Prudence est mère de sûreté, dit-on ! Un adage suivi à la lettre par ce quintet allemand né en 2022 à Reutlingen, dans le
Land de Bade-Wurtemberg. En effet, aux fins d'un travail en studio des plus exigeants, le combo nous fera patienter quelque trois années préalablement à la finalisation de son introductif et présent opus «
Pay for Impressions ». Une galette généreuse de ses 62 minutes sur lesquelles onze pistes s'égrainent, témoignant d'une production d'ensemble de bonne facture dispensée par le guitariste/vocaliste
Ian Roth (feu-
Loss Of Charity) ; des enregistrements difficiles à prendre en défaut, un mix bien ajusté entre lignes de chant et instrumentation, et des finitions passées au crible autorisent une traversée sans escale de la pléthorique offrande. Indice révélateur d'une sérieuse envie d'en découdre de la part de nos cinq belligérants, et ce, dans la si concurrentielle arène metal symphonique à chant féminin lyrique...
Mais avant de poursuivre, faisons connaissance avec nos hôtes. A bord du navire, nous accueillent : la mezzo-soprano Lilli Janz, dont les médiums s'apparenteraient à ceux d'une certaine
Tarja à ses débuts, suivie de Joseph Reck aux guitares, Markus Baur (ex-Confined By Yesterday, feu-
Loss Of Charity) à la basse, Alexander Thiel aux claviers et aux choeurs, sans oublier Simon Breier derrière les fûts. De cette étroite collaboration émane un propos metal mélodico-symphonique progressif à la colorature dark/death gothique, dont les sources d'inspiration s'étendent de
Nightwish (première période) à
Tristania, en passant par
Xandria,
Sirenia,
Visions Of Atlantis,
Temperance,
Amberian Dawn et
Dark Sarah. Un élan à la fois pulsionnel, épique, romanesque et un brin tourmenté se dessine, auquel les vocalistes Thomas Melchert (feu-Helangår, ex-Soulsick), au chant clair, et Alexander Lang, aux growls et aux screams, ont apporté leur contribution. Mais embarquons sans plus attendre pour une croisière que l'on espère parsemée d'îlots d'enchantement...
Quand le rythme de leurs frappes se fait véloce, c'est sans ambages que nos compères parviennent à aspirer le tympan. Ce qu'atteste, en première intention, «
Human Reign », up tempo aux riffs acérés et au léger tapping, à mi-chemin entre
Nightwish et
Tristania ; n'ayant de cesse de nous asséner de virulents coups d'olives tout en octroyant un refrain catchy mis en exergue par les célestes impulsions de la déesse, que viennent parfois rejoindre des growls ombrageux du plus bel effet, l'impulsif mouvement poussera assurément à un headbang bien senti et quasi ininterrompu. Dans une même énergie, et non sans renvoyer à
Dark Sarah, s'inscrit le frénétique « What We Have Become ». Recelant des couplets finement ciselés, que magnifient les fluides patines de la diva, et empreint d'une jovialité aisément communicative, l'épique élan trouvera à n'en pas douter un débouché favorable à son assimilation. On retiendra, enfin, le ''nightwishien'' mid/up tempo « What We Have Become », eu égard à une touche de modernité aussi inattendue qu'enivrante et à des arrangements instrumentaux aux petits oignons.
Lorsqu'il desserre un poil la bride, le collectif trouve là encore les clés pour nous assigner à résidence. Ce que révèle, d'une part, «
Fall for the Ink », invitant mid tempo au confluent de
Nightwish et d'
Amberian Dawn. Pourvu d'un refrain immersif à souhait mis en habits de lumière par les cristallines ondulations de la princesse et de growls aux abois, le ''tubesque'' élan ne se quittera qu'à regret. Dans cette énergie, l'opératique et entraînant « The Archaeologist » happera le pavillon, tant au regard de son délicat et ''nightwishien'' lyrisme que de son sidérant final en crescendo. Mais le magicien aurait encore d'autres tours dans sa manche...
Au moment où ils en viennent à tamiser leurs éclairages, nos acolytes en profitent pour nous adresser leurs mots bleus les plus sensibles, non sans générer la petite larme au coin de l'oeil. Ce qu'illustre, en premier lieu, la ''nightwishienne'' et a-rythmique ballade « Letter to the
Mist », à la lueur de sa mélodicité toute de fines nuances cousue ; mise en habits de soie par un piano/voix des plus touchants, l'élégante sérénade ne saurait être éludée par l'aficionado de moments intimistes. Dans cette mouvance, on ne saurait davantage ignorer l'infiltrant cheminement d'harmoniques que la ballade atmosphérique «
Cemetery Hills » nous invite à suivre ; ce faisant, une réelle invitation au voyage en d'oniriques contrées s'offre à nous.
