L'Australie vibre au rythme de la musique à breakdowns:
Parkway Drive,
Thy Art Is Murder,
The Red Shore,
Make Them Suffer... Chaque année de jeunes formations -core envahissent la scène et commencent petit à petit à éclipser la scène ricaine: certes, il est encore trop tôt pour émettre un jugement définitif mais il est indéniable que les Australiens empilent réussites sur réussites, il suffit d'aller voir du côté du “
Hate” de
Thy Art Is Murder ou du “
Atlas” de
Parkway Drive pour s'en rendre compte.
Nouvel outsider sur la scène metalcore,
Feed Her To The Sharks délivrent leur second full-length, faisant suite à leur premier essai datant de 2010 “The Beauty of Falling”, un album de bonne facture, influencé notamment par la musique de
I Killed The Prom Queen. La nouvelle progéniture se nomme “
Savage Seas”, perpétuant la symbolique aquatique qui caractérise leur musique, et confirme le potentiel d'un groupe qui commence doucement à se faire une place de choix sur le devant de la scène.
Feed Her To The Sharks officient depuis leur début dans un metalcore mélodique, fortement enraciné dans leur terreau natal et qui, à ses débuts, demeurait efficace, même si l'originalité n'était pas toujours au rendez-vous. Si les Australiens ne dynamitent les normes du genre avec leur nouvel album, ils ont le mérite de solidifier leurs acquis. Cela passe par le chant musclé de Andrew Vanderzalm, à la sonorité très carnassière et moins linéaire qu'auparavant; il rejoint en ce sens un chant clair libéré des contraintes mécaniques auxquelles il se heurtait autrefois. Preuve à l'appui, “Memory of You”concilie des growls puissants aigris avec des refains chantés entêtants, proposant un contraste direct et efficace pour un morceau certes ultra-basique mais réussi.
Pour un album auto-produit, ce “
Savage Seas” est prêt à casser des briques: tsunami sonore, la production offre un support de choix au gain d'agressivité dont les Australiens se gargarisent. Du son un poil trop lisse de “The Beauty of Falling”, on passe à une excavation acoustique approfondie qui propulse certains titres dans un registre proche du deathcore, tel “Fuck Melbourne”, torrent de frustration qui déferle avec rage au rythme de breaks térébrants. “
Savage Seas” n'a rien à lui envier et s'écoute avec autant d'admiration, d'autant plus que le tempo haché ramène le souvenir d'un certain
Veil Of Maya. On a vu pire comme comparaison.
Paradoxalement cependant, la cohésion instrumentale est régie par un hasard assez troublant. Autant certains titres bénéficient d'un mixage juste, autant d'autres cèdent à une schizophrénie incompréhensible: sur “Shore Of Loneliness” par exemple, les guitares sont bien trop en retrait et peinent à se faire une place entre le chant et les autres instruments; même constat pour “
Death's Design” où la toile musicale s'apparente à un fouillis phonique. Le résultat n'est pas dérangeant outre-mesure mais prive ce “
Savage Seas” d'une véritable unité acoustique, d'ordinaire le point fort des formations metalcore.
Ce détail technique outrepassé,
Feed Her To The Sharks possèdent un arsenal de titres impressionnant, mêlant des compositions plus basiques (“
Sink Or Swim”, “
Save Yourself”...) à des morceaux viscéraux plus remarquables parce qu'ils ne s'enlisent dans aucun compromis et osent parader en dehors de leur univers. “
Buried Alive” fait parti de ceux-là, et d'un démarrage brusque s'oriente vers des sonorités morbides qui s'imposent crescendo comme une composante orgasmique et déboule en fin de morceau sur une avalanche d'énergie, sécante et autoritaire. Sur “Take Me Back”, c'est l'effort investi sur les vocaux qui suscite la curiosité, notamment pour la complémentarité entre parties hurlées et chantées, qui se chevauchent avec élégance. La recrudescence des sonorités electro est aussi à noter puisqu'elle est usitée de manière souvent astucieuse, en appui pour annoncer un break furieux, pour déstructurer le chant ou plus simplement en guise d'interlude au cœur d'un morceau. Le procédé n'est pas prétexte à une utilisation abusive et se détache d'une quelconque prétention: “Take Me Back” en est encore une fois la meilleure illustration.
Et pourtant, de ces attributs résulte un parfum d'inaccompli. “
Savage Seas” est un album de qualité, on ne peut en douter; mais il lui manque une unité. Unité acoustique déjà, comme précisé quelques lignes plus haut, et aussi une unité formelle. On ne peut pas reprocher à
Feed Her To The Sharks un quelconque titubement musical: la base est très solide, le talent est là, les acquis s'endurcissent... Mais il manque des automatismes. Á l'époque de “The Beauty of Falling”, les incohérences que l'on dénotait participaient au charme de l'opus, qui restait fidèle à une unité artistique. Avec ce “
Savage Seas”, on craint la surenchère, celle qui consiste à produire énormément, en oubliant de condenser l'effort. Ainsi, l'enchaînement des morceaux est maladroit, ne parvenant pas à créer un effet de continuité, lorgnant d'avantage vers un aspect playlist désordonné. De même, le recours aux parties chantées est tantôt convaincant, tantôt lourdement mécanique, parfois carrément dispensable (“
Save Yourself” est difficile à digérer en fin d'album). Enfin, on regrette l'absence d'alternances atmosphériques, de passages distendus qui faisaient la force de l'album précédent (rappelez-vous les interludes “Digital
Breakdown” et “
Tragedy, Tears and
Sorrow”) et qui auraient apporté à ce nouveau rejeton une clarté d'organisation, voilée par la surcharge pondérale de certaines compositions.
En définitive,
Feed Her To The Sharks ont surtout été confronté à un problème de forme, plutôt qu'à un problème de fond. Musicalement, il y a finalement peu de reproches à faire, l'album demeure efficace; en revanche, l'agencement artistique est encore bégayant.
Pas fragile mais irrésolu. Les Australiens sont maintenant aux portes du succès, ils leur faut uniquement catalyser leur savoir-faire, fortifier leur propos. Ce “
Savage Seas” demeure un bon album, en attente d'une transcendance architecturale, possible ticket vers une pérennité méritée. Nouvelle valeur de la scène australienne, les
Feed Her To The Sharks (toujours sans label au passage) ont un potentiel véritable, qui ne demande qu'à entrer en maturité.
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