Enregistré entre juin et juillet
2012 à Karlsdorf, en Allemagne, le dernier né de la collection de l’Ensemble des Ombres,
Poetica, m’est livré sous la forme d’un épais livre carré bourré de photographies sans légende. On suit, sur plusieurs dizaines de pages la créature AVC telle qu’on l’avait connue dans les albums précédents (à l’exception de SANATORIUM ALTROSA, où le look faisait plus penser à celui d’une vieille princesse qu’à celui d’une âme en peine) : crâne rasé, à part le fameux chignon de cheveux (parmi lesquels quelques gris – notre homme vieillit, comme tout un chacun), épais maquillage blanc, pas trop craquelé, sur la peau (bras et jambes – dodues ! – inclus), noir autour des yeux et sur les dents pour le côté désespéré, piercings en série sur chaque lobe d’oreille et dans chaque aile du nez ; une grimace de douleur déformant la bouche achèvera le portrait de l’artiste. Elle se promène, torturée de l’intérieur par un spleen à la Baudelaire (faudrait mettre en musique certains de ces poèmes, tiens !), dans un jardin en friche, puis dans les soubassements d’une ruine médiévale non identifiée. Les photos sont sombres et le noir y est très présent, essentiellement sous forme de larges aplats d’ombres dévorant, tel Saturne ses fils, parfois les trois quarts de l’image.
A la fin de l’ouvrage, quelques brèves notes laconiques expliquent que la musique est signée Cantodea sur des textes d’
Edgar Allan Poe. Certains titres ont déjà été vus sur d’autres disques, comme ‘Songs of the
Inverted Womb’, ‘
Dead Lovers Sarabande I’, ‘Voyagers – the Jugglers of Jusa’ ou encore le plus récent ‘
Flowers in Formaldehyde’. Une poignée de musiciens et quelques noms de bidouilleurs de sons plus tard et le livre se referme.
Pas de CD ? Ha ! Si, il est dans l’épaisseur de la couverture ! Glissons-le dans le lecteur et baissons les lumières…
Première bonne surprise : la rondelle de plastique est pleine : les 80 minutes sont pratiquement atteintes ! Les textes sombres de l’Américain vont servir de supports pour la musique de l’Allemand(e), comme dans d’autres albums, mais ici, pour chaque titre.
Une heure 10 après avoir appuyé sur la touche play, on voudrait prolonger le moment…
Baroque et infernal mais relativement monochrome quand même,
Poetica n’a pas la fougue d’un ‘
Vampyr sucking his own Vein’ ou d’un ‘
Sanatorium Altrosa’, mais reste un bel ensemble de pièces musicales complexes. On a aimé les voix plus masculines et des arrangements comme ceux de ALONE 2. Ce morceau, instrumental sur plus de sept minutes, commence par une intro complexe et pleine, c’est-à-dire dans le ton général de l’album. Après 90 secondes, des esprits arrivent tels des vents rugueux.
Six notes de clochettes ponctuent régulièrement un air basé sur l’union des percussions et des violons. Et les fantômes reviennent. La seconde partie du meilleur titre de
Poetica est très calme, très mélancolique, et montre une solitude muette et les états d’âme du poète isolé : il y a de la joie, une certaine tristesse et une compagnie de fantômes qui revient nous faire danser.
Et le pire me direz-vous ? En ce qui me concerne, ce sera le trop long DREAMLAND, une véritable entrée monumentale qui suit l’étroit THE OBLONG BOX. Le voyage à travers l’album commence véritablement ici et, en tout cas pour moi, commence mal. Le morceau, dont certaines strophes avaient été entendues dans la chanson ‘
Die Bruderschaft des Schmerzens’ sur l’album ‘Sous le Soleil de Saturne’, est une suite de répétitions de grincements, de voix trainantes et gémissantes. On se croirait sur une nef fantomatique dans un vieux film d’horreur des années '30. La croisière est longue (presque un quart d’heure) et monotone. Le pays des rêves n’est pas d’un accès simple, vraiment, et ce titre ne me laisse rien présager de bon pour la suite…
Entre ces deux extrêmes, livrés pêle-mêle, on aura droit à des clochettes tristes, quelques mesures de musique orientale, la belle voix masculine d’AVC pour une berceuse, un pas de danse du couple clavecin-contrebasse, des jeux de métallophone, un solo de trompette, un ra de tambour militaire, une partition de cordes de violons simplement pincées ou encore les pulsations cardiaques d’un beffroi sous la pluie. On y découvre aussi des oxymores sonores, ainsi ce qui me parait être un hymne guerrier lent sur ELDORADO.
Avoir entre les mains un bel ouvrage photographique (2000 exemplaires au monde), et la noirceur des textes de Poe entre les oreilles en même temps ! Il n’y a pas tromperie du consommateur : le magicien AVC, qui tient parfaitement son rôle, a su composer des mélodies qui, si elles ne seront sans doute jamais chantées sous la douche (j’en chante parfois, mais plutôt des joyeuses à la ‘Feralia Genitalia’ par exemple) n’en reste pas moins des œuvres majestueuses et fortes. Avec quatre titres de plus de dix minutes et une parfaite maitrise des effets sonores, la plupart du temps générés par des instruments oubliés, la galette marque d’un certain poids la discographie du gothique symphonique.
Trouvez-vous un recueil de poèmes de Poe, un coin tranquille et en route !
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