Qui n’a jamais rêvé de s’allonger peinard sous une grisaille humide dans les nénuphars fanés d’un marécage malodorant, une petite binouze à la main ? Hum, certes, pas grands mondes, excepté peut-être l’homme dont nous allons parler aujourd’hui. Enfin, « homme », plutôt ce qu’il reste de la chair grisâtre et putréfiée de
Rufus Bellefleur, mort-vivant Louisianais ayant déjà démontré son goût pour l’expérimentation quelques années en arrière, quand le surprenant «
Groovin' Tales from the Gator Blaster » s’est mis en tête de mélanger Country, Hip-Hop et
Metal. Et le plus surprenant ? C’est que l’effet fut immédiat et le disque une bien étrange réussite !
Donc quelque temps après l’apéritif que fut l’album de reprises « Muddy Covers », notre zombie préféré est de retour, toujours accompagnés de ses Girls, de Yuz et de Laurent Bechad. Mais Ju’ en a un peu assez des marais, lui ce qu’il veut, c’est de l’aventure, le surplace ne convient pas à ce touche-à-tout musical. «
Temples, Idols and Broken Bones » et sa kitchissime et classe pochette digne d’une vieille aventure d’Indiana Jones (et de la carte au trésor faisant office de livret) s’offre à nous pour de belle péripétie de trois-quarts d’heures.
Le premier album était un patchwork enivrant d’influence, certaines mieux digérées que d’autres et offrant un disque relativement complexe par le brassage musical présent. Pour ce deuxième album, c’est nettement moins le cas. Le groupe a semble-t-il trouvé sa marque de fabrique dans tout ce capharnaüm, l’album étant de ce fait déjà beaucoup plus cohérent, perdant quelque peu son immédiateté pour un ensemble nettement plus cohérent dans ses expérimentations, gardant une trame assez marquée de hip-hop/country à inspiration rock/tribal, pour vaguement grossir la chose.
Ainsi, une fois passé l’ « Intro » exotique et mystérieuse, nous rentrons directement dans le vif du sujet avec un « Mysterious Ways » pas dépaysant, mais lançant les hostilités avec talent. On retrouve ce flow imparable, ces chœurs féminins apportant une dimension épique et catchy excellente, se mariant encore plus parfaitement avec le timbre de Julien. Musicalement, moins de bordel, plus d’ambiance. Offrant quelque chose d’à la fois oppressant et de sacrément remuant dans ce mélange de guitare lourde et sombre.
Comme dit plus haut, il s’agira d’un disque un peu plus aventureux. Rufus partira en Chine avec la B.O d’un nouveau polar pour un « Little
China » au groove exaltant, dimension plus jazzy, entre flow puissant et chant langoureux, relayé à la perfection par nos deux pom-pom-girls préférées. La petite intro de flûte de « Zombie
Geisha » n’est là que pour embrayer avec un rythme Rufussien plus traditionnel, mélangeant adroitement percu/rythmique classique et piano/sonorité asiatique. Mais au-delà de la Chine, notre fantôme du Bayou aime de temps à autre revenir chez lui, comme en témoigne la terriblement bluesy «
Never Ask the Twin », ambiance vieux cow-boy couplé à des claviers (et des chœurs) excellemment kitsch. Un final tout en cri et en lourd riff nous offrirons une petite bouffée de nostalgie.
Sauf qu’avec toutes ces aventures, plutôt de faire le touriste, on aime autrement faire la fête avec nos croque-morts. C’est bien en cela que Rufus se transcende, proposer un « Party of the
Dead » délirant, rythmée et festif, au riff de banjo tout simplement imparable. La pop-vintage de « Let the Monster
Out », instrumentalement minimaliste, mais toujours juste, balancera son lot de chœurs excellemment entrainant et de flow parfaitement accordé avec cette guitare country qui fait le charme de la Bellefleur. Et si la dimension terriblement hallucinogène de « The Operator » sera proprement jubilatoire, c’est bien du côté de l’euphorisante « Rocky Rocket » que nos oreilles se tourneront. La montée en puissance de notre spectre n’en sera que plus réjouissante, flow et chant se mélangeant à la perfection, l’instrumentation magnifiquement variée n’en sera qu’à même d’incorporer d’épais riff de guitare au banjo local. Et quand la rythmique catchy se marie à la perfection avec un ensemble plus pop-atmo, on se dit que celle-là, c’est quand même de la bonne.
Mais parfois, consommé tant de substance marécageuse, ça rend quand même sacrément léthargiques. Et un « Raiders of the
Lost Groove » balance une sempiternelle rythmique entre lourdeurs et sons cristallins qui a sacrément du mal à se renouveler pour le coup. La même remarque se met au travers de la route d’un « Love Me Like You
Hate Me » plus Ghetto, mais surtout trop ancré dans une base rythmique devenue un peu trop lourde par ses répétitions de plans, que cela soit pour les chœurs ou les transitions de voix du Ju’. Deux titres étant la preuve d’un album bien plus cohérent qu’entièrement fun.
Pas préjudiciable à l’écoute, mais un peu déstabilisant.
Mais pour des plages de tranquillité, Rufus sait y faire. L’intégralement acoustique « Paralyse City », tout en sobriété et en maitrise, permet à Bérangère et Caroline de s’exprimer plus longuement avant que Julien prenne le pas. Sans trop en faire, les trois voix donnent un cachet dimensionnel et simplement beau à l’ensemble. Des percu, quelques « solo » et c’est tout. Et c’est très bien ainsi. Puis « Who Got It » conclut l’album de la même manière qu’il a commencé : ambiance tribal, chant de tribus et la voix imparable de notre fantôme sur cette ambiance sauvage et proprement brûlante. Un dernier cri, un dernier riff démonté, un peu d’ambiant et de corde et il est temps de mettre un terme à l’aventure.
Moins sombre et plus chatoyant, ce nouveau tome des aventures du fantôme le plus célèbre du Bayou se fait plus coloré et groovy à défaut d’être révolutionnaire comme l’avait été le premier opus. La maitrise est du côté des Toulousains, mélangeant encore une fois les couleurs et les styles avec une facilité proprement déconcertante. Sauf qu’à vouloir davantage de cohérence, certains titres tombent dans des écueils d’inoriginalité assez surprenante… Mais mis à part ça, l’aventure est captivante, l’ambiance toujours mystique et le délire perpétuellement jubilatoire. La scène Toulousaine démontre, comme bien souvent, tout l’éclectisme musical de cette grande famille du Rock Français.
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