Une pochette qui fascine, un titre qui détourne en un clin d’œil une des institutions du rock américain, il n’y a pas à dire Casey sait accrocher son auditoire. Cette somme composée de 4 cds, éditée sur son propre label, Refuse Music, strictement limitée et numérotée à 2500ex, sortie en 2005, et depuis longtemps sold out, rassemble et honore une carrière riche en rebondissements, qui pourrait se résumer à peu de chose près au titre d’un célèbre album, «All By Myself». Que l’on s’en serve d’introduction, ou qu’il fasse office de test
Ament, ce coffret met en lumière une comète du hardcore américain qui sur une vingtaine d’années d’activité, une poignée d’albums et autant de démos au compteur, a su créer une œuvre aussi spectaculaire qu’intense, autour d’un noyau central,
Amen. Entitée contrariée aux mille et un déboires, virée de chez Roadrunner pour ne pas avoir honoré une tournée européenne, virée de chez
Virgin pour des ventes d’albums calamiteuses, tout en se faisant confisquer un album au passage, qui aujourd’hui encore reste bien au chaud dans un coffre ; sans compter la valse du personnel, jamais ou très mal payé, comme chez
Tracii Guns, et bien d’autres,
Amen bénéficie d’un statut culte dans l’underground avec une fanbase loyale et fidèle comme il en existe pas deux. Casey Chaos est un personnage sombre, solitaire, volontiers hâbleur, sûrement menteur et voleur, à n’en pas douter tyrannique et paranoïaque, mais au talent nullement démenti. Seulement voilà, les cascades en concerts, s’ouvrir les veines en studio, être camé jusqu’à l’os, bourré du matin jusqu’au soir, et vomir cette société ne peut
Amener qu’à une saine autodestruction bien loin des projets de renversement d’une Amérique dénoncée comme élitiste, raciste, hypocrite, mangeur d’hommes et violeur de mômes. Avant de partir à la castagne, un mot pour dire que l’ensemble des pistes réunies ici, qu’ils s’agissent d’enregistrements studio ou de démos primitives, bénéficient toutes d’un son excellent, variant selon l’époque et les moyens utilisés. Enfin avec cette box, Chaos poursuit la sortie des œuvres rares voire inédites d’
Amen, après la compilation Join Or
Die (2003), vendue à prix d’or sur ebay.
Cette rétrospective va nous permettre de remonter le temps et d’apprécier la construction d’un monstre, spécialiste des conduites à risque, des performances spectaculaires et à la réputation sulfureuse jamais usurpée. En repartant à la genèse de l’artiste qui nous concerne, nous allons rencontrer de grandes figures tutélaires révérées et assumées jusqu’à la dernière goutte du sang du proscrit qui nous occupe. Car bien avant de faire sa mue, et donner naissance à Casey Chaos, il y a un gamin, casse-cou, acnéique, mal dans sa peau et qui pue quand il se lève le matin. Terriblement banal en somme me direz-vous, à ceci près qu’il est dévoré par une passion brûlante pour le skateboard, pratique alors en pleine éclosion auprès d’une jeunesse désabusée qui voit en lui un futur prodige. Jusqu’à ce jour où le jeune Karim Chmielinski, new-yorkais de naissance, mais floridien d’adoption, arborant fièrement t-shirt de
TSOL et boucles d’oreille de rebelle, se retrouve à un concert, face à face avec la tornade Henry Rollins, et la machine à broyer,
Black Flag. Nous sommes alors en 1981, et Karim vient de connaître sa seconde naissance, artistique cette fois. En même temps lorsqu’un mastar taillé comme un golgoth, trempé de sueur, au regard de fauve, te braque un micro en pleine gueule pour vider tes tripes en live, c’est un peu comme prendre un calice de sang dans la poire, l’alternative est simple, ou tu embrasses la vocation, ou tu te retires du jeu, à tout jamais. Appeler ça comme vous voudrez, de la transmission, une contamination, une putain de révélation, ou je ne sais quoi, mais Icare venait bel et bien de toucher son soleil. Il en sera de sa poche pour le restant de ses jours. Marqué aux fers rouges, sans en avoir conscience, Karim continue d’hanter les skate-parks et autres rampes, le temps de se trouver des sponsors, et de se fracasser en mille morceaux ; l’obligeant de fait à réviser ses plans, abandonnant son projet initial de carrière professionnelle. Le morceau est dur à avaler, mais la situation va nourrir une frustration latente, et une violence profonde, le défi maintenant, trouver un nouveau terrain de jeu. Il jette son dévolu sur la scène, entourée d’une bande de frappadingues pour organiser un bordel sonore prêt à déchaîner les masses. Passer des posters de Steve Caballero et Tony Alva, aux performances enragées de Henry Rollins, mélangées aux délires macabres et démons intérieurs de
Rozz Williams, sans compter les saillies de Rikk Agnew, tous héritiers du
MC5 et des Stooges, il n’y a qu’un pas que la multitude ne saurait franchir. Karim, lui, fonce tête baissée dans un traquenard dont il ne pourra plus jamais s’extraire. Injectées directement par intraveineuses, ses influences, ou plutôt ces pionniers devenus mentors, ne cesseront de sculpter l’art, l’artiste et sa mise en forme. Seule ombre à ce tableau de chasse aux allures de salle des trophées, l’implication d’un certain Ross Robinson à la production des deux et troisième albums d’
Amen, le chantre du Neo ou Nu
Metal. Bien sûr cela a permis au groupe de bénéficier d’un certain éclairage, sans compter les contrats avec Roadrunner et
Virgin, mais le revers de la médaille c’est d’avoir été associé à une mode qui ne les concernait pas du tout. Parmi les conséquences positives de l’expérience, cela finira de convaincre Casey que dans ce milieu il vaut mieux savoir tout faire par soi-même : composer, jouer, produire et sortir ses œuvres sur son label, comme un certain Henry Rollins avant lui.
