Les liens entre la musique métallique au sens large et les jeux vidéos ont pu être fructueux par le passé, par exemple pour les musiques de
Doom, version thrash 8bits dans les années 90, qui ont muté en version djent dans celui du reboot de
Doom en 2016.
Le jeu d'aventure spatial Outer Wilds, complètement perché avec son monde de planètes miniatures de Petit Prince et son histoire qui redémarre inlassablement à zéro lorsque le joueur se fait désintégrer par une supernova, a semble-t-il inspiré les membres d'
Ash Twin Project pour composer un album tout aussi évocateur. Évidemment, pas besoin de connaître le jeu pour apprécier leur musique, qui se suffit à elle-même.
Ash Twin Project compte trois membres de l'excellent groupe de death progressif Prophetic Scourge, que j'ai eu le plaisir de voir en concert deux fois et de chroniquer le dernier opus. Il est d'ailleurs étonnant de voir à quel point les deux projets sont différents, dans le fond comme la forme. L'idée a démarré à l'initiative du batteur Thibault Claude, il a été rejoint par deux autres membres de son groupe, les guitaristes Robin Claude et Romain Larregain, puis par la chanteuse Églantine Dugrand, et le bassiste Stéphane Cocuron. Signalons en invité le chanteur Nicolas Lougnon (Alshamath) qui a donné un coup de main aux screams et aux growls lors de l'enregistrement.
"
Tales of a Dying Sun" a été composé par Thibault sur son ordi, Églantine ayant mis en place son chant à distance, et enregistré maison chez Thibault et Romain. Ce premier album, emballé dans une pochette faite par Dipa et Thibault, est sorti le 4 avril 2025 sur le label Klonosphere.
La musique du groupe est souvent contemplative, à la manière du
The Gathering de "How to Measure a Planet", d'autant plus qu'Eglantine partage avec
Anneke Van Giersbergen cette façon douce et pensive de poser son chant, et Oceansize pour les multiples couches aériennes de guitares. Indéniablement progressif, inspiré par
Opeth pour son cheminement en longueur, il m'a aussi fait penser à
Pain Of Salvation avec des parties de batterie tournantes et alambiquées qui n'auraient pas déplu à Léo Margarit ("
Isolation").
Les compositions sont amples, aérées et laissent à la basse la place pour s'exprimer (le début et les couplets de "
Isolation"), et elle se met exergue sur des ponts, par exemple en introduisant des syncopes sur la fin de "Cœlacanthe". D'autres instruments comme le mellotron enrichissent les arrangements, ainsi que des samples triturés tirés du jeu original.
On est d'emblée placé dans un point de vue sensoriel , ce qui est bien vu pour parler à tous les auditeurs, et particulièrement ceux qui ne connaissent pas le jeu. Après tout, lorsqu'il a commencé à composer ces morceaux, Thibault l'avait fait ex-nihilo, c'est le cas de le dire, et l'idée de les raccrocher au monde d'Outer Wilds n'est venu qu'ensuite.
Le voix habitée d'Eglantine Dugrand passe de l'intériorité à la projection énergétique de manière sensible, sans forcément se calquer sur ce que racontent les instruments. Elle joue beaucoup avec le rythme et le placement suivant les parties, et sait ménager des silences longs pour qu'un sentiment d'attente puisse s'installer ("Sunless City").
Le fait qu'elle ne soit pas trop mise en avant dans le mix rend la sensation d'être un grain de sable porté par la gravité, et le jouet d'un monde dont on cherche désespérément à comprendre les règles, chaque découverte déclenchant de nouvelles questions.
Deux morceaux se détachent de l'album, "Cœlacanthe" et "Sunless City", justement choisis comme singles, et en sont les sommets les plus intenses, avec des parties screamées et growlées. Le morceau d'ouverture permet de rentrer instantanément dans cet univers en rêve, où la voix d'Eglantine permet de "voir" ses sensations et ses émotions plutôt que de donner une narration.
Avec deux solistes aguerris comme Robin Claude et Romain Larregain dans ses rangs, les compositions sont ornées de soli particulièrement réussis, comme celui de "Cœlacanthe" dont le départ me colle les poils à chaque fois.
Ce premier essai d'
Ash Twin Project est pour le moins réussi, en parvenant à créer cinq tableaux de nuances et de contrastes où il est agréable de se perdre, tout en gardant une cohérence avec le fil d'Ariane délié par sa chanteuse.
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