Pendant trente secondes, j'ai cru avoir un problème avec mes fichiers audio. La raison en est simple : l'album s'ouvre sur un passage en son mono ce qui, pour l'auditeur non-averti, peut donner l'impression que l'album a été enregistré dans des conditions plutôt désargentées. Mais ces quelques secondes passées, "
Reign of Ungodly
Creation" vous explose en stéréo dans les tympans et fait monter la pression à une vitesse de croisière équivalente à celle à laquelle le guitariste Emre Üren vous chie ses notes.
Decimation est donc un groupe turc de
Death Metal, présenté à la fois comme brutal et technique.
Pas forcément pour me déplaire, pour peu que la condition de base nécessaire à l'appréciation de ce genre de disques soit présente : en clair, qu'il y ait de vraies chansons. J'avoue, ce qui m'a attiré en premier lieu est la magnifique peinture de Dan Seagrave : voilà le genre d'artwork qui évoque de suite des images de cités antédiluviennes en ruines, de créatures trop inhumaines pour que l'esprit humain puisse les concevoir, d'antiques civilisations pré-humaines aux rites morbides... Forcément, on est du coup en droit de s'attendre à musique inspirée par
Morbid Angel et autres groupes du genre, ou même
Insidious Decrepancy (il y a dans les deux groupes la même tendance à abuser des titres de chansons verbeux et longs comme un jour sans bière, même si
Decimation semble préférer l'Occulte à l'anti-christianisme). Ce n'est pas le cas : qu'il s'agisse de la structure générale des chansons comme de leur interprétation,
Decimation lorgne clairement plus du côté du style tech/brutal californien développés par des groupes comme ceux de l'écurie Unique Leader.
Les neuf chansons s'enchainent en se basant quasiment sur le même motif : une ouverture plutôt atmosphérique et dissonante, qui curieusement semble refuser tout envie de mélodie, puis une accélération finissant en explosion de brutalité technique. On se surprend , par ricochet, à en avoir mal soi-même pour les poignets des guitaristes, ainsi que pour les genoux du batteur, qui semblent clairement être mis à très rude épreuve tellement chacun des musiciens s'activent jusqu'à la douleur pour nous infliger une déluge punitif de notes à une vitesse proprement inhumaine. Par moments, on se rapproche même des moments les plus hallucinants d'
Origin. Seulement voilà : un bon album de
Death Metal ne se juge pas simplement à l'aune de la brutalité qu'il est capable d'infliger à son auditeur. Si celle-ci est inhérente au genre, il en est de même pour l'atmosphère sulfureuse, morbide et horrifique qui fait la marque des grands disques du style. Et cette atmosphère n'est jamais présente sur "
Reign of Ungodly
Creation".
Le type de brutalité que l'on trouve ici est une brutalité plastique, une brutalité qui se suffit à elle-même en tant que motif de base. C'est brutal parce qu'il faut être brutal, pas parce que cela sert les morceaux. Il ne se dégage jamais une once de personnalité ni même d'imagerie propre. De fait, aurait-on entendu parler de
Decimation s'ils avaient été américains, ou même européens? C'est le paradoxe profond de "
Reign of Ungodly
Creation", un paradoxe que l'on retrouve aussi chez des groupes comme
Abysmal Dawn. Il est impossible de dire que l'album est mauvais, parce qu'objectivement ce n'est pas le cas. C'est un album parfait pour ceux qui vénèrent la brutalité et la technicité. C'est aussi un album stérile, qui ne fait que rajouter un nom de plus à la longue liste des groupes techniquement performants mais creux.
Decimation est un groupe avec un fort potentiel, mais qui n'est clairement pas exploité. Ce potentiel apparait notamment dans les ouvertures de morceaux évoquées plus haut, et le groupe gagnerait beaucoup à essayer de développer ces parties. En attendant, "
Reign of Ungodly
Creation" est simplement un album de
Brutal Death technique de plus qui ne donnera satisfaction qu'aux fans les plus acharnés (ou les plus obtus, c'est selon) du genre.
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