L’organisation chronologique choisie par Casey pour présenter l’ensemble de ces titres nous permet d’abord de percevoir l’évolution technique et stylistique au sein de son œuvre, et ensuite de découvrir qu’il y a une vie avant
Amen. Ce qu’il se passe entre 1981 et
1994, sur les cds 1 et 2, ce sont treize années de maturation, d’expérimentations, de recherches, et d’opportunités, beaucoup d’accidents et quelques rencontres déterminantes. Dès le départ, il enregistre ses propres morceaux, son premier groupe s’appelle alors Casey and the Skate Punx. Une bande de paumés, des instruments d’occaz’, une scène, et voilà comment un groupe local se forge une sérieuse réputation. En transférant habilement ses qualités physiques et techniques de skateboarder sur scène pendant des concerts, où il n’hésite pas à sauter de plusieurs mètres pour se crasher devant des foules qui en redemandent. Après avoir écumé les bars de Floride, et participer à quelques compilations, les choses sérieuses commencent en 1986. C’est à cette époque que le premier véritable méfait, un album, sorti de manière indépendante sous le patronyme de Disorderly Conduct (ex-Casey and the Skate Punx) voit le jour. Parmi les dégénérés entourant l’animal, on retrouve déjà un certain U.S. as Ken Decter (futur
Duke Decter) guitariste connu pour sa participation au sein de F., The Ex-
Idols, et
Amen, bien sûr, le reste du groupe sans être de la petite bière restera dans l’ombre. Le titre de l’album,
Amen, deviendra quelques années plus tard le nom du groupe avec lequel Casey va exploser à la face du monde. Le style pratiqué est très raw, un mélange mal dégrossi de Hardcore à la
Black Flag, de Punk à la
Sex Pistols, et de cette mixture rock aux relents garage cher aux Stooges & au Sonic’s Rendezvous band, aux sonorités abrasives, et autres éructations malsaines. En revanche au détour de cette puissante décharge décibellique, on découvre déjà un talent de composition, avec des riffs rentre-dedans et addictifs dès la première écoute. Les fond
Amentaux sont donc bien présents, en dépit d’une urgence et d’un son parfois brouillon qui rend l’ensemble foutraque mais surtout jouissif, pour qui aime le sale. C’est un cadeau pour les fans du chanteur, puisqu’il s’agit de l’unique version cd disponible de cette œuvre, qui demeure vraisemblablement le seul support sorti par le groupe. L’esprit frondeur et contestataire cher à Rollins est bien présent sur cet opus, qui se veut aussi déterminé qu’irrévérencieux au plus haut degré. S’ensuivent les tous premiers enregistrements, bien avant 1986 et DC, en particulier les 4 derniers titres qui remontent à la toute première séance d’enregistrement avec Casey au micro, petit plaisir très personnel.
S’il y a une vie avant
Amen, il y a également des prémices au projet, qui se matérialisent par une série de démos qui méritent d’être entendues, ne serait-ce que pour saisir la force de l’identité à l’œuvre au sein de ce groupe en devenir. On commence par un morceau de choix, la démo
Atrocity, enregistrée à Tampa, en 1987, quelques temps avant le grand départ de Casey pour la Californie, qui fait le pont entre Disorderly Conduct et
Amen. On retrouve cette ossature sonore, cette simplicité punk dans le riffing, et cette même rage dans la voix. L’adrénaline et l’urgence qui se dégagent de ces quelques titres valorisent un travail pourtant amateur, mais à la sincérité outrageuse. Simple mais efficace. Une carte de visite qui permet de poursuivre le chemin. Il est intéressant de s’arrêter un instant sur un titre comme
Why is Everything Laughing, un morceau qui rend hommage, au Christian Death de
Rozz Williams, avec cette vibe goth rock, ces vocaux ténébreux et cette rythmique langoureuse. Un morceau qui contraste avec l’énergie déployée par ailleurs sur le reste de la démo, permettant de montrer une autre facette de l’artiste.
