David DeFeis : Salut frangine, j'aurais un service à te demander.
Danae DeFeis : Quel genre, p'tit frère ?
David : Heu, j'ai un gros problème de sous, là, et y'a qu'une femme qui puisse me tirer d'affaire...
Danae : Si tu envisages de vendre mes faveurs sexuelles, ma réponse est non.
David : Rhooo meu non, qu'esse tu vas chercher ? Je voudrais juste te faire chanter...
Danae : Ah ben ça s'arrange ! Et quelle turpitude menaces-tu de révéler pour que je te file du fric ?
David : Rhooo meu non, qu'esse tu vas chercher ? T'as vraiment l'esprit mal tourné ! Je voudrais que tu chantes dans l'album d'un all-female band où tu seras la seule nana. Ça te prendra pas beaucoup de temps, j'ai juste une semaine pour le composer, l'enregistrer et le produire.
Par ce dialogue hypothétique aurait pu débuter la fameuse série « Un DeFeis paie toujours ses dettes, saison 3 ». On rappelle les données du problème : David DeFeis doit de l'argent à son label
Cobra Records et le prix à payer est la livraison clef en main et sous un mois de trois albums vierges de tout droit, exploitables par la maison de disque. Après le « Stay Ugly » de
Piledriver et le «
Nightmare Theatre » d'
Exorcist, il reste 8 jours pour boucler la boucle. Puisqu'il ne faut pas que
Virgin Steele soit soupçonné, pourquoi ne pas mettre en scène un pseudo groupe féminin ? Seulement voilà, on touche là aux limites du talent protéiforme de la voix de David DeFeis : s'il a pu chanter comme un démon sorti de l'enfer sur
Exorcist, il n'est pas en mesure de se muer en succube et d'imiter crédiblement la tessiture d'une femme.
D’où l'appel à la solidarité familiale : pas auprès de Doreen, la chanteuse d'opéra (quelle famille !), mais de Danae la rockeuse. Celle dont le petit David allait écouter les répétitions du groupe formé avec son frère Damon (bis, quelle famille, et je ne parle pas des parents), dans la cave paternelle, et dont les reprises de
Black Sabbath et de
Bloodrock auront contribué à former la sensibilité. Danae accepte avec plaisir et ne le regrettera pas : aux dires de DeFeis, elle va s'amuser comme une folle à entonner les textes délicieusement orgiaques et satanistes de «
Sin Will Find you out », unique album de l'éphémère et circonstanciel
Original Sin.
Sataniste ? Oui, pas le temps de niaiser, ça urge. On court donc sur l'erre de «
Nightmare Theatre » et son
Metal maléfique, en se disant peut-être que l'association gonzesses-démon devrait faire bicher les requins de
Cobra Records (d'ailleurs on s'en fout). On est dans le mood, chaud bouillant, et la compo des titres fuse au rythme d'une salve d'orgues de Staline. Il faut se débarrasser de la corvée pour passer aux choses sérieuses. On garde les intervenants d'
Exorcist,
Jack O'Reilly prenant l'intégralité du travail à la basse et bien sûr, Danae chantant à la place de David. Et on expédie à la va-vite un album d'à peine plus de 30mn pour en finir avec les commanditaires indélicats. Et hop, voilà, c'est torché.
Vous voulez que je vous dise un truc ? C'est pas juste.
Pas mal de bons groupes, et il en avait une palanquée à l'époque, auraient sué sang et eau pendant plus d'un an sans parvenir à sortir un résultat aussi cohérent et réussi. On n'a pas bien sûr la 8e merveille du monde. Juste un petit brûlot de Speed emporté par une voix féminine sortie de nulle part. Honteux, abject de voir comment des musiciens d'exception sont capables de créer et d'exécuter de bonnes compositions avec autant d'aisance que j'en ai pour aller pisser ma bière.
