Au sein d'un espace metal symphonique pourvoyeur en formations de tous poils dont quelques jeunes loups aux dents longues, résister à la pression imposée par leurs pairs pour tenter de faire entendre leur voix peut s'apparenter à un véritable parcours du combattant pour les nouveaux entrants. C'est pourtant dans cette arène peuplée de redoutables gladiateurs que se lance sans complexe Nenufar. Et ce sextet polonais n'aura pas tardé à afficher la couleur de ses intentions, réalisant l'année même de sa sortie de terre, en 2022, la bagatelle de trois singles : «
Frozen » (Madonna Cover) ; «
Last Goodbye » ; «
Flat Earth » ; un réjouissant préalable à un premier album full length, réalisé un an plus tard, répondant au nom de «
Take the Pain Away ». En quoi les 50 minutes de ce méfait permettraient-elles au combo est-européen de se démarquer de ses si nombreux homologues ? Les 10 pistes de cette auto-production constitueraient-elles un sésame autorisant nos acolytes à rejoindre les sérieux espoirs d'un registre qui ne les aura pas nécessairement attendus ?
Mais avant de poursuivre, faisons connaissance avec nos hôtes. A bord du navire, nous accueillent alors : Magdalena Gościcka, frontwoman aux claires inflexions, Mariusz Świątczak au chant et à la guitare, Dariusz Smolarek et Szymon 'Oxomo' Wójtowicz à la guitare, Kordian Bogusz à la basse, sans oublier Bartek Rażniewski (dit ''Raziu'') à la batterie. De cette collaboration naît un set de compositions d'obédience metal symphonique aux relents dark/death et atmosphérique gothique, relevé d'un duo mixte en voix claires et de contraste bien habité, où cohabitent les influences de
Tristania,
Draconian,
Theatre Of Tragedy et
Nightwish ; un propos à la fois frondeur, énigmatique et romanesque, laissant entrevoir un réel potentiel technique, au demeurant judicieusement exploité, et des mélodies aussi finement sculptées qu'immersives. Jouissant, par ailleurs, d'arrangements instrumentaux de bonne facture tout en ne laissant échapper que d'infimes sonorités résiduelles, et bien qu'accusant un léger sous-mixage des lignes de chant, l'introductif opus se suit de bout en bout sans ambages. Il ne nous reste plus qu'à larguer les amarres pour une traversée que l'on espère des plus sécurisées dans une mer quelque peu écumeuse...
Comme souvent dans ce registre, le rideau s'ouvre sur une brève entame instrumentale, ayant ici toute sa raison d'être. Ainsi, sous couvert d'arrangements ''nightwishiens'' du plus bel effet, la bien-nommée « Intro » se pose telle une cinématique et frissonnante plage que de fines perles de pluie déversées d'un piano mélancolique viennent corroborer. Mais le paisible platane ne saurait cacher l'échevelante forêt bien longtemps...
Se plaisant à maintenir une cadence soutenue de ses frappes tout en variant ses phases rythmiques à l'envi, la troupe trouve alors matière à nous retenir, un peu malgré nous. Ce qu'atteste, en premier lieu, «
Take the Pain Away », sculptural et tortueux effort aux riffs épais adossés à une frondeuse rythmique. Recelant un vibrant solo de guitare, mises en exergue par un duo en voix de contraste en parfaite osmose, et sous couvert de fins clapotis pianistiques, les quelque 6:31 minutes de la ''tristanienne'' fresque ne relâcheront pas leur proie d'un iota. Dans une même énergie mais puisant davantage son inspiration mélodique chez
Theatre Of Tragedy, le vitaminé «
Reborn » n'est pas en reste ; délivrant un fin legato à la lead guitare et s'assortissant d'une fibre atmosphérique gothique que soulignent les cristallines volutes de la sirène et des chœurs aux abois, l'intrigant manifeste ne se quittera qu'à regret. Un poil plus toniques et empruntant quelques chemins de traverse, les ''draconiens'' mid/up tempi « No
Hope » et « Don't Call Me
Evil » ne nous octroient pas moins chacun un refrain qu'on entonnerait à tue-tête.
