Quelle pourrait être la plus grande crainte d’un Père lorsque sa fille chérie atteint l’adolescence ?
Peut-être de la voir partir en talons aiguilles, perfecto, mini-jupe, maquillée à la truelle, accrochée langoureusement au dos d’un motard / rocker dans un état douteux, qui ne se sera évidemment pas donné la peine de venir se présenter, et qui poussera le vice jusqu’à effectuer un joli burn devant la cour fleurie de la maison avant de faire un vague signe d’adieu ressemblant imperceptiblement à un doigt d’honneur…
Si le brave John Turner, propriétaire d’un petit magasin de disque dans Wandsworth, un quartier du sud de Londres, était de nature anxieuse, il a certainement passé d’interminables nuits blanches en attendant le retour tardif de sa progéniture, car ses filles, à peine réglées, fréquentaient déjà les pires loubards du milieu Rock underground londonien.
Flashback. Nous sommes en 1977, et la petite Jody Turner, 13 printemps, entend les Runaways dans la boutique de Papa. Soufflée par le charisme de
Lita Ford et de Joan Jett, la demoiselle décide sur le champ qu’elle veut devenir Rock Star. Ça tombe bien, car il y a une salle de répét’ dans l’arrière boutique. Jody empoigne la guitare et le micro, tandis que sa petite sœur Julie, 9 ans, se met naturellement derrière les fûts pour l’accompagner. Un groupe est né.
Des copines de l’école, Tracey Lamb et Donnica Camon (qui ne restera pas longtemps) viennent compléter ce premier line-up, respectivement à la basse et aux claviers, et le groupe, qui n’a pas encore de nom, se met à répéter de façon intensive pendant plusieurs années. Papa John, voyant l’envergure que prend le combo, et voulant surtout garder un œil sur ses deux bébés qui ont grandi un peu trop vite, décide d’en devenir le manager, et organise les premiers concerts des filles, rapidement encensés par le magazine Sounds.
C’est en
1980 que le Destin vient définitivement frapper à leur porte, sous les traits de leur copine Corrina, chanteuse d’un autre Girls Band londonien,
Androids Of Mu. La miss leur propose d’enregistrer un morceau pour figurer sur une compilation 100% féminine que projette de sortir le label Girlfriend Records l’année suivante. Les filles choisissent «Make My
Night», qui va faire un carton dans l’underground de Big
Smoke, avec quelques autres morceaux de «Music Waves – A Collection of 12 Women Bands From The U.K.» (1981). Une tournée
Rock Goddess /
Androids Of Mu / Gymslips est organisée pour promouvoir la compilation, dont la première date a lieu au Club 101 de Londres. Les dates s’enchaînent, et tout va alors aller très vite.
Le groupe est remarqué par Vic Maile, producteur ayant bossé avec les plus grands, d’Hendrix à Led Zep en passant par Motörhead, et qui sera quelques années plus tard connu par les Hair métalleux pour être à l’origine du culte «EP -
Live From The Jungle» de Guns N Roses. Vic enregistre avec les adolescentes une démo 4 titres, qui leur permet d’obtenir une place sur l’affiche du mythique Reading Festival cru 1982.
Rock Goddess y réalise une performance sauvage, qui se conclue logiquement par la signature d’un contrat avec la major company A&M. Jody et Tracy viennent de fêter leurs 18 ans, Julie a 14 ans. L’histoire est en marche, rendant Wandsworth célèbre (tout est relatif) bien avant que Tony Blair n’y élise domicile.
On ne change pas une équipe qui gagne, et c’est donc Vic Maile qu’A&M missionne pour enregistrer le premier full-length de
Rock Goddess. Ayant compris que la force du Girls Band résidait principalement dans le côté «bulldozer» qui émanait de chacun de leurs concerts, le producteur va travailler un son brut et sans fioritures, la section rythmique mise en avant pour transmettre l’énergie plus que communicative qui était la marque de fabrique du combo. Et effectivement, une seule écoute suffit pour comprendre que Vic a réussi un nouveau coup de maître en capturant la jeunesse, la fougue, l’envie, le désir de tout casser -au sens propre et figuré- de ces trois petits bouts de femme qui voulaient jouer les grandes.
Si en France, les enfants-stars évoquent chez la plupart de nos compatriotes une image mentale de Douchka se déhanchant devant Jean-Pierre Foucault au son du tube «Élémentaire mon cher Baloo» ou celle d’un vieux 45 Tours poussiéreux issu du demi million d’exemplaires écoulé par Jordy, dont les propriétaires se demandent encore lors de débats philosophiques familiaux ce qui a bien pu un jour les pousser à investir 15 Francs dans une telle bouse, le Royaume Uni peut se targuer d’avoir assisté à la naissance non pas de pantins manipulés par des parents avides, mais de vraies musiciennes démontrant une maturité musicale impressionnante de songwriters sur ce premier opus.
Jody nous envoute immédiatement avec une voix rocailleuse et rageuse (Satisfied Then Crucified), subtil mélange de féminité et de testostérone, nous balançant à la gueule une succession de riffs implacables (Back To You / The Love Lingers Still), à double tranchant, dont l’une des faces serait heavy et l’autre catchy. On mémorise instantanément ces morceaux up-tempo, sans temps mort, certes simples, mais à l’efficacité redoutable. Quant on en vient aux soli, Jody n’a pas inventé la poudre, mais sait la faire parler, sans toutefois faire trop d’étincelles. L’intérêt des chansons réside de toutes façons dans les chansons elles-mêmes, et non dans les artifices dont elles sont affublées, quoique les chœurs soient loin d’être inintéressants (Take Your Love Away).
Ces onze brûlots sont sublimés par le punch de Julie, véritable star du groupe, gueule d’ange mais dangereuse tigresse martelant ses fûts comme si sa vie en dépendait, envoyant implacablement des roulements de toms à la Keith
Moon sans jamais faiblir (
My Angel), parfaitement épaulée par la basse puissante de Tracey.
Les filles ne feront pas de quartier, et bien qu’à l’exception de «Heavy
Metal Rock’N’Roll» au titre évocateur, l’unique thème abordé dans cet opus soit l’Amour [version Bad Girls, vous avez, celles qui n’hésitent pas à faire des acrobaties sur les banquettes arrières des Clio], aucune ballade ne sera concédée.
Rock Goddess remet les points sur les I à chaque nouvelle chanson, méritant largement son nom, et prouvant s’il en était besoin aux derniers machos, que le
Metal peut aussi être une affaire de filles.
Def Leppard, Iron Maiden,
Saxon ou
Fastway ne s’y sont d’ailleurs pas trompés, enchaînant des tournées avec les trois rebelles, entre lesquelles Jody posait sa voix sur des albums de
Tank ou de
Samson.
«Les femmes sont plus chastes des oreilles que de tout le reste du corps» écrivait Molière. Dieu merci, cette règle ne s’applique pas toujours, et on a parfois la chance de tomber sur une jolie fille qui n’a froid ni aux yeux, ni aux oreilles. Cette chronique est dédiée à ma
Rock Goddess, et plus généralement à toutes les filles capables d’encaisser un riff de
Testament en gardant le sourire, ces filles sans qui nous serions parfois un peu seuls, même avec nos monstrueuses collections de Cds. Merci à elles, et tant pis pour les crises d’angoisse de John Turner.
Gros kiff de relire ta chro en faisant tourner le lp que j'ai enfin acheté.
Dis donc, rapport à l'intro de ton texte, fais gaffe, time is coming....
Les girls band savent aussi faire du hard rock. C'est rassurant. 15/20
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