Vous connaissez immanquablement ce populaire adage disant que c'est dans les vieux pots qu'on fait les meilleures soupes. Resservi à l'envie, usé jusqu'à l'armature et souvent indigeste de caricature, il n'en contient pas moins sa part de justesse à cette heure précise où je décide de vous parler du black metal cuisiné à la sauce
Mgla.
Pas besoin d'un monstre de technologie au plastoc clinquant pour concocter de l'exquis.
Pas besoin de faire mariner sa tambouille dans le surfait jus numérique pour obtenir du fameux. Une bonne vieille gamelle en froide ferraille et à la texture rêche peut tout à fait faire l'affaire.
Le style minimaliste, dans les riffs lâchés sans fioriture comme dans la production raw, le recours à un grain âpre et une texture glaciale, … tout chez
Mgla respire les ingrédients de provenance norvégienne : les linéaires aiguisés à la
Darkthrone, l'approche harmonique à la
Burzum (en ayant bien pris soin au passage de mettre à la benne les synthés mielleux et périmés de ce dernier) … Tous ces éléments ressortis de la grande époque du début des années 90' et décongelés tels quels une décennie plus tard. Authenticité garantie. Mais tout chez
Mgla respire aussi et surtout le savoir-faire, par son usage personnel de la matière brute, son inspiration dans la composition et sa maîtrise dans l'exécution de morceaux de caractère. Tout chez
Mgla est criant d'une ingéniosité rare, de celle qu'on ne rencontre pas tous les jours, de celle dont on peut crier au prodige.
Oui, c'est dans les vieux pots qu'on fait les meilleures soupes, pourvu que l'on soit doté de talent … Voilà pour la Maïté Ravendarkerie du jour … à un détail près, mais qui a son importance : c'est que l'art produit par le duo polonais n'a absolument rien d'une soupe.
Mgla, c'est pas le potage sitôt consommé sitôt oublié et direct à la fosse sceptique sans laisser aucune trace dans le conduit digestif. Non,
Mgla c'est que de l'alibile.
Mgla, c'est la bonne vieille rata que tu vas absorber et qui va te bouffer de l'intérieur, sans pitié, comme une armada de vers avide de barbaque, jusqu'à ce que ton esprit ne pense plus qu'à ça, jusqu'à ce qu'il soit obnubilé par le Mal qui ronge tout ton être, qui s'immisce en toi, jusqu'à ce que tu le supplies de continuer son œuvre de becquetage de ton sang, ta chair, jusqu'à ce que tu te mettes à hurler d'un irrépressible plaisir masochiste … Le Mal, passage évolutif pour accéder au Meilleur … L'automutilation non pas en tant qu'échappatoire pour lâchement fuir les affres de l'existence, mais comme porte d'entrée à une entité … la Présence … impalpable autant qu'invincible … S'en laisser pénétrer pour atteindre un plus haut niveau d'existence, s'en laisser posséder pour parvenir à l'état Supérieur : tel est le postulat développé au cours des trois chapitres du concept "
Presence", alimentant de sa flamme noire et haineuse chacune des trois compositions desquelles toute sensation d'abattement a été impitoyablement réduite en cendres pour ne laisser qu'un condensé de hargne fulminante, y compris, et c'est là tout le démoniaque génie de
Mgla, jusque dans les patterns les plus mélodiques.
Consumant toute notion de lâcheté,
Mgla fait face et s'abreuve de la redoutable Présence, de sa science du minimalisme qui ensorcèle, de ses raptus qui prennent brutalement à la gorge, s'animant via le spectre d'un songwriting où chaque plan, chaque manifestation vocale, chaque break a été travaillé au maximum pour en retirer la plus pure quintessence maléfique.
Le Premier Acte signe le pacte et dispense une tension allant crescendo, évoluant progressivement d'un mid-tempo rampant à des blasts fulgurants. La Présence approche tandis que s'accroit la frénésie des tremoli et apparaît la double accrocheuse.
Le Second Acte secoue par ses fréquents changements de rythme. La phase de possession fait rage, la Présence concentrant son énergie malfaisante, sa cruauté en des breaks martiaux, la libérant en des blasts imparables.
Le Troisième Acte, l'ultime, revient à un mid-tempo fataliste. Le rituel s'achève sur des râles toujours plus écorchés, toujours plus chargés d'un venin mortel, manifeste de l'éveil d'une nouvelle entité dotée d'une puissance incommensurablement malfaisante.
Ce formidable rituel qu'est "
Presence" ne dure qu'une petite vingtaine de minutes mais ne souffre d'aucune faiblesse, d'aucune longueur. Rien à jeter, que de l'alibile, comme je vous disais.
Habité d'une âme délétère,
Mgla parvient à créer, avec une étonnante économie de moyens, un climat hautement pernicieux, déployant l'aura néfaste d'une Présence qui me hante longtemps encore après qu'aient retenti les dernières incantations.
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