Mais ce serait à l'image de ses passages symphonico-progressif que la formation teutonne serait au faîte de son art ; de solides arguments esthétiques et techniques qu'elle développe non seulement sous couvert d'opulentes plages polyrythmiques, mais aussi, et surtout, au regard d'une dantesque pièce en actes.
Dans la première catégorie se place, tout d'abord, « From the
Bottom », mid tempo progressif aux riffs crochetés, ''nightwishien'' en l'âme ; essaimant de sémillants arpèges d'accords doublés de gammes pianistiques d'une confondante délicatesse, instillé d'un break opportun conclu par un fringant solo de guitare, qu'une reprise sur la crête d'un entêtant refrain viendra balayer, l'orgiaque méfait n'aura pas tari d'armes efficaces pour asseoir sa défense. Et ce ne sont ni les saisissantes envolées lyriques de la sirène ni l'ultime montée en régime de son corps orchestral qui nous débouteront du luxuriant méfait, loin s'en faut. On ne saurait davantage esquiver « Jiyan », un truculent manifeste metal symphonique aux relents celtiques et dark gothique, à la croisée des chemins entre
Temperance,
Sirenia et
Visions Of Atlantis. Disséminant d'insoupçonnées et grisantes accélérations tout en nous gratifiant d'un bel effet de contraste atmosphérique et oratoire – les claires oscillations de la belle faisant front à la gutturale empreinte de son acolyte de growler – les 6:15 minutes de la fresque inciteront à y revenir sitôt l'ultime mesure envolée.
Mais ce serait l'outro, « Death of the
Fox », une pièce en six actes, qui détiendrait la palme. Au fil des 14 minutes d'un parcours épique et romanesque, l'opératique mouvement abonde en coups de théâtre tout en sauvegardant une sente mélodique des plus agréables. Après le premier acte, le bien-nommé ''Prologue'' – une brève entame semi-instrumentale instillée d'un prégnant récitatif en voix masculine livré dans la langue de Goethe – le mid tempo et titre éponyme de l'opus, ''
Pay for Impressions'', séduira tant par son fondant refrain encensé par les limpides modulations d'une interprète bien habitée que par ses chatoyantes harmonies. Par un subtil fondu enchaîné, et par effet de contraste, lui succède ''Floating into the Sea'' – un moment d'apaisement sous-tendu par un duo mixte en voix claires, des gammes pianistiques des plus sensibles et par d'ondoyantes nappes synthétiques – que relaiera ''Truth'', une progressive et frissonnante ballade aux airs d'un slow qui emballe. Suite à ces instants ouatés, c'est sur des charbons ardents que nous projettera le grandiloquent et ''tristanien'' The Death of the
Fox », non sans laisser quelques traces dans les mémoires de ceux qui y auront plongé le tympan. Enfin, sous l'égide d'un récitatif en voix masculine, ''The
Night'' clôt le chapitre de la même manière qu'il a commencé, pianissimo, cette fois.
Malgré tant de qualités, l'essai n'ira pas sans accuser une petite baisse de régime. Ainsi, une usante répétibilité de ses schèmes d'accords et une ligne mélodique en proie à quelque linéarité empêcheront l'offensif et ténébreux « Bamborderlined » – intégralement entonné sur un mode rap growlé – de prétendre à une inconditionnelle adhésion.
Au terme d'une œuvre tantôt enjouée, tantôt frémissante, des plus sensibles mais aussi d'une puissance parfois dévastatrice, et faisant montre d'une rare intensité émotionnelle, un doux sentiment de plénitude nous étreint. Variant savamment ses phases rythmiques, ses atmosphères comme ses lignes de chant, diversifiant parallèlement ses exercices de style et témoignant d'une production d'ensemble rutilante, le luxuriant et charismatique méfait se suit de bout en bout sans encombre. D'aucuns pourront toutefois se sentir frustrés par des prises de risques réduites à néant, quand les sources d'influence, elles, ne sauraient se faire oublier ; état de fait affectant l'épaisseur artistique du projet. De persistantes carences qu'une technicité instrumentale éprouvée, des mélodies finement ciselées et volontiers immersives, et des arrangements de bon aloi pourront partiellement compenser. Aussi, le combo germanique aurait dores et déjà les cartes en main pour venir grossir les rangs des sérieux espoirs de cet environnement metal. Bref, premier élan, premiers émois et premier coup de maître insufflé par la formation teutonne...
Note : 16,5/20
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