Certains artistes laissent derrière eux une image si iconique que les voir dans un univers autre que celui qu’ils ont créé et façonné depuis des années peut-être surprenant, parfois même inconcevable.
Tout comme
Steve Harris a dit de très nombreuses années qu’il ne ferait jamais rien d’autre qu’Iron Maiden (il aurait dû s’y tenir d’ailleurs…), que Mustaine n’est presque jamais en guest nulle part tant on l’imagine difficilement autrement que dans
Megadeth, Dani
Filth fait partie de ces musiciens qui ont bâti avec leur groupe un empire si unique et important pour l’histoire qu’ils n’ont eu le temps de faire autre chose que ce pour quoi ils sont reconnus. Si Dani a bien été invité quelques fois, sortant du cadre de Cradle of
Filth, le voir à la tête d’un autre groupe, même s’il n’est pas le compositeur, est en soi une étrangeté intrigante donnant déjà un intérêt à un groupe sur lequel nous ne nous serions peut-être pas penchés sans lui.
En revanche, il convient de rendre à César ce qui appartient à César puisque Dani n’est aucunement à la base de
Devilment, n’en est pas le compositeur (uniquement le parolier) et c’est par un hasard plutôt heureux que Daniel
Finch et Colin Parks ont collaboré avec le vocaliste qui avait entendu des bribes de la musique et avait aimé l’orientation qu’elle prenait.
Forcément, posséder un chanteur aussi particulier et unique que Dani pose le problème de la ressemblance avec son groupe principal et c’est surtout en ça que repose le challenge imposé à
Devilment qui se devait de ne pas être un ersatz sans personnalité.
C’est plutôt du thrash/death dans les riffs, de la modernité dans les arrangements et de l’humour dans les textes que nous trouverons, relativement loin de l’univers black gothique si esthétique de Cradle. Non pas qu’il n’y ai aucune similitudes, mais disons que le groupe s’en affranchi complètement et écarte le doute initial…maintenant reste à savoir si la qualité intrinsèque est là.
"Mother Kali", premier extrait dévoilé, possédait un riff lourd et moderne que les frères Cavalera n’aurait pas forcément renié, des arrangements sensiblement orientaux et surtout le chant de Dani qui, en revanche, ne change pas d’un iota en comparaison de ce que nous connaissons. Une atmosphère gothique s’empare du refrain, susurré et incantatoire, noircissant un riff principal plutôt très catchy et des arrangements vocaux féminins très lumineux et accessibles. Un pont très thrashy sert de levier à un riff très puissant, un « Let’s Go » assez inhabituel chez Dani et surtout une furieuse invitation au pit en live. Le second extrait, "Even Your
Blood Group Rejects Me", se rapproche en revanche de l’ambiance gothique du groupe anglais, notamment dans cette mélodie lancinante et malsaine, ainsi que le chant tout en nuance de Dani. Mais
Devilment s’extirpe du piège grâce à un riff bien plus vicieux et moderne, presque core, qui tourne en boucle de façon hypnotique. Le break, glauque à souhait et très cinématographique, semble également taillé pour la scène, entre le rire malsain de Dani et les descentes de toms très puissantes qui résonnent déjà dans les festivals d’été (si bien évidemment,
Devilment tourne l’été prochain).
Finch parvient à créer une véritable personnalité à sa création et celle-ci éclate dès le premier titre, "Summer Arteries", probablement même le meilleur titre de "The Great and Secret Show". Une introduction uniquement sous forme d’un long solo en lead à la
Arch Enemy. Un riff moderne déboule, la batterie surgit, l’intervention de l’électronique accompagne les premiers mots de Dani et l’ensemble démarre dans un death mélodique très actuel et technique. Le refrain, marquant, est une nouvelle preuve que
Devilment pense à la scène en composant et surtout qu’une certaine recherche d’accessibilité est bien présente. "Living With The
Fungus" pourrait également évoquer la bande à Amott musicalement, entre riffs syncopées et envolées solistes auxquelles on ajouterait des chœurs légèrement gothiques et surtout cette voix si particulière qui porte le groupe vers des horizons supérieurs. Cependant, cette formule parfaitement huilée manque cruellement de variété sur la totalité du disque et on ressent une réelle chute sur la seconde partie de l’album, une lassitude car les structures et les riffs se ressemblent. "Sanity Hits A (Perfect)
Zero" souffre d’une passivité évidente dans le riffing et la puissance, tout comme son successeur "
Laudanum Skull" qui ne remonte pas réellement le niveau.
Devilment a choisi un style où l’on tourne facilement en rond et où la plupart des groupes sont confrontés au même souci : tenir en haleine sur un album complet tout en restant compact, efficace et en évitant les redondances. "Staring At The
Werewolf Corps" apporte une indispensable respiration par son inspiration vampirique et l’apport d’arrangements symphoniques venant de la demoiselle claviériste (Lauren Francis, n’ayant que très peu de rapport avec la scène metal de son propre aveu). Il en ressort un morceau plus grandiloquent, plus ambitieux et clairement plus proche de Cradle, bien plus sombre que les autres titres.
"The Great and Secret Show" est un bon premier opus, laissant augurer de choses sympathiques pour la suite, bien que la concurrence soit très rude dans le domaine. L’effet de surprise passé,
Devilment ne pourra convaincre que grâce à son talent d’écriture et d’interprétation. C’est là l’immensité du défi qui va se poser face à
Finch et ses compères. Nous n’en sommes pas encore là et pouvons, en attendant, profiter de cette agréable récréation qui, si elle ne changera rien au monde musical, a le mérite de faire du bien par où elle passe et d’apercevoir Dani dans un autre environnement. La suite ne dépendra que d’eux.
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