Lorsque l’on parle de black metal brésilien, on pense automatiquement à cette scène de la deuxième moitié des années 80 emmenée par les Sarcofago,
Vulcano,
Holocausto et autres Sexthrash et qui a eu une réelle influence sur la scène extrême des années 90. Néanmoins, lorsqu’il s’agit de citer des groupes plus actuels, les grosses références nous manquent et l’on se tourne plus vers les formations de death dont le pays regorge. L’exception qui confirme la règle est peut-être
Mystifier, trio de Salvador formé en 1989 qui fait un peu la jonction entre les deux scènes, son premier album,
Wicca, sorti en 1992 chez
Osmose Productions, possédant à la fois ces ambiances épaisses et occultes propres à la deuxième vague et cette bestialité toute brésilienne qui rappelle les précurseurs de la première vague.
Aujourd’hui pourtant, on ne parle plus beaucoup de
Mystifier, la faute à un silence discographique prolongé. En effet, Beelzeebubth et ses deux acolytes Do’ Urden et
Warmonger opèrent avec ce cinquième album intitulé
Protogoni Mavri Magiki Dynasteia leur grand retour après 18 ans d’absence, autant dire une éternité à l’aire d’internet où l’on découvre dix groupes en un clic. Il va de soi qu’après une telle parenthèse, les attentes des amateurs du combo risquent d’être élevées, et il semblerait que les Brésiliens en soient conscients : tout indique en effet qu’ils ont mis les petits plats dans les grands pour ce comeback inattendu, affichant une signature avec Season of
Mist, une superbe pochette signée Paolo Girardi ainsi que de prestigieux invités en les personnes de Prurient et
Jim Mutilator (ex
Varathron et
Rotting Christ) ainsi que
Proscriptor d’
Absu qui signe l’intro de Witching Licanthropic
Moon. A priori, les choses s’annoncent donc bien.
Et pourtant,
Protogoni Mavri Magiki Dynasteia est une grosse déception et sonne comme un coup d’épée dans l’eau, un album de 50 minutes somme toutes assez gentillet et quelconque qui manque d’épaisseur et d’intensité et dont la musique trop lissée contraste cruellement avec les velléités blasphématoires de la pochette et les gimmicks satanistes du groupe. La galette s’ouvre sur le titre éponyme, sombre et mystique, avec ce chant rauque et incantatoire, ces guitares tantôt lourdes et cleans aux mélodies orientales et cette rythmique lourde et tribale qui rappellent immédiatement
Rotting Christ. Cela aurait fait une très bonne introduction pour nous plonger dans l’ambiance, mais sur un titre complet de 4,34 minutes, c’est un peu lourd : quasiment aucun changement de rythme ni de riff, le morceau, bien que correctement ambiancé, ne décolle jamais vraiment, et on attend avec impatience le prochain titre en espérant se prendre la déflagration qu’on est en droit d’attendre sur tout bon album de black metal… C’est une intro de basse mélodique qui nous accueille sur Weighing
Heart Ceremony (
Necromantia, sort de ce corps !), avant que le premier riff, lent et solennel ne vienne nous bourdonner aux oreilles, avec ce chant de mantra lugubre qui manque de profondeur. Puis enfin, on a une explosion de violence qui fait du bien, avec un bref déferlement de blasts et une alternance bestiale entre chant black criard et grognements plus typés death. Ceci dit, très rapidement, le rythme se calme et les guitares mélodiques reprennent le dessus, et, bizarrement, on se retrouve dans un black très typé de la scène grecque du début des 90’s, la magie et l’aura hypnotique en moins. On sent bien que
Mystifier veut donner dans un dark black old school très mélodique et lancinant porté sur les ambiances, parfois à la limite du gothique, mais le problème, c’est que dans le genre, on fait bien mieux, et on sent qu’après leur hibernation de près de vingt ans, les Brésiliens ont du mal à se mettre à la page. A l’écoute de ce début d’album, on pense trop souvent à des combos comme
Rotting Christ,
Varathron ou
Necromantia et, malheureusement pour le trio, on préfère se repasser les originaux.
Reste que quelques morceaux ressortent du lot, comme le bon Weighing
Heart Ceremony, un Thanatopraxy surprenant et décalé avec ce riff stoner bluesy que l'on coirait droit sorti d'un album de
Glorior Belli et quelques bons passages heavy et épiques sympathiques en fin de morceau, ou Demoler las Torres del Cielo (en nombre del
Diablo), avec une vitesse d’exécution et un débit de paroles satanistes plus qu’honnête ainsi qu’une mélodie centrale et des parties groovy old school assez bien branlées. D’ailleurs, au fur et à mesure que l’album avance, la musique se fait plus lourde, death et agressive (Soultrap
Sorcery of
Vengeance, qui tape stérilement dans le vide) , et on aurait parfois presque l’impression que
Mystifier essaye de marcher sur les platebandes de
Profanatica, en bien plus gentil, propre et lissé: Al Nakba (
666 days of war) ou certains passages de Chiesa dei Bambini Molestati, avec cette batterie marteau pilon, ces riffs bourdonnants, ce chant gras d’outre tombe et ces ralentissements glauques et occultes peuvent faire penser de loin au groupe de Paul Ledney, mais avec une bestialité trop contrôlée pour être réellement jouissive et un son aseptisé qui fait sonner le tout trop artificiel, surtout après les douceurs sucrées du début.
Voilà donc un album pour le moins atypique et qui risque d’avoir du mal à trouver son public, avec un début très mélodique et porté sur les ambiances mais qui n’arrive pas totalement à nous emporter faute à un manque de variété et de profondeur, et une deuxième partie plus rentre-dedans mais manquant encore d’agression, de crasse et d’authenticité pour emporter l’adhésion des blackeux les plus extrêmes.
Reste un album très professionnel et bien exécuté, qui satisfera probablement les auditeurs les moins exigeants et pourra éventuellement constituer une bonne porte d’entrée pour un metalleux débutant qui voudrait s’initier à l’aura ésotérique et sulfureuse du black metal sans prendre directement ses jambes à son cou… ce qui d’après moi, est bien peu quand on est l’un des groupes de black brésiliens les plus reconnus et que l’on existe depuis trente ans. Pour le coup, je peux dire que
Mystifier m’a bien mystifié… Allez, sans rancune les gars, j’espère que la prochaine sera la bonne, en attendant je retourne m’écouter
Goetia.
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