Quand nous avons l’opportunité d’entendre des groupes de la trempe de Black Book Lodge, qui prennent un malin plaisir à naviguer habilement entre deux eaux, le classement ne s’avère en rien facile. Finalement, peu importe l’étiquette apposée au groupe et l’intérêt de cibler le plus grand nombre de potentiels auditeurs qui pourraient se rallier à la cause du groupe, il suffit de les inviter à s'ouvrir à cette nouvelle expérience musicale hors du temps et des modes.
Après
Tundra qui est resté anecdotique malgré un contenu des plus séduisants et rempli de promesses, et le surprenant «
Entering Another Measure », voici « Steeple
And Spire » qui marque le retour d’une formation des plus originales et qui sait accrocher le regard avec des pochettes aussi énigmatiques que l’alchimie qui en rythme l'écriture.
Après un remaniement de line-up et un mystère toujours aussi épais concernant ses activités, l’attente de deux ans en dit peut être beaucoup sur la complexité du processus d’écriture, le label nous promet d’ailleurs un album des plus stylés. La réalité nous éloigne cependant de la description : les titres de ce groupe sensé être le rejeton d’un croisement improbable entre Muse et
Mastodon me paraît peu conforme. Papa peut être, mais maman pas sûr non plus… la cigogne aurait-elle encore forcé sur le Schnapps?
Une première écoute permet d’apprécier que l’atmosphère très lourde dans laquelle baignait «
Entering Another Measure » a laissé place à un registre plus rock et une ambiance beaucoup plus éthérée, aérienne fleuretant souvent avec des consonances plus méditerranéennes. Nous serions donc plus proches du raffinement d’
Opeth, qui lui-même s’est largement inspiré, dans ses dernières œuvres, par le progressif et tout de même psychédélique Camel.
Les deux ans d’absence ne pouvaient avoir eu qu’un effet positif sur la couleur musicale mais aussi sur la qualité de l’écriture qui ne cesse de se bonifier. Ce « Steeple
And Spire », nous projette tout droit vers les 70’s grâce à ce son à la fois ouvert mais aussi brut malgré des nuances complexes… Mais avant que cette transition vers les sphères les plus aériennes s’opère, il faudra attendre un peu.
L’album s’ouvre en effet sur un « Weightless Now part 1 » qui marque l'idée tout de même géniale de réaliser la transition entre les deux œuvres, ouvrant sur une atmosphère lourde sur un rythme martial, emphatique, et ce son de basse distinct et agressif rappelant étroitement «
Entering Another Measure » et, par la même occasion, le contenu le plus lourd de
Pain Of Salvation. Le second volet, « Weightless Now Part 2 », arbore lui aussi un contenu passionnant, même s’il commence à se détacher foncièrement du premier volet par une atmosphère planante qui servira de décors à ce « Steeple
And Spire ». Le jeu de basse de Steven Ardilso (avec le O barré) est toujours mis en valeur tant il est efficace et inspiré, ne sombrant jamais dans la facilité.
Protéiforme, cet album se détache par des lignes vocales et des rythmiques pétries de légèreté, portées par les guitaristes Ronny Jonsson et Kristian Klaerc, permettant aux compositions de s’élever progressivement hors du miasme épais pour se tourner vers les horizons du Rock Progressif, embrassés sur «
Teething » ou encore « In Halves ». L’écriture ne montre aucune faiblesse, on retrouve la qualité chère à la formation danoise, capable de composer de superbes soli profonds et intenses, sublimés par des arrangements à la fois complexes et subtils et une atmosphère entraînante et dépaysante à l’image de l’excellent "The
Tower Bell »
« Spoiled The Child » est intéressant et reste de loin le titre le plus accessible de l’album. Bien que son refrain apparaisse convenu, son écriture constitue la parfaite symbiose entre le Rock Prog et le
Metal (au sens restreint du terme) lui donnant un aspect un peu plus rugueux mais toujours aussi difficilement classable.
« Walls » conclura cet album dans une ambiance feutrée et calme avant un ultime assaut sonore qui sert peut être de tremplin vers un nouvel univers que nous dévoilera Black Book Lodge sur son prochain opus. Ce titre montre la progression Ronny Jonsson dans sa maîtrise vocale mais également dans la mise en place de lignes originales. Notre homme est désormais capable de modulation, même si certain lui reprocheront un manque de sobriété et de neutralité par rapport au prédécesseur de ce « Steeple
And Spire ». Il s’agit donc d’une véritable prise de risque pour un chanteur qui semble encore limité en termes de tessiture et de techniques, mais celui-ci apparaît beaucoup plus centré sur le chant que par le passé, conférerant à l’album une interprétation dynamique, lui apportant un caractère plus affirmé.
La production est équilibrée, rendant toute les subtilités du jeu et des arrangements, cependant, elle manque probablement d’un peu de mordant pour lui donner du relief et un peu plus de corps… mais plus de puissance aurait peut-être amputé une partie de son âme.
En 9 titres et 44 minutes, Black Book Lodge nous fait voyager dans un univers très personnel, à la fois complexe et raffiné, toujours aussi peu accessible et loin de passer partout. « Steeples
And Spire » montre un groupe qui aime la constance, une certaine forme de complexité dans l’écriture et surtout les changements de concepts d’album en album. Il reste à espérer que les efforts louables déployés par la formation lui permettent enfin de sortir cette ombre qui continue à l'emprisonner.
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