Trois ans ont passé, l'Orage de Cuir s'en est allé dans un grondement de plus en plus lointain, laissant derrière lui une odeur de soufre et une terre souillée par un sanglant sacrifice. Trois ans déjà et les souvenirs sont toujours aussi présents, j'entends ce cri comme si c'était hier et depuis j'erre, je marche droit devant moi, j'espère...
Mes pieds foulent désormais le sable fin, les embruns chargés d'iode et d'odeur de varech me fouettent le visage, le ressac de plus en plus puissant rythme ma marche. J'avance sur cette plage, faiblement éclairé par une pleine lune drapée d'un épais nuage, rendant ma grande silhouette fantomatique, je guette le moindre signe.
Un grondement lointain se fait entendre, un disque sombre semble vouloir dévorer l'astre d'ivoire, une éclipse se prépare, est-ce le signe tant attendu ? Un éclair déchire le ciel, fige le temps et l'espace en imprimant l'environnement sur ma rétine, le contour de dizaines de crucifiés se détache sur l'horizon marin, la scène intitulée "A
Blaze from Afar" peinte par Tobias Könneman devient réalité devant mes yeux, enfin le signe espéré. Un chuchotis brise le soudain silence, "
Satan, créature de Dieu" entends-je, la messe infernale commence. Étrangement je ne suis pas effrayé, mais comment en suis-je arrivé là ?
2011,
Sanctuaire sortait "
L'Empreinte de Lucifer", premier jet à la production désargentée et dont le traitement sonore manquait de puissance et de profondeur. Malgré cette carence et quelques imperfections, les titres marquants sont nombreux, à l'image du déjà cité "Orage de Cuir", "
Sentence", "L'Emmurée Vivante" ou encore "Société Fantôme" et laissent entrevoir un fort potentiel, convainquant Emanes Records d'en assurer la distribution.
2013, le groupe entre au studio Microclimat (Grenoble), les sessions seront captées par Xavier Sindt qui a également œuvré sur les trois dernières réalisations de
Lonewolf et en Avril 2014, "
Sainte Mort" est enfin disponible.
Dès les premières notes, le contraste avec le précédent opus est évident. Nous sommes loin de la production étriquée de "
L'Empreinte de Lucifer", il y a de l'impact, du relief, le son est massif, lourd sans être écrasant, les pulsations dynamiques de la grosse caisse laissent apprécier le jeu inspiré de Hellex, les basses sont rondes et présentes, les meilleures conditions sont réunies pour que le Heavy-Speed du combo Isérois s'exprime sans bride ni entrave.
Sombre et véloce, à l'image des "Une Messe pour L'Enfer", "La Chambre Ardente", "
Sainte Mort" aux accents introductifs Slayeriens ou encore "L'Île des Sacrifices",
Sanctuaire développe son Heavy mâtiné de Speed en alternant riffs tranchants et plombés avec toujours le souci du détail et de la touche mélodique en soutien qui rend chaque morceau unique et facilement identifiable. Les compos sont solides, il n'y a pas de temps mort et la demie-heure d'écoute passe trop vite. Toutefois, quelques pièces méritent que l'on s'attarde davantage.
"Berceau du Mal", déjà présente sur leur démo "
Un Autre Enfer" et incluse en Bonus
Track sur "L’Empreinte de
Lucifer" est livrée ici, retravaillée. Évoluant dans un éclairage clair-obscur, l'ouverture toute en retenue transmet la tonalité mélancolique des guitares, contrastant avec les soudaines et brutales accélérations, la mélodie entêtante étouffe toutes velléités de résistance, la colère suggérée laisse la place à une tristesse résignée, les arrangements sont superbes et le titre prend toute sa dimension. Une réussite.
"Les Tueurs de L'
Eclipse" et sa mélodie en lead en pièce centrale ou son pendant gémellaire, "Les Visages de la Peur", et son alternance de chant posé sur la basse seule, puis tranché par un riffing superposé, légèrement dissonant, dévoilent la richesse des différentes strates au gré de plusieurs écoutes, les fers se croisent, se décroisent, s'entrechoquent, découpent le tissage mélodique sans cesse renouvelé dans le but d'amener les refrains que l'on se surprend à reprendre en chœur, mélodiques et intenses.
Et impossible de passer sous silence l'hommage fait à
High Power avec cette reprise respectueuse et appliquée de "L'Ange au Regard Noir", l'espace d'un instant le Phœnix semble renaître de ses cendres, l'ombre du regretté Patrick Malbos plane le temps de la chanson et nul doute qu'il aurait apprécié ce témoignage de respect.
Les points positifs, le son, les arrangements, l'impeccable partition de batterie, les paroles noires et tourmentées, déclamées avec conviction par Florent Manquat qui possède un réel talent à faire vivre ses textes.
Petit point négatif, la frustrante brièveté des solis de guitare, un détail qui m'a gêné au départ et qui s'estompe après quelques écoutes, l'on s'habitue doucement à ce côté concis et incisif.
Avec cet album, le groupe Isèrois porte haut le flambeau jadis allumé par ses valeureux aînés, on pense bien évidemment à ces groupes mythiques tels que Sortilège, Blasphème,
H-Bomb,
ADX,
Killers,
High Power... Certaines de ces formations sont tombées au champ d'honneur, d'autres ont essuyé moult embûches,
Sanctuaire ravive la flamme en y apposant sa patte avec son sens du détail et de la mélodie, une brillante confirmation.
Après avoir été le témoin privilégié des ces saynètes horrifiques et sanglantes, je repars, le cœur pour un temps apaisé et l'esprit empli de nouveaux souvenirs. Le silence s'invite de nouveau, à peine dérangé par l'intermittence du ressac de plus en plus langoureux, reposant. Je quitte cette plage, tournant le dos à ces malheureux crucifiés et poursuis ma quête à la recherche d'un nouveau signe, dusse-je marcher durant trois ans, cent ans ou mille ans.
J'espère...
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