Phantasma est un projet metal symphonique singulier cofondé par
Charlotte Wessels (
Delain) et Georg Neuhauser (
Serenity), interprètes principaux de l'oeuvre, avec le concours d'
Oliver Phillips, chanteur, guitariste et claviériste du groupe de heavy rock allemand
Everon. De cette collaboration nait un généreux et infiltrant album de pas moins de treize titres, autorisant plus d'une heure d'écoute, à considérer à part entière dans les projets respectifs des membres créateurs. En effet, sorti chez
Napalm Records un an et demi après « The
Human Contradiction » quatrième album full length pour
Delain, deux ans et demi suite à «
War of
Ages » quatrième opus longue durée également chez
Serenity, et quelques mois avant leurs prochaines productions, on comprend qu'il s'agit là d'un propos parallèle aux carrières de chacun sous forme de trait d'union. Pour mener à bien son entreprise, comme pour mieux la sublimer, le trio a fait appel à une kyrielle d'invités rigoureusement sélectionnés. Ainsi, pour la partie orchestrale, ont participé : le guitariste Tom Buchberger (ex-
Serenity), le bassiste
Randy George (
Ajalon,
Neal Morse Band) et le batteur
Jason Gianni (Transsiberian Orchestra,
Neal Morse Band,
Daredevil Squadron). Pour les lignes de chant ont été sollicités : Tom Englund (
Evergrey), Cloe Lowery (Transsiberian Orchestra) et Dennis Schunke (
Van Canto).
Il s'agit d'une œuvre metal symphonique, avec quelques touches power, heavy, voire progressif ou rock selon les morceaux, où les passages intenses, mais jamais féroces, font jeu égal avec les moments tamisés. Et cela, non sans rappeler immanquablement
Serenity ou
Delain sur le plan atmosphérique, avec une pointe de maturité supplémentaire, vocalement parlant, chez ces deux auteurs, compositeurs et interprètes au pédigrée déjà affirmé. En outre, un juste équilibre s'observe entre technicité instrumentale et ligne de fond orchestrale, entre fines nuances mélodiques et différentes dynamiques rythmiques, entre lignes de chant et ensemble symphonique. Les duos, lorsqu'il y en a, laissent s'entrecroiser ou se juxtaposer de sculpturales empreintes vocales, pour apparaître complémentaires in fine. Le tout s'organise à la fois sur des compositions aux portées minutieusement esquissées et méticuleusement restituées et sur des paroles témoignant d'un riche jeu d'écriture. L'ensemble jouit d'une qualité d'enregistrement convaincante, de sonorités épurées de tout parasitage et d'un mixage autorisant un équilibrage quasi optimal des parties vocales et instrumentales. On remarque, en outre, un souci accolé aux finitions et aux enchaînements inter et intra pistes. Autant dire que l'écoute de l'opus s'effectue sans encombres du début à la fin. Aussi, faisons entrer les artistes pour un spectacle en deux mouvements. Commençons par déceler les titres emblématiques à retenir de la partie la plus cadencée, avant d'aller nous délecter des moments veloutés les plus exquis.
Parmi les six pistes les plus vitaminées, quelle que soit l'orientation stylistique, on retiendra surtout celles où dominent les duos mixtes. Quelques belles surprises nous y attendent...
Tout d'abord, les claires et mélodieuses impulsions du maître autrichien inspirent le respect sur « Novaturient », morceau nerveux et progressif d'inspiration power symphonique, aux riffs écorchés vif, dans la droite lignée de
Serenity. D'alertes couplets alternent avec des refrains hypnotiques pour une pérégrination au pays de tous les délices. L'inscription à pas de loup de sa troublante comparse contribue à rendre ce titre affriolant. Un tapping martelant s'invite notamment sur un final techniquement imparable. Chapeau bas. Par ailleurs, une plombante rythmique, des percussions en liesse et des jeux de contrastes abondent sur l'entraînant « Crimson Course », titre power symphonique aux allures de petite fresque. Ici, Georg nous assaille par ses impulsions à la fois célestes et resserrées, avec une fluidité naturelle qui atteint souvent sa cible, celle de nos émotions. La déesse le suit pas à pas, en touches, évoluant de concert sur une incandescente marche de l'empereur, où l'orchestration nous fouette le pavillon à chaque déferlante. Sinon, dans le sillage de
Serenity, là encore, le véloce et mélodieux « Enter
Dreamscape » permet de retrouver un Georg incisif, bien présent, assisté en voix de fond de sa partenaire néerlandaise pour un duo endiablé. Et ce, pour un voyage épique, sur des chemins de traverse que l'on parcourt sans qu'aucune note parasite ne s'inflitre. C'est dire que rien ne vient gripper cette machine rythmique idéalement huilée. Un moment de pure féérie, une fois de plus.
