant ébahi par un talent qui frise l'insolence.
Car oui, avec
The Long Procession AVL signe une œuvre magistrale, un album d'une qualité rare où la complexité est mise au service de la musicalité, où les détails d'apparence superflue finissent par prendre leur sens au fil des écoutes. Ce premier album est une œuvre douloureuse, qu'il faudra apprivoiser avant d'en saisir la beauté et les subtilités, un voyage périlleux qui nous conduit vers la lumière : une longue procession... Certainement ce qui est arrivé de mieux au Postcore depuis
The Eye of Every
Storm de
Neurosis et
Panopticon d'
Isis, c'est dire...
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