D'ailleurs, tant qu'on y est, autant se faire plaisir, même si ça fait un peu filler. Les 3 mâles incognitos du groupe féminin ont droit à leur titre solo. Cynthia Taylor, enfin, Ed Pursino, déroule A Slice of Finger avec la même énergie bouillonnante qu'il applique aux autres morceaux. Sur
Thunder War, Joe O' Reilly (alias
Pandora Fox, clin d'œil au titre
Pandora's Box) nous tricote de la dentelle à la basse : les quelques notes de synthé qui l'accompagnent indiquent que le père David s'est cru obligé d'ajouter son grain de sel. Si Mark Edwards (j'adore son pseudo, Darlene Destructo) n'a pas son propre titre, les 50'' d'intro de The Succubus lui sont entièrement dévolues et il en use avec bonheur. Remplissage aussi, les intro et outro aux voix féminines contrefaites ; de même, les mitraillages et explosions de
Disease Bomb consomment quelques secondes inutiles. Pourtant, on quitte cet album avec un sourire ravi.
Courts, les titres défilent pied au plancher. On tire son chapeau à la donzelle DeFeis, qui sans être dans le circuit professionnel, pilote la formule 1 d'une main de maître (entendez : de dominatrice). Une voix grave et enthousiaste que les compos d'un David à l’écœurant registre pousse parfois à ses extrémités : on sent un brin de fragilité dans ses aiguës sur
Conjuration of the Watchers, un titre un peu plus élaboré que déclamera sans problème l'infect DeFeis dans « The Book of
Burning ». The Succubus au break emphatique sera aussi repris dans le même album pour le compte de
Virgin Steele.
On biche bien sur le heurté
Pandora'sBox, au hennissant solo de Pursino. On headbangue comme un furieux sur la rythmique emballée de To the
Devil a Daughter. Pour chipoter, on regrettera peut-être le côté « cheveu dans la soupe » d'un
Disease Bomb à la thématique plus grave et sérieuse, mais le reproche est faible, tant ce titre est dans la parfaite continuité musicale du reste.
Mais ce sont les titres les plus simples (pas que les autres soient très complexes, hein) qui emportent le plus l'adhésion : le vrombissant Enchantress of Death au refrain plein d'allant ; le délicieux Bitches from
Hell dont le titre se passe de commentaire ; et surtout The
Curse, galopade extatique à la fluidité sans pareille, impeccablement rehaussée d'un court break à la basse.
«
Sin Will Find You out » clôt en beauté la série des dettes, même s'il est finalement moins original. Sur le second
Piledriver, DeFeis et Pursino se coulent dans le moule d'un Heavy Thrash (plutôt trash, d'ailleurs) d'un autre groupe ; avec
Nightmare Theatre, ils adoptent les canons novateurs d'un Black primitif.
Original Sin ne fait que du Speed basique : oui, mais rappelons que le style est alors bien éloigné du Heavy de
Virgin Steele, encore empreint de
Hard Rock ; et les deux musiciens impriment à une rythmique que n'aurait pas reniée
Exciter des inflexions mélodiques bien caractéristiques du Steele.
Et puis à un moment, faut pas trop se casser la tête : profitons sans réserve de la voix de cette étoile filante qu'est Danae et de la parfaite jubilation qu'induit l'écoute d'un album direct et sans prétention.
Ha tiens, c'est marrant que cette chronique arrive aujourd'hui, alors que je m'intéressais justement à ce "groupe" et à sa naissance et mort alambiquées voilà même pas 2 semaines.
Bon, honnêtement, ce que j'en ai écouté sur Toitube m'en a touché une sans faire bouger l'autre, pour paraphraser qui vous savez, mais ton élégant descriptif de cette aimable escroquerie me donne finalement envie d'y rejeter une oreille. Comme quoi, une plume de talent aide toujours à mieux faire passer un produit, même quand son contenu n'est pas forcément folichon au premier abord. Tu bosserais pas dans la pub par hasard, ou dans la politique ?! ;)
Merci pour la kro ! :)
La pub ou la politique? MDR! J'ai une sainte horreur de la pub, et pour la politique, ben, mon ego souffre d'une faibleisse congénitale: je suis incapable de me prendre au sérieux et d'arborer la moindre certitude, même pour faire semblant...
Après, j'aime juste parler des disques qui m'ont bien plu, surtout quand il y a un histoire derrière ;)
Merci pour le com!
Haha, t'as bien raison ! Je plaisantais bien entendu.
Je suis tombé sur ce vinyl tout neuf et c'est avec plaisir que je découvre l'histoire de ce fake band ! Sans ta chro... je serai probablement tombé dans le panneau !.. ma première lecture ne m'inspire rien de mieux qu'un speed metal sans grand saveur... par contre il est clair que la voix de seurette DeFeis reste l'atout majeur du disque.
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