Liste des groupes Post Hardcore Taken By The Sun Taken by the Sun

Le problème du Post Hardcore/Post Metal (les deux ayant tendance à fusionner ensemble depuis quelques années) est que l'on a l'impression d'avoir fait aujourd'hui le tour complet de la question. Si l'on excepte Neurosis et Cult Of Luna, seuls groupes encore capables de nous surprendre à chaque nouvel album, le reste de la clique ne se contente plus que de reprendre une formule bien balisée et d'essayer plus ou moins d'y apporter sa touche personnelle. Celle-ci tient souvent plus à la localisation géographique du groupe (les sibériens, par exemple, raffolent du pendant le plus atmosphérique du genre, là où les américains ont plus tendance à mettre en avant un côté sale et urbain) qu'à une réelle recherche musicale. Dans ses conditions, le talent et l'intérêt d'un groupe vont surtout se mesurer à sa capacité à nous entraîner dans son propre univers, sa propre vision du style, plus qu'à une réelle capacité à retranscrire ce qui a été fait auparavant par d'autres.

Taken by the Sun est donc un groupe de Chicago, ville qui a vu naitre des choses aussi intéressantes musicalement que Trouble, The Revolting Cocks, Paul Speckmann et ses dizaines de projets, Broken Hope, une forme très personnelle de Blues et de Jazz, et la Garage House (et les meilleures pizzas du monde, mais ça c'est déjà un autre sujet). Une ville où la culture musicale est donc une seconde nature, et où la brume venant du lac Michigan, les zones industrielles en déliquescence et les forêts profondes de l'Illinois et du canada tout proche sont une source inépuisable d'inspiration pour des myriades de groupes. c'est l'aspect urbain, crasseux et désespéré de son environnement qui est le focus principal des thématiques du groupe.

Musicalement, on note de suite que le groupe connaît son affaire. Les riffs sont plombés, la rythmique est martiale et la technique est présente mais sans noyer le propos. Le problème reste que la personnalité musicale n'est pas encore réellement définie : on retrouve la même alternance passages lourds/passages atmosphériques qui ont fait le succès d'Isis et Neurosis, le tout sur un enchainement tempos lents/tempos rapides. C'est dans les petits points de détail que Taken by the Sun fait toute la différence : ainsi des passages Jazzy plutôt bien troussés et en parfaite adéquation avec la structure des chansons, ou un choix bien affirmé de partir dans le pur Doom extrême (on frole le Funeral Doom par endroits) pour les tempos les plus lents et écrasants. On pourrait presque qualifier la musique de Taken by the Sun de Post-Doom par moments, tant le groupe a bien assimiler chaque genre pour n'en tirer que la substantifique moelle. Surtout, Taken by the Sun manipule très bien la progression sonore inhérente au genre, et se révèle plutôt doué quand il s'agit de pratiquer une montée en puissance jusqu'à l'explosion finale attendue.

Ce qui fait la différence avec d'autres groupes du genre tient en deux points.

Le premier est le chanteur Kris Ziemlo. Sans lui, la musique de Taken by the Sun serait appréciable mais ne sortirait pas nécessairement du lot. Avec lui, elle transcende son statut d'outsider pour venir défier les grands du genre. Kris VIT ce qu'il chante, sa souffrance personnelle (qu'elle soit physique ou mentale) transparait danc chacun de ses cris, dans chacun de ses murmures. Il y a une puissance incroyable dans son timbre vocal, mais aussi un aspect sinistre, presque inquiétant. Kris Ziemlo a le genre de voix que les usines de Détroit doivent avoir, et son chant évoque des images de civilisation en ruines, de batiments en décomposition sous un ciel grisâtre dans une atmosphère d'humidité persistante. Non pas la guerre, mais ce qu'il reste quand le choc des armes s'est terminé. Le silence, la souffrance, la solitude et la mort.

Le second point fort de l'album est la production de Sanford Parker (connu pour avoir participé à Burial at Sea, Nachtmystium et Twilight, ainsi que comme producteur de Minsk). Parker, à l'instar de Jack Endino ou d'un Steve Albini, sait donner un son qui soit à la fois clair et dégueulasse, on pourrait presque dire urbain. Sa production sur l'album met notamment en avant la basse de superbe manière : elle vous claque à la gueule, elle vous étourdit, elle se révèle presque plus importante que le duo de guitares. Et elle permet de faire sortir un diamant noir du minerai charbonneux qu'était le groupe à l'origine.

Pour un premier album, Taken by the Sun a mis la barre très haut et sera attendu au tournant pour la suite. Surtout, quand on voit qu'il s'agit d'une simple auto-production, on se demande ce qu'attendent les labels pour se pencher sur leur cas. Avec Inter Arma et Tombs, Taken by the Sun fait partie du fer de lance de cette nouvelle vague Post Metal américaine qui, lentement mais sûrement, est en train de ronger les fondements de l'Underground pour arriver à s'imposer dans une apocalypse que l'on commence à pressentir. Quand le cataclysme sonore sera là, Taken by the Sun sera aux premières loges pour l'accompagner en musique. Et je serais là pour les écouter.