Un seul morceau, 59 minutes...
Pas de quoi effrayer Luthor, l'homme qui s'enfilait les démos de mauvais
Drone par paquet de quinze il y a à peine dix ans (un jour, je vous parlerai d'un groupe nommé This
Graveyard Earth... Et vous me craindrez, et vous désespèrerez. Mais plusieurs trucs ont fait tilter quelques neurones dans le cerveau de votre serviteur.
En premier lieu, l'origine de la chose : c'est suédois, et quand on additionne "Suède" et "Un disque d'un seul morceau de
Metal", on obtient en général comme connexion "Crimson" d'
Edge Of Sanity. Et il y a une (très) très légère filiation musicale entre les deux albums, dans le sens où autant Aeonsgate qu'
Edge Of Sanity ont un talent certain pour installer des ambiances qui happent l'auditeur.
Seulement, il ne faut pas croire tout ce qu'on lit car, en se penchant un peu sur les noms des participants à ce projet, on découvre un musicien pas du tout suédois et dont le moins que l'on puisse dire est que ça fait plaisir de le voir revenir aux affaires : Jondix, ci-devant espagnol et ex-gratteux chez les cultissimes Great Coven (groupe ayant sorti ce qui n'est pas loin d'être le meilleur album de
Doom espagnol de l'Histoire du genre) et
Eight Hands For Kali (d'autres bons spécialistes du '1 morceau par album, c'est largement suffisant'). Jondix n'était pas resté inactif depuis la fin de ces deux précédents groupes, puisqu'on le trouve aussi en douce aux commandes de Ätman-Acron, groupe de
Doom totalement barré alignant Gong et Magma dans la liste des influences, avec son vieux pote bassiste Karyen (aussi un ex-Great Coven/
Eight Hands For Kali). Autant dire que le voir venir balancer du riff chez Aeonsgate est autant un plaisir qu'un gage de qualité. Et, quelque part, une certaine évidence.
Avec un gars comme Jondix dans le lot, nul doute que le reste du groupe est un Who's Who du doom swedish ? Bernique, ou presque. Si le chant est assuré par l'omniprésent Mats Levén (qui semble essayer de ravir à Rogga
Johansson le titre de 'suédois actif dans le plus de groupes à la fois'), pour la section rythmique on lorgne plus chez des musiciens expérimentés aussi bien qu'expérimentaux : Marco Minneman a notamment fait ses classes chez
Ephel Duath,
Kreator,
Necrophagist ou encore comme batteur live de
Joe Satriani, Joseph Diaz est plus connu pour son implication dans
Jon Oliva's Pain,
Graham Bonnet Band et
Disaster Peace.
Alors, comment prend la sauce quand les ingrédients viennent d'horizons si disparates ? Ma foi, plutôt bien car le groupe arrive à maintenir le cap tout au long du trajet. La base musicale est un Heavy
Doom de tradition, aux influences évidentes qui font comprendre le choix de Levén pour tenir le micro. Car c'est l'ombre de
Candlemass et de
Abstrakt Algebra qui planent le plus sur Aeonsgate : le premier pour l'aspect lyrique, le second pour l'aspect expérimental. Le chant de Levén se révèle parfait pour mettre la dose de sentiments nécessaires afin de rendre vivante la thématique abordée par les textes, à savoir les premières minutes de la mort du personnage principal.
Le morceau démarre lentement, d'abord par des nappes de claviers auxquelles s'ajoutent rapidement un violon, puis petit à petit les autres instruments. Et il faut attendre approximativement huit minutes pour que le morceau décolle réellement dans une ambiance très influencée par le proto-Heavy de la fin des années 70. car s'il y a une influence indéniable qui se détache de "Pentalpha", c'est celle des premiers
Rainbow et
Dio en solo. C'est évident dans la manière dont sont utilisés les claviers, dont Jondix alterne des solos mélodiques puis plus atmosphérique, dans la façon don Levén pose son chant et n'hésite pas à monter dans les octaves.
Cette référence aux années 70 se retrouve aussi dans la manière dont le morceau est structuré, avec de nombreuses mélodies ou parties musicales qui reviennent de temps à autre, et un final qui revient clore la boucle en utilisant des samples et la même mélodie que celle ouvrant l'album. On se rapproche de certaines expérimentations comme pouvait en faire Mike Oldfield dans ses périodes "Ommadawn" ou "
Amarok", mais en version
Doom.
Car oui, on est toujours tout au long de l'album en pur territoire
Doom, et le groupe s'arrange pour qu'on ne l'oublie pas.
Plus d'une fois le tempo ralentit et se fait écrasant, les guitares pleurent et quelques rares passages plus lumineux permettent d'aérer l'ensemble en le faisant basculer sur des terres plus classiquement
Gothic Metal très mélodiques (un peu dans l'esprit de ce que faisait
Theatre Of Tragedy dans la période Aegis), voire purement progressives.
C'est donc un album qui demande un investissement certain de la part de l'auditeur, et un temps d'adaptation clairement très élevé. C'est aussi l'un des albums les plus innovants sorti en
Doom depuis... au moins le premier
Zatokrev, ou le premier P.H.O.B.O.S. dans des genres très différents. Il s'en faut réellement de peu que l'album n'écope d'une note bien plus haute, la faute notamment à certains passages moins intéressants en milieu de morceau (un défaut récurrent chez les groupes fonctionnant sur la base '1 album = 1 morceau', voir
Monolithe notamment). Mais le potentiel, monstrueux, est là. Et si ceci doit être juste l'apéritif, alors j'ai hâte qu'Aeonsgate me serve ensuite l'entrée et le plat principal.
Vous devez être membre pour pouvoir ajouter un commentaire