S’ensuivent les Hardcore Demos, enregistrées en Californie, qui poursuivent le travail de sape initial, tout en proposant des structures de morceaux de plus en plus solides et calibrées en matière de Hardcore/Punk garage. Enregistré avec plus de moyens, et de personnel, le tout sonne pro et le rendu est homogène.
Entre ces deux démos, un évènement va profondément marquer Casey, c’est une tournée américaine aux côtés de
Rozz et Rikk pour le compte de Christian Death en 1993, en tant que bassiste. Avoir la chance d’accompagner ses mentors en live, c’est chaque jour se shooter au talent à l’état pur, et s’imprégner d’univers aux limites insoupçonnées. Il ne s’agissait pas que de partager une scène, mais bien de rentrer de plein pied dans la confrérie des pionniers d’une époque maudite. Cette rencontre a été immortalisée sur l’album Christian Death Iconologia, avec une intro concoctée spécialement par Casey. Dans ce contexte, le suicide de
Rozz Williams, survenu le 1er avril 1998, quelques heures seulement après l’avoir eu au téléphone, sera vécu comme un véritable tremblement de terre par Casey, qui le considérait avant tout comme son ami.
Puis on fait un bon en avant, avec la pièce maîtresse de cet ensemble, « the lost album » qui arrive sur le troisième cd, après que les deux premiers ont ouvert de manière magistrale un monument dédié à la gloire du hardcore américain. Alors sans faire pschiiiit, la déception est de taille, et ce pour plusieurs raisons. D’abord on arrive lancé comme un troupeau d’éléphants en furie défoncés aux amphéts, ensuite parce que ce moment s’annonce comme le sommet de cette œuvre, et parce qu’on en veut toujours plus. Et surtout parce qu’il existe un véritable
Lost Album d’
Amen, le quatrième album du groupe, second méfait enregistré pour le compte de
Virgin après
We Have Come for Your Parents, et que
Virgin a refusé de sortir parce qu’il n’était pas assez commercial à leur goût, en réalité c’est le ton irrévérencieux et frondeur qui a fâché la direction ; et qu’ils ont refusé de rétrocéder à Casey Chaos après les avoir virés, ou plutôt que
Virgin était prêt à vendre pour 200 000 $. Or à cette époque-là le groupe est dans le rouge financièrement et ne peut se permettre un tel investissement. Bref, on se retrouve avec un ensemble de morceaux que l’on connaît en majorité, puisque pas moins de 7 titres sont présents sur l’éponyme. Alors les versions ne sont certes pas exactement les mêmes d’accord mais quand même, ça sent un petit peu l’enculerie pour être poli. En réalité, cela ressemble plus à une demo tape de l’album éponyme avant que Ross Robinson vienne y apposer sa marque. Mais ce 3e cd est sauvé par les outtakes de ce « lost album » qui pour le coup ouvrent des portes inattendues et ont tendance à arpenter les sentiers de la démo
Atrocity, avec une vibe goth rock sombre et plus malsaine encore, tout en ralentissant le tempo, comme sur Come as a
War. Franchement une réédition de
Slave, le premier album d’
Amen aurait été sans doute plus judicieuse que cet assemblage de titres plus ou moins connus annoncés comme The
Lost Album.
Le 4e cd est une compilation fourre-tout de démos qui devaient traîner dans les cartons, et qui ne méritaient sans doute pas une sortie à elles-seules. Cela ne rajoute rien de plus aux trois premiers cds mais cela n’enlève rien. Ces démos s’écoutent sans difficulté, Casey faisant le show. On reconnaît au riffing, qui a composé, et pour qui, un produit 100% Casey Chaos. Cela termine en douceur un coffret qui vaut son pesant d’or, mais qui est passé à un cheveu de devenir éternel.
En conclusion, ce coffret peut autant s’adresser aux fans de la première heure qu’aux curieux prêts à prendre une branlée, parce qu’il y a, quelque soit le niveau de connaissance de l’artiste, à découvrir ou redécouvrir et surtout prendre le temps d’apprécier. Il permet d’envisager l’artiste sous ses multiples facettes, mais toujours hardcore, dans le fond ou dans la forme. Il permet aussi de replacer Casey dans une lignée de personnages bien ancrés dans la culture américaine, d’Henry Rollins à
Rozz Williams, en passant par Iggy. Les regrets portent en définitive sur deux points, la sélection des titres qui, pour éviter les doublons entre les Hardcore Demos et the
Lost Album, auraient pu privilégier une réédition du premier album d’
Amen à ce
Lost Album ; et le fait de circonscrire cette anthologie à
Amen, passé et présent, sans avoir permis sur un cd de proposer des démos ou raretés des projets secondaires de Casey (
Scum, Amicuss, Scars on
Broadway…)
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