Quand les fûts s'ensanglantent plus encore, le spectacle ne sera guère moins au rendez-vous de nos attentes. Ainsi, nous assénant de virulents coups de boutoir sans jamais nous égarer de son cheminement d'harmoniques, jouant alors à plein sur les effets de contraste atmosphérique pour tenter de l'emporter, le mordant « Believe Me » poussera à un headbang tantôt subreptice, tantôt bien senti. Orienté à la fois death et atmosphérique gothico-symphonique, distribuant ses riffs corrosifs en tirs en rafale, le fougueux mustang esquisse également un refrain immersif à souhait qu'encensent les célestes oscillations de la belle. Et ce n'est pas l'éblouissant solo de guitare décoché qui démentira l'agréable sentiment de se trouver aux prises avec l'un des gemmes de l'offrande.
Lorsqu'ils desserrent un tantinet la bride, nos compères parviennent là encore à nous aspirer dans la tourmente. Ce que prouve, tout d'abord, «
Nightmare », low/mid tempo à la fois torturé et romanesque, à la croisée des chemins entre
Theatre Of Tragedy et
Tristania ; révélant ses couplets finement ciselés, relayés chacun d'un prégnant refrain mis en habits de lumière par les angéliques patines de la princesse, et nous gratifiant de deux flamboyants soli de guitare, le troublant méfait laissera assurément quelques traces indélébiles dans les mémoires de ceux qui y auront plongé le pavillon. Dans cette dynamique, l'intrigant et romanesque low/mid tempo syncopé «
Fallen Angel » révèle, lui également, de séduisants atours, dont un fin picking à la guitare acoustique, des riffs délicieusement grésillants et une rythmique enjouée.
Enfin, dans leurs moments intimistes, nos acolytes en profitent pour nous adresser leurs mots bleus les plus sensibles, avec, pour effet, de générer la petite larme au coin de l'œil, celle-là même que l'on tenterait bien d'esquiver, en vain. Ce qu'illustre, d'une part, « Nature », ballade atmosphérique gothique d'une confondante légèreté et romantique jusqu'au bout des ongles ; s'écoulant au fil d'une onde mélodique des plus enveloppantes sur laquelle vogue un duo mixte en voix claire et en parfaite symbiose, l'instant privilégié comblera assurément les attentes de l'aficionado du genre au moment même où il fera plier l'échine à plus d'une âme rétive. On pourra non moins se voir happé par la délicatesse des arpèges d'accords dont nous abreuve « Fairytale », ''draconienne'' ballade aux riffs émoussés, là encore mise en habits de soie par les magnétiques ondulations de la maîtresse de cérémonie.
Au regard d'un set de compositions bien inspiré et de prises de risques consenties, et en dépit de quelques finitions restant à parfaire, cette initiale offrande demeure une bonne surprise. Jouant astucieusement sur les contrastes atmosphérique, rythmique et vocal, diversifiant ses exercices de style à l'envi, affichant, en prime, une technicité instrumentale et vocale éprouvée et des lignes mélodiques plutôt engageantes, nombreux sont les atouts du collectif polonais pour espérer nous rallier à sa cause. C'est à un frémissant bal des vampires auquel nous convie ce premier mouvement, in fine, bal que l'on ne quittera que pour mieux y revenir.
Il conviendra toutefois de rendre le propos un tantinet moins complexe et surtout moins emprunté qu'il n'apparaît, l'empreinte de ses maîtres inspirateurs peinant à se faire des plus discrètes. Quoi qu'il en soit, une année seule après sa fondation aura suffi au combo polonais pour disposer d'une arme suffisamment efficace pour lui permettre de guerroyer sereinement dans cette arène, mais aussi d'espérer se hisser parmi les sérieux espoirs du metal symphonique gothique à chant mixte. Affaire à suivre, donc...
Note : 14,5/20
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