En ce nouveau millénaire, le metal gothique à chanteuse a la vie dure, c'est le moins que l'on puisse dire : surexploité, usé jusqu'à la corde lors du grand boom des années 90 qui a vu quantité de formations fleurir aux quatre coins de l'
Europe, pratiquant un style encore intègre à l'époque. Aujourd'hui, la solide base doom s'est délitée en une fondue prémâchée, les ambiances au charme si authentique sont désormais tapissées pleins fards dignes d'une devanture de night-club, mettant en avant des chanteuses de plus en plus estampillées FM, n'ayant plus que leur joli minois pour briller sur les photos promos et les encarts publicitaires.
Un constat bien désolant, la faute à quantité de produits mièvres, sortes de Céline Dion
Metal aux structures et mélodies faciles, où les envoûtantes orchestrations baroques ont muté en une bouillie sirupeuse affreusement dégoulinante de bons sentiments, dans un effet de morphing où l'expression sérieuse de Haendel s'est transformée en sourire niais d'André Rieu. Une formule "soupe Liebig" dont certains labels ont profité pour se remplir les poches, mais qui a par-dessus tout dénaturé et discrédité le style artistiquement parlant.
Certes, on peut arguer qu'un genre musical doit évoluer pour éviter la sclérose, d'un côté c'est pas faux, mais si c'est pour en arriver à ça, pas sûr que ce soit une bonne chose. Quelques rares formations telles que
Draconian parviennent miraculeusement à réchapper à cette course au profit et au modernisme, en jouant à fond la carte de la tradition. Cependant, rien de bien neuf à l'horizon.
Bref, tout espoir semblait perdu … et pourtant, le Salut a fini par arriver, en l'an 2008, au moment où l'on s'y attendait le moins, et surtout de là où l'on s'y attendait le moins : les Etats-Unis d'Amérique, territoire très peu enclin à pratiquer ce genre musical : il y a bien entendu
Type O Negative, mais pas grand-chose si ce n'est rien à se mettre sous la dent question metal gothique "à chanteuse". Le Messie est donc arrivé et arbore en l'occurrence le visage d'une femme, celui de la jolie rouquine Laurie Ann Haus, essentiellement connue pour sa participation aux deux derniers albums de
Autumn Tears ("
Eclipse" et "The Hallowing"), l'un des fleurons de la scène darkwave néoclassique, concrétisant enfin par un full-length le projet qui lui tenait tant à cœur depuis si longtemps :
Todesbonden, dont elle posa les fondations quatre ans plus tôt avec un EP "Strombringer" sorti dans la confidentialité la plus totale, et la volonté de pouvoir enfin exprimer l'ensemble de ses goûts artistiques, après des années de frustration liée à son rôle de simple exécutante dans les divers projets auxquels elle a pris part :
Autumn Tears,
Rain Fell Within, Ol Sonuf et
Ephemeral Sun, tous actuellement splittés ou en hibernation. Sa personnalité, jusque-là bridée, peut enfin éclater au grand jour et sa carrière trouver son aboutissement avec un excellent "
Sleep Now, Quiet
Forest" réalisé à l'aide d'un quatuor de musiciens totalement rallié à sa cause, et enregistré aux prestigieux Fascination Street Studios sous la houlette de Jens Bogren (chez qui sont notamment passés
Opeth,
Katatonia et
Symphony X), garantie infaillible d'une production de haut vol.
Au vu du background de la Dame, on s'attendait à une musique très orientée atmosphérique et darkwave. Et c'est donc sans surprise qu'on retrouve de nombreux passages de musique de chambre très intimistes caractéristiques du style
Autumn Tears post-"Love Poems…", joués principalement au piano ("Trianon", "Fading
Empire") et à la guitare acoustique ("Aengus Og Fiddle", "
Ghost of the
Crescent Moon"). Mais
Todesbonden, habité par le zéphyr d'absolue liberté que souffle son égérie, offre un panel musical bien plus étendu et à forte coloration folklorique de par l'omniprésence du violon, alternant instants de profonde sérénité et vivaces envolées, assorti d'une multitude d'instruments : flûte ("Trianon", "Sailing Alone", "
Sleep Now, Quiet
Forest"), harpe ("Fading
Empire", "
Flow my Tears") ou encore kantele qui illumine de ses sonorités cristallines les trois derniers morceaux de l'album, rapprochant parfois la musique de
Todesbonden de celles de Hagalaz Runedance ou Loreena McKennitt, quand ce n'est pas
Dead Can Dance lorsque des répercussions rituelles font leur apparition ("Surya Namaskara").
Dans cette forêt d'instruments typiques de la darkwave et du folk, la section metal parvient néanmoins à se frayer un chemin à coups de riffs à la consistance doom bien massive voire même martiale, plaçant ci et là quelques soli bien heavy, conférant un supplément de relief au paysage musical, rompant la quiétude ambiante pour y insuffler un élan épique et des velléités combatives (notamment sur "Surya Namaskara" et "Battle of Kadesh").
Une section instrumentale d'une richesse exceptionnelle transcendée par une Laurie Ann Haus épanouie, libérée de tout carcan et qui, capable de naviguer sans difficulté sur plusieurs octaves, nous démontre toute l'étendue de ses facultés, délivrant une prestation remarquable d'assurance et de sincérité, entre chant d'opéra, harmonies orientales, instants intimistes ou tout en puissance lyrique, chacune de ses interventions est empreinte d'une intense plénitude.
"
Sleep Now, Quiet
Forest" se pose en véritable invitation à un voyage au cœur de diverses civilisations (celtique, nordique, orientale) et époques (
Renaissance, médiéval) dans un pur concentré d'émotions vives, respirant l'authenticité jusque dans son livret à la texture granuleuse, façon vieux parchemin, avec une illustration frontale représentant la grande prêtresse Haus, son regard tourné vers un paysage aux chaleureuses tonalités ocre et s'étendant à perte de vue, son regard tourné vers un avenir que l'on imagine radieux.
Respect éternel lui soit dû pour avoir eu le courage de composer un tel album, aussi pur et enchanteur, sans compromis commercial, allant totalement à l'encontre de l'actuelle évolution du metal gothique et de ses canons modernes conçus pour squatter les samplers et cartonner sur les ondes.
Alléluia ! Enfin du neuf sur la scène metal goth et diantre, après tant d'années de disette, ça fait vraiment du bien !
Vous devez être membre pour pouvoir ajouter un commentaire