Les albums conceptuels d'
Arjen Anthony Lucassen sont connus comme le loup blanc. Ambitieux, longs, très riches, difficiles d'accès : on comprend aisément qu'ils ne plaisent pas à tout le monde. Non content de participer à une myriade de projet tous plus progressifs les uns que les autres (
Ayreon évidemment, mais aussi Star One,
Guilt Machine, ou encore sous son propre nom), le hollandais volage se lance dans une nouvelle aventure pour cette année 2015, accompagné de la non moins talentueuse
Anneke Van Giersbergen. L'ex-
The Gathering n'est pas mauvaise non plus pour ce qui est de multiplier les albums, avec six disques sortis depuis son départ du groupe qui l'a fait connaître. Nos deux bataves préférés étant soutenus par le même label, en l'occurrence InsideOut Music, il paraissait donc tout naturel - ou presque - qu'une collaboration voie le jour.
Ce nouveau projet prend sa source quand
Arjen, en proie au doute, hésite entre faire un album Folk ou un album Heavy ; et connaissant son goût du challenge, dans son esprit naît peu à peu l'idée de proposer les mêmes chansons à deux reprises, avec des arrangements et instruments différents. Lorsqu'Anneke le contacte pour lui proposer une collaboration, c'est donc logiquement qu'il lui fait part de ses nouvelles idées, et que le simple projet studio devient un véritable groupe, la diva souhaitant faire des concerts avec. Le disque Gentle est donc consacré aux morceaux Folk ou acoustiques, tandis que
Storm l'est aux morceaux Heavy et électrifiés. Le concept est conjointement mis en place, tournant autour de faits historiques réels, ce qui est plutôt original par rapport aux précédents concepts d'
Arjen, qui sont habituellement centrés sur la fantasy. L'histoire racontée est celle d'un jeune couple hollandais vivant (et ayant réellement vécu) au XVIIème siècle, l'âge d'or des Pays-Bas que l'on appelait à l'époque les Provinces-Unies. Le mari, Joseph, gagne sa vie en tant que marin sur un navire de la Compagnie Néerlandaise des Indes Orientales (ou Verenigde Oost-Indische Compagnie si vous préférez), tandis que sa femme, Suzanne, reste à
Amsterdam. D'un côté l'aventure de Joseph n'est pas de tout repos, il côtoie régulièrement la mort (l'aspect
Storm sans doute), tandis que Suzanne attend un enfant (le côté Gentle en toute logique) ; ils s'envoient alors des lettres qui mettent des mois avant d'arriver (si elles arrivent), et qui servent ici de base pour les paroles, écrite par Anneke, accompagnées d'extraits du journal de Suzanne.
Difficile maintenant d'évoquer la musique comme dans une chronique traditionnelle… Il serait idiot d'évoquer séparément les deux versions, et puis de toute manière cet album n'a rien de traditionnel. Si on peut dire qu'on retrouve aisément la patte caractéristique d'
Arjen Lucassen, notamment sur la partie
Storm, il faut bien considérer que ce Gentle
Storm est clairement différent de tous ses travaux différents, et il en va de même pour Anneke.
Ce qui est principalement nouveau ici, et qui constitue assurément l'un des bons points de ce disque, c'est la grande variété d'instruments utilisés, ce qui confère une grande richesse à la musique et des sonorités assez originales.
Arjen a toujours apprécié découvrir de nouveaux instruments, et aux classiques guitares il ajoute de la mandoline, du banjo, ou encore du 'hammered dulcimer'. Il a aussi une fois de plus fait appel à son ami Jeroen Goossens, musicien talentueux chez qui le terme ''multi-instrumentiste'' prend tout son sens : il est crédité dans le livret pour une vingtaine d'instruments ! Et n'allez pas croire que tous ces instruments folkloriques et/ou exotiques ne sont qu'anecdotiques, ils sont totalement au centre du propos musical. Il n'y a qu'à écouter les introductions de
Endless Sea et Cape of
Storm, avec cette terrible contrebasse, au son proprement terrifiant, ou encore le génial
Shores of India, aux sonorités exotiques rafraîchissantes qui ne tombent pas pour autant dans le cliché (pour le clip par contre, on repassera). On notera aussi quelques velléités symphoniques parfaitement à leur place sur le magnifique New
Horizons.
Ne croyez pas non plus qu'avec la version
Storm nous avons simplement des guitares électriques qui remplacent les autres instruments. La version ''
Metal'' pour le coup fait penser pour ce qui est des arrangements à The Theory of Everything, la dernier
Ayreon en date. Les guitares sont très mélodiques, et, couplées aux instruments précédemment évoqués, le résultat est saisissant. Il ne faut toutefois pas s'attendre à une grande complexité dans les accords, ce n'est pas ce qu'
Arjen a voulu privilégier ici. En revanche nous avons droit à quelques soli pas dégueulasses, notamment sur
Heart of
Amsterdam, joué spécialement par Timo Somers.
Enfin, il reste encore à évoquer le pivot de cette œuvre, la voix de la diva
Anneke Van Giersbergen, qui magnifie littéralement l'opus. La voix de notre hollandaise préférée n'a pas vieilli, comme on a pu le constater sur ses albums solo, et a (un peu) gagné en maturité. Elle est toujours aussi à l'aise dans des registres calmes (The Moment) que dans ceux plus énervés (The
Storm). En revanche les pistes vocales se ressemblent beaucoup d'une version à l'autre, même si ce ne sont pas exactement les mêmes.
Tant qu'à parler des performances individuelles, je voudrais juste glisser un mot à propos du batteur Ed Warby. Le divin chauve, bien connu chez
Ayreon, abat ici un boulot considérable, donnant une énorme impulsion aux morceaux, grâce à son jeu technique très diversifié.
Seuls petits regrets à propos de ce double-disque : il n'y a finalement que peu d'envolées progressives auxquelles
Arjen nous avait habitué tout au long de ses divers projets. En réalité ce n'est pas tout-à-fait le but de
The Gentle Storm, mais on se dit tout de même à son écoute que des morceaux plus complexes, plus étalés sur la durée, n'auraient pas dépareillé ici. On regrettera aussi quelques (rares) passages plus anecdotiques, notamment la troisième piste, The Greatest Love, légèrement en-deçà du reste.
Si le défi d'
Arjen et d'Anneke était de réaliser deux versions tout aussi intéressantes l'une que l'autre, alors le défi est réussi. On n'écoutera pas tout le temps les deux versions à la suite, mais chacune correspondra à l'humeur du moment, et elles ne sont pas différentes au point d'arriver à en adorer une tout en détestant l'autre. Le plus bluffant est sans doute l'incroyable facilité d'accès de l'opus, sans que cela ne devienne lassant au bout de plusieurs semaines. Notons aussi une production très claire, qui permet de distinguer aisément tous les instruments, tout en appuyant les passages plus puissants. Un travail d'orfèvre, assurément.
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