Dans cette mouvance, un invité de marque s'est allié aux inflexions de la diva batave, pour un autre moment de pure jouissance auditive. Un joli picking à la guitare acoustique introduit «
The Deviant Hearts (Give Us a Story) », titre à l'armature heavy symphonique avérée, témoignant d'une souplesse féline relative au toucher de fûts. Le long d'un chemin mélodique engageant, la chatoyante empreinte vocale de Tom s'allie aux claires patines de
Charlotte, pour un rendu qui tient toutes ses promesses. De plus, un beau solo de guitare ne manquera pas de nous retenir sur un pont percutant, avant que la reprise sur le refrain ne s'impose à son tour, nos deux tourtereaux convolant à l'unisson. Quelques sonorités d'inspiration orientale clôturent un chapitre résolument luminescent.
Pour l'instant, dans ce compartiment rythmique, on l'aura remarqué, la plupart du temps, c'est Georg qui tient les rênes de l'espace oratoire. Pour varier leur offre, dans cette veine atmosphérique, Georg et
Charlotte ont également chacun tenu le micro en solo, pour un résultat non moins réjouissant.
Aussi, on ne passera pas outre les plages en solo, nos deux acolytes dispensant un titre chacun. Ainsi, l'adhésion s'opère rapidement dès les premiers arpèges du puissant, martelant et corrosif « Miserable Me », titre fringant laissant entrevoir quelques énigmatiques notes aux claviers, des riffs bien élimés, dans une capiteuse ambiance orientalisante. Georg sublime chaque espace de son timbre aérien, notamment sur les refrains, envoûtants s'il en est. Mention spéciale pour le plongeant solo de guitare précédant une reprise tonitruante du maître de cérémonie. On est alors soufflé par tant de brio. Mais, de son côté, la valeureuse interprète n'a pas dit son dernier mot. Des arpèges aux belles nuances générés par de subtils arrangements nous sont octroyés sur « Runaway
Grey », mid tempo progressif bien cadencé, non sans rappeler
Delain. De plus, celui-ci jouit de couplets bien ciselés et de refrains catchy, magistralement mis en relief par les savoureuses inflexions de la belle. On l'aura compris, il s'agit d'un titre intouchable éminemment taillé pour les charts.
Dans la catégorie des moments les plus feutrés, les six titres offerts ont chacun leur ambiance, leurs charmes, leur intensité, leur magie, certains dominant de leur lumière d'autres plus discrets...
Le point fort reste résolument le flamboyant et tubesque « Let It
Die », ballade de tous les superlatifs. Cette fois,
Charlotte prend les rênes, son digne compère la suivant en background, pour convoler en parfaite osmose sur une piste aux remarquables arrangements, où la technique instrumentale s'offre mais sans étouffer le déploiement de l'orchestration. Distillant couplets ensorcelants et refrains enivrants, alternant de façon homogène, avec un supplément d'âme accolé à l'ensemble, cette orgasmique offrande ne laissera les amateurs des deux groupes d'origine nullement indifférents, loin s'en faut. Mais, on est encore loin d'avoir épuisé le stock de la ronde des saveurs. On observera une confondante prestation de
Charlotte, avec des fêlures insoupçonnées, sur « The Lotus and the
Willow », autre splendide ballade aux harmoniques soignées et dispensant de sompteuses séries de notes inscrites dans des gammes expertes. Le duo originel fonctionne ici également, à l'image du solo de guitare, au délié éblouissant et d'une parfaite esthétique mélodique. Un moment magique à savourer sans retenue. Enfin, des nappes synthétiques escortent de sensibles arpèges pianistiques sur la ragoûtante douceur « The Sound of Fear », où Georg et
Charlotte dans un duo romantique nous invitent à un irrésistible voyage onirique, magnifié par une lead guitare au charme indéfectible. Des couplets à fleur de peau, des refrains magnétiques, calés sur un tracé harmonique réjouissant, prennent véritablement leur envol lors du battement d'aile de la souple rythmique, pour nous régaler, une fois de plus. Sur ces mots bleus,
Charlotte semble prendre l'ascendant sur son comparse autrichien.
