Sans conflit de génération ou de genre, cette curieuse association entre des membres d’«
Enforcer » et d’anciens membres de «
Nifelheim » aura finalement réussi son envol. Suite au succès de la première pièce « Goin’ Under », le combo suédois «
Black Trip » s’est rapidement fait un nom, devenant une signature convoitée du label SPV/Steamhammer. Le groupe a su séduire dans un registre heavy/hard très emprunté au fleuron irlandais qu’est «
Thin Lizzy ». Du coup, chacun ayant pris ses marques, il parait très logique que la troupe rempile pour un second forfait. C’est chose faite avec «
Shadowline », volume enregistré au Honk
Palace sous la supervision de Nicke Andersson en début d’année 2015, et voulu plus personnel aux dires de ses créateurs. L’œuvre n’est peut-être pas saillant d’originalité, il en demeure une pièce déterminante pour la suite de leur projet. «
Black Trip » ne perd en rien de la solidité de ses débuts, mais nous confie quelques-unes de ses limites à travers ce second opus.
La première piste présageait pourtant tout ce qu’il y a de meilleur. En effet, «
Die With Me » fait une entrée fracassante, une nouvelle fois à la croisée entre hard rock et heavy metal, dans une très forte inspiration «
Thin Lizzy », offrant beaucoup de répondant et de percutant. On retrouve également une dynamique excellemment articulée à travers « Sceneries », mettant bien en avant le jeu de guitare. II aurait pu en être de même sur « Coming
Home », de nouveau dans un strict calque avec la formation de feu Phil Lynott. Le morceau s’illustre bien réactif, mais donne malgré tout quelques mauvais signes de redondance. On parvient au sentiment que «
Black Trip » s’exerce parfois à produire l’équivalent d’un «
Thin Lizzy » de face B. L’écoute d’« Over the Worldly Walls » n’est pas des plus emballantes, même si celui-ci contient un superbe solo. Il se révèlerait un peu trop passif ou terne dans le ton.
En général, les titres éponymes d’album se révèlent des plus fins et parmi les plus élaborés. On sent poindre quelque chose de fort à l’écoute de l’arpège froid de l’entame, puis la suite nous soumet un titre assez mid tempo et particulièrement répétitif. En cela, le titre «
Shadowline » se catalogue parmi les extraits les moins créatifs et efficaces de l’album. La technicité du jeu des guitares serait le seul intérêt solide que l’on y retient. « The
Storm » utilise de même un arpège des plus glacials pour lancer la machine. Ce dit-titre n’offre par contre pas de changement marquant sur sa suite. C’est aussi ténébreux que ne l’a été l’effrayant et fantomatique interlude « Rooms ». S’il y a changement sur « The
Storm », c’est juste au niveau du rythme en seconde moitié de piste, devenant rapide et affichant plus ample détermination. Il est important de souligner les efforts produits par Joseph Tholl. Là, on l’entend crier, en trance, pris dans un délire digne de ceux entendus durant les 70s.
Peut-être justement ce disque respire davantage cette lointaine époque. Les sonorités ne sont guère différentes. «
Danger », notamment, épouse parfaitement cette période, pris quelque part entre « Jailbreak » et « Johnny the
Fox » de «
Thin Lizzy ». Les changements de rythme sont de règle, les riffs sont salvés et paraissent irrités, à l’image de notre chanteur pris dans une espèce de fièvre. Néanmoins, il existe beaucoup de répétitions inutiles, des atermoiements un peu dommageables dans la durée. C’est comme pour ces à-coups que l’on entend sur « Subvisual
Sleep ». Il y a encore une volonté de permanence là-dessous. Par contre avec cet extrait, «
Black Trip » se montre plus subtil, réagissant au bon moment pour casser le rythme et rendre nul tout risque de redondance. Le morceau, qui plus est, fait illustration d’un excellent niveau technique.
S’il y a dans cet ouvrage quelques bouleversements, il faut être attentif et observer du côté de « Berlin Model 32 ». Là, ça devient un rock n’ roll décomplexé avec un peu de groove, une mécanique imparable garantissant la bonne humeur. Le ton y est complétement réjouissant. On y entend aussi les maracas à travers le refrain. Hormis, un solo un peu plus mélodique, on se laisse imaginer que les suédois ont réécouté entretemps quelques hits de «
ZZ Top ». L’auditeur qui aura déjà prêté une oreille à leur premier forfait, se fera surprendre dès que viendra en lecture le digne et pétaradant « Clockworks », lui encore dans un trip très rock n’ roll, teinté groove. La rythmique y est par contre relativement soutenue, ne perturbant en rien toute fluidité. Il s’agirait même d’une véritable perle. Un petit exercice éloquent de vivacité et de précision, qui sera cependant jugé trop court. Retenons cela comme un gage de qualité.
En définitif, «
Shadowline » ne va pas modérer notre goût pour «
Black Trip » ou pour «
Thin Lizzy ». On retrouve là l’influence majeure qui avait fait parler de cette formation de Suède au départ. Des différences existent néanmoins entre « Goin’ Under » et «
Shadowline ». Le second puise dans un style plus épuré que le premier, qui nous avait comblé par un jeu éminemment riche et complexe. C’est sans doute ici que l’on peut y cerner des limites dans la composition de ce nouvel ouvrage. Des riffs répétés ou étirés ont parfois remplacé les longues tirades techniques, plus abondantes chez « Goin’ Under ». Le groupe a pris le risque de créer de la redondance dans sa musique. Et, il en paye le prix. Malgré la qualité de l’ensemble, il n’est pas rare d’être poussé à zapper sur une autre piste à force de lassitude. On dira sans trop se mentir que «
Shadowline » contentera à peu près tout le monde. Il ne laissera toutefois pas une marque aussi indélébile que son prédécesseur.
14/20
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