Il serait assez aisé de rédiger ici une chronique où en un premier paragraphe lyrique et abscons il s'agirait de faire la distinction entre les musiciens attentistes qui se contentent, en une continuité dont chacun jugera de la qualité et de l'intérêt, de perpétrer fidèlement l'art ancestral découlant du legs d'illustres prédécesseurs et entre ceux qui, au contraire, tentent, souvent maladroitement, de bouleverser un ordre établi et de donner naissance à une expression sinon nouvelle tout au moins différente. Et de conclure que les Britanniques de
The Devil font assurément partis de cette seconde catégorie à l'aune de ce premier album éponyme. Épargnons-nous un tel monologue et allons donc à l'essentiel.
The Devil est un groupe anglais. Voilà un constat qu'une première approche succincte nous permet à l'encontre de ces six artistes affublés de robes ecclésiastiques à capuches noires, et dont les visages sont dissimulés derrière des masques d'inspiration italienne (commedia dell'arte). En dehors de cette certitude concernant les origines et l'apparence de ces êtres, rien. Si ce n'est cette obscurité mystérieuse qu'ils entretiennent avec talents autour de ce projet.
Nos esprits curieux sont en éveils.
Définir avec exactitude l'expression créative de cette formation pourrait s'avérer assez complexe tant elle est plurielle, multiple et éclectique. Les fondations de l'édifice sont, cependant, un Heavy
Metal aux arômes atmosphériques et Gothiques agrémentés d'instruments tels que claviers, pianos et bruitages variés dont l'objectif est de créer divers climats et de susciter des émotions différentes et plus profondes que celles qui sont ressenties de manière primaire.
Très vite des noms tels que ceux de
Dark Sanctuary,
Crematory ou
Winds viennent, toutes proportions gardées, traverser subrepticement nos esprits délicieusement attentifs. Une idée qui s'évanouit aussi soudainement qu'elle est apparue tant ces Anglais produisent, le plus souvent, une musique moins contemplative et éthérée que celle de ces formations. Et, a contrario de ceux cités,
The Devil a, de surcroît, la superbe particularité d'avoir remplacé les chants par des samples extraits de films, de discours, de reportages ou de diverses sources liées à l'image dans lesquels s'expriment orateurs politiques et historiques. L'idée, d'une redoutable intelligence, donne une profondeur assez incroyable aux pistes de ce plaidoyer et un aspect cinématographique somptueux.
Nos esprits sont pleinement alertes.
Les titres s'enchainent avec fluidité. L'expédition est parfaite. La musique nous transporte (
Universe,
Astral Dreamscape aux douces volutes stellaires, World of
Sorrow,
Intervention, le remarquable
Illuminati aux lancinants passages de guitares hypnotiques et aux pianos magnifiques ou encore, par exemple, Alternative
Dimension aux méandres très lents et entêtants, ce titre étant précédé d'un très doux et très minimaliste
Illuminati.)
Arrivé à cet instant précis de l'analyse, notre frustration est extrême. Car au-delà de cette délicieuse opacité énigmatique assumée, et au-delà de cette musique splendide, le besoin de savoir se fait intense. L'auditeur voudrait entrer plus profondément encore dans l'univers de ce sextette anglais. Loin de ces sentiments, certes, délicieux, qui le traversent, mais qui sont forcément insuffisant à expliquer.
Aura-t-il le droit d'en saisir davantage au-delà de ces bribes dans lesquelles on peut reconnaître le fameux discourt du révérend Martin
Luther King (I Had à
Dream) ? Sera-t-il complètement délivrer de ses doutes à la vue d'autres clips qui, tout comme celui d'
Extinction Level Event nous donne à voir, et à entendre, des bouts d'interventions du président américains Harry Truman et du sénateur Lyndon Johnson pour un titre concernant la bombe atomique? Ou tout comme celui d'
Universe qui, en une suite d'images insolites, s'interroge sur la question d'hypothétiques entités peuplant d'autres planètes? Rien n'est moins sûr.
Assurément le propos de ce groupe est mature. Et les sujets traités le sont avec intelligence. Il serait regrettable qu'au-delà de l'émotion provoquée par une excellente musique, l'auditeur ne soit pas invité à la réflexion et reste, privé des éléments essentiels au franchissement de l'étape suivante de la quête plaisir, confiné dans l'incompréhension. Pour peu, bien évidemment, qu'ils désirent franchir cette étape.
Quoi qu'il en soit, ne soyons pas outrageusement exigeants et contentons-nous de l'immense plaisir que nous procure l'écoute de ce disque aux titres et aux ambiances riches et multiples.
Nos esprits sont repus.
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