Lorsque les guests s'invitent à la danse, on ne restera pas de marbre non plus. Sur « Try », ravissante ballade progressive aux allures de slow qui emballe, les ensorcelantes modulations aux subtiles fêlures livrées par Cloe font mouche où qu'elles se meuvent. Une bombe de saveurs explose littéralement aux tympans lorsque la section rythmique s'infiltre au milieu d'un duo mixte au top de sa forme, Dennis donnant le change à la sirène avec les honneurs. Difficile de résister à ce moment délectable faisant montre d'harmonies parfaitement ajustées et à la mélodicité sculptée de main de maître, sensuelle jusqu'au bout des ongles.
Dans l'ombre de ces perles, mais non sans mérites, une agréable ballade nous est servie, avec Dennis et
Charlotte au coude à coude dans un intéressant contraste de voix, à l'instar de « Carry Me
Home ». Si d'entraînants refrains s'observent, le nivellement de la ligne mélodique place cette plage en retrait des autres moments tamisés de l'opus. Enfin, un piano/double voix tout en délicatesse nous est octroyé sur « Incomplete », soyeuse onde vibratoire aux harmonies soignées. Ce faisant, sans rythme autre que celui de la musique des mots délivrés par
Charlotte et Georg, sur un champ mélodique assez linéaire, ce trop bref titre se montrant plutôt classique dans sa structure ne parvient qu'imparfaitement à se hisser au niveau des dix pistes sus-mentionnées. Cependant, pas de réelle déception à éprouver, juste une émotion en demi-teinte, qui aura du mal à satisfaire les épicuriens...
On ressort de l'écoute de cette gourmande rondelle conquis tant par le message musical d'ensemble, la solidité des arrangements orchestraux, la qualité des soli que par les jeux oratoires proposés, d'une homogénéité difficile à prendre en défaut. Les amateurs des groupes de référence s'y retrouveront, pendant que les autres découvriront un paysage de notes aussi émouvant que luxuriant et qui a pour corollaire de subtiles harmonies. Et ce, d'autant plus que l'esthétique mélodique inscrite sur chaque piste évite l'écueil de la déroute, même pour les passages les moins immersifs. Un travail d'orfèvre, en quelque sorte, qui ne devrait rencontrer que peu d'obstacles susceptibles d'entraver notre plaisir. Cette avalanche de douceurs, parfois aseptisées, pourrait néanmoins rebuter ceux qui auraient souhaité une patte plus corrosive, quelques prises de risques. En l'état, on comprend que cette production repose sur une logique de séduction singulière, où les rondeurs des gammes priment sur d'anguleuses sonorités, où la variété des titres est de mise et où chaque acteur a pris plaisir à nous offrir cette pièce, ce qui se ressent de bout en bout. Nul doute que ce plaisir-là sera partagé par nombre de tympans déjà sensibilisés au metal symphonique à chant féminin. Selon votre humble serviteur, il se peut précisément que les succulentes gourmandises de l'inspiré combo s'inscrivent rapidement dans les mémoires pour ne plus jamais en sortir...
@Legba : merci aussi pour ta réaction. Comme dit, cet album plaira surtout aux amateurs de Delain et de Senerity, et aux inconditionnels des ballades, et il y en a un certain nombre parmi nos membres. Ballades toutes plus savoureuses les unes que les autres. Pas de démonstrations ostentatoires, ici, tout s'opère en subtils jeux oratoires, en souplesse percussive et en finesse harmonique. Au bout de plusieurs écoutes attentives, la magie pourrait bien finir par opérer.
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