La scène hongroise de folk/pagan s’avère aujourd’hui une des plus intéressantes des pays d’
Europe de l’est, si on excepte, bien entendu, la partie la plus orientale, comprenant la Russie et l’Ukraine. On a bien en tête la formation «
Dalriada », qui monte admirablement en puissance depuis ses deux derniers albums, incontournables dans le genre. «
Niburta » est un nouvel arrivant qui semble marcher sur ses pas. Créé en 2009, à l’origine sous le nom « Tardos », par une bande d’amis, le groupe va muter, changeant régulièrement de line-up, et maintenant mené par le guitariste Janos Krieser et le multi-instrumentiste Balázs "
Busó" Hormai. Du metalcore de leur tout-début, ils vont très vite se diriger vers un combiné folk metal/death mélodique du meilleur aspect dès leur démo «
Eredet » de 2010. Va s’en suivre le single «
Awakening » en vue de la préparation d’un premier album. Celui-là portera la griffe de Nail Records, label éminent en Hongrie. Les compositions de «
Niburta » vont mouche. Elles nous attirent et nous interpellent. Nous ne savons pas si la sauvagerie et la grâce contenues sont d’ordre animal ou humain. A ceux qui se désintéressent des productions en provenance des pays de l’ex-bloc communiste, écoutez ce cri strident (humain ou animal) venu d’une des régions les plus évoluées en matière de folk metal.
La toute première approche de l’ouvrage offre un attrait indéniable pour ce qui va suivre. « The Descent » est une magnifique introduction où le chant gracieux de Martina Veronika Horváth sévit de manière particulièrement sereine. Ils ont conféré une dimension spirituelle, quasi religieuse à cette mise en bouche, notamment à l’aide de chœurs et de sobres percussions. La suite se dévoilera de façon un peu plus inattendue, mais tout aussi efficacement. Ainsi, « Balkanic
Heart » se déploie façonné dans un mélange assez audacieux entre musique traditionnelle des balkans, si on en croit les parties de flûte fleuretant avec une dose mesurée d’orientalisme typique des régions du sud-est de l’
Europe, et un metal incisif, mordant, dirons-nous. Une dualité originale est orchestrée entre le chant clair magnifique de Martina et le chant phrasé d’István Kristóf. «
Niburta » jouerait à fond la carte de la richesse musicale. L’auditeur fait face à un folk metal élaboré, qui cherche à se démarquer visiblement de ses influences les plus proches, «
Dalriada » et «
Eluveitie », pour voler de ses propres ailes.
Cette ambivalence, cette florescence de sonorités s’illustrent sur chaque piste de «
Scream from the East », elles explosent littéralement sur «
Awakening », idéalement représenté dans un clip qui rendra de nombreux congénères jaloux. Les composants folklore hongrois et death metal sont mis sur un pied d’égalité. Cette combinaison fonctionne également sous un ton davantage posé et repu, comme l’atteste « Dance of Satyrs ». La douceur du violon tente de contenir les débordements créés par les growls et le riffing saccadé. Comme sur « Dance of Satyrs », les parties folk de «
Forgotten Path » n’agissent qu’en soutien d’un metal au rythme saccadé et énergique. Il y a néanmoins plus de magie, une fluctuation folklorique très attachante. Le groupe y est plus entreprenant aussi et laisse le chant féminin s’exprimer aux côtés du chant nerveux de Balázs. La guimbarde est à l’office, mais elle reste bien timide en comparaison de ce qu’elle offre sur le vénérable et très traditionnel « Nap és Hold ». Ce titre agirait telle une âme revenue de l’au-delà. Il vient nous hanter, nous effrayer par moments par quelques airs dissonants, puis sur la fin, il s’évapore, se disloque, nous laissant des visions de cauchemar.
La musique a traversé le temps, elle provient des peuples des steppes, des scythes. Elle se révèle préservée sur un « Rege » basé sur des airs tribaux et un style qu’on oserait rapprocher de celui de «
Cruadalach ». Elle apparait subtile, délicate, en totale harmonie avec la nature sur l’instrumental « Forebear’s Dance », emmené par la cornemuse et les percussions sur sa première partie, puis enjolivé par le violon et le flûte sur la seconde. L’aspect champêtre et joyeux de ce divin morceau ne saura toutefois égaler le petit chef d’œuvre du folk d’
Europe centrale qu’est l’éblouissant « Sto Imala Kasmet », qui traduit encore les origines orientales du peuple hongrois.
Pas de présence de metal sur ces deux derniers titres cités, à l’inverse de « Mašala », banal dans son metal. Les riffs y sont contractés et poussifs. Heureusement que nous aurons la présence du chant enchanté de Martina pour compenser la moindre performance de ses camarades. Cela dit, la faute est légère et n’effrite en rien le solide et complexe édifice bâti par «
Niburta ».
Cette formation ne nous a pas accompagné dans un autre pays, ni dans un autre espace-temps, mais dans les profondeurs de notre propre imaginaire. Elle a su représenter une impression en adéquation avec l’étonnant personnage que donne son nom.
Niburta était le dieu scythe de la guerre et de l’agriculture, un corps à deux visages. Deux idéaux qui ne se concurrencent point contrairement à d’autres cultures, mais se complètent. C’est tout à fait l’esprit, et ce qu’il ressort de l’écoute du premier album de la grande troupe «
Niburta ». Ils utilisent et marient des éléments qui ne semblaient pas forcément en bonne entente. C’est avec du nez, de la finesse et un sens aigüe de la technique et du maniement des instruments qu’ils arrivent à un résultat inespéré. Contrairement à la vision de la pochette, il ne faut pas imaginer devoir se confronter à un monstre, plus à un être surnaturel en train de naître.
16/20
Vous devez être membre pour pouvoir ajouter un commentaire