Les machines. L’homme. Mécanisme. Humanité. Technique. Emotion.
Depuis des temps immémoriaux, ces termes semblent vouloir inlassablement se contredire, formant une antithèse parfaite de ce qu’est et n’est pas l’être humain. La machine, vulgaire produit de la technique expérimentale de l’homme, de son esprit et de son savoir, sans âme ni pensée, s’écartant de son créateur par une impossibilité à ressentir ou à simplement exister.
Le combat entre eux fut conté des milliers de fois, que ce soit dans la littérature (
Minority Report pour ne citer que lui) ou le cinéma (
Terminator, Matrix), mais bien peu on tenter de raconter l’apport que chacun pouvait conférer à l’autre, ou imparfaitement.
Le constat est presque identique concernant la musique. Parlons du monde électronique, de sa froideur, de son inhumanité caractéristique de sons alignés les uns aux autres sans cohérence, dans l’unique but d’aliéner un auditeur perdant tout repère. Évoquons maintenant le rock, sa chaleur, sa sueur et son sang, son énergie humaine, quasi bestiale, touchant son but en plein cœur. Comment oser les marier complètement ?
Mortiis l’a fait. Certains diront que ce n’est pas le premier, mais le norvégien (ancien bassiste d’
Emperor) est parvenu a une fusion proprement unique de son art, même si l’on ne peut nier que l’électronique a pris progressivement le pas sur le métal, la froideur et l’aliénation effaçant inéluctablement la sueur et le sang.
Présenté dans une forme déjà insolite, "
The Grudge" ne sera évidemment pas à la portée de tous. Le livret, uniquement formé de superposition de feuilles transparentes, forment une pochette aux milles facettes, aux infinis reliefs, comme une preuve de la multitude des évaluations possible de la musique.
Comment débuter une description musicale ? D’emblée, à l’écoute de "
The Grudge" (La Rancune en français), il ressort une impression fortement monolithique de l’ensemble, un sentiment d’étouffement lié à ce qui semble être une répétition inlassable de plans identiques, de mélodies (est-ce le terme ?) semblables et surtout d’effets désagréablement dérangeants. Notre esprit se partage entre convoitise et déception, ne sachant que penser, complètement dérouté par une musicalité bien au delà des normes, décidément hors des stéréotypes établis.
Il ne s’agit plus de métal, c’est une certitude, mais son public semble être le seul capable de comprendre l’album, de se repaitre de cette ambiance maladive et psychédélique. Que penser face à la déferlante "Decadent & Desperate", totalement amputée d’instruments naturels, rapide et schizophrénique, au chant malade, imprévisible et étouffé, comme prisonnier de son cercueil de sonorité. Sans dire que le titre inspire en nous les plus immenses sentiments de perversité, il est impossible d’y rester complètement insensible.
L’ouverture "Broken
Skin", lourd et latent, complètement inhumain de par ses vocaux terrifiants et hors du temps, en retrait du mixage.
Mortiis insuffle des breaks ritualistes, ambiants, dans une musique torturée qui, sans pouvoir être qualifiée de violente, se veut novice et mauvaise. Épileptique. Ce chant, susurré, clair, hurlé, reflétant autant un malade mental qu’une bête, un homme qu’une machine, deviendrait presque beau dans ses quelques incartades chanté ("Broken
Skin", "
The Grudge").
Au fond, on ressent également une certaine influence de
Marilyn Manson sur des aspects vocaux tourmentés, notamment "Way too Wicked", renvoyant à "
Antichrist Superstar".
A l’inverse, l’énigmatique "Le Petit Cochon
Sordide" dispose de sonorités electro pop si prononcé qu’on en devient complètement déstabilisé. Qui est
Mortiis ?
Car ce qui reste, ancré au plus profond de nos esprits, à la fin de l’écoute, c’est un profond sentiment d’opacité vis-à-vis de la lecture de cette œuvre. On pense comprendre, mais on ne peut plonger complètement dedans, tant notre esprit nous assaille de questions.
Musique intelligente ? J’en doute, peut-être trop de mimétisme dans les structures qui, évidemment, se répète, mais sans produire l’hypnotisme souhaiter, juste une folie annihilatrice et auto destructrice. Former un tout homogène dans ce genre est impossible, mais se retrouver si proche du précipice de l’indigestion autant de fois n’est pas mieux, car l’ennui n’est jamais loin. Le potentiel créatif est énorme mais le sentiment de passer à coté, ou au travers, l’est aussi.
On en vient à se demander par quel biais se représente cet état de dérangement ; par la musique ou ce qu’elle devrait être.
Se fermant sur le mystique et passionnant "Asthma", apologie de l’ambiant, absence complète de note ou de mélodie, les suggestions prennent la forme de regret, tandis que le malaise s’intensifie. Le résultat pourrait être impressionnant. La noirceur, que l’on n’attend pas abyssale mais mécanique pourrait nous emporter loin, ce qui n’est pas le cas ici.
C’est donc sur des cendres incandescentes que l’on peut attendre une suite, d’un groupe ayant considérablement changé depuis ses débuts, et entamant une nouvelle et lente mutation. Celle de la dématérialisation de sa propre âme.
Super bonne pioche cette semaine chez Gibert :
- Throes Of Dawn : Quicksilver Clouds, The Great Fleet of Echoes, Our Voices Shall Remain
- Mortiis : The Grudge, The Great Deceiver
Groupes apparemment assez confidentiels pour qu'on doive commander le reste de la disco en import (Gibert ou Fnac)...
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