Après la mort du Général Franco en 1975, l’Espagne a connu une phase transitoire, puis à partir des années 80 une vague de liberté inédite et sans égal en Europe, à l’origine de la mouvance Movida et de l’émergence d’une multitude de formations. Le pays sortant brutalement de l’austérité culturelle découvrait d’un seul coup un foisonnement de films, de sons, sans qu’il n’y ait plus le moindre interdit ou presque. C’est durant cette euphorie qu’est né «
Angeles Del Infierno » dans le pays-basque espagnol sous la houlette de Robert Alvarez, qui revenait alors d’un long séjour en Suisse pour son pays natal. Il avait formé en Suisse un projet qui s’appelait « The Flood » et souhaitait le réinitialiser en Espagne aux côtés du guitariste Santi Rubio à partir de 1978.Ce dernier deviendra le bassiste du groupe avec l’arrivée de nouveaux membres, dont Manu Garcia et Iñaki Munita. Ils joueront ensemble des reprises de «
Deep Purple », de Jimi Hendrix et de «
Led Zeppelin » jusqu’en 1982, où ils adoptent le nom «
Angeles Del Infierno », hommage à la célèbre bande de motards
Hell’s Angels, composent et virent vers le son dur du heavy metal. C’est également la même année qu’est recruté Juan Gallardo, celui qui allait devenir le chanteur emblématique de la bande.
Au même titre que «
Baron Rojo » et « Obus », «
Angeles Del Infierno » fait partie des pionniers et des plus fameuses formations de heavy metal espagnol. Elle jouit encore aujourd’hui d’une réputation sans pareil dans les pays hispanophones. Cette réputation, elle la doit pour la qualité de ses shows et de ses compositions. Peu avant la sortie de son premier album, «
Angeles Del Infierno » faisait déjà les premières parties d’ « AC/DC », de «
Saxon » ou de « Motörhead ». Leur rapide notoriété en Espagne, mais également au Mexique, leur fait signer chez le géant WEA Records (devenant plus tard Warner Music Group) en prévision d’un premier album. Celui-ci est enregistré sous la supervision des ingénieurs son Mark Dodson (ayant déjà travaillé à l’époque pour «
Judas Priest »), Brad Davis et Dennis Herman. Le résultat musical sera à hauteur de ce qui a été attendu de cette valeur montante, mais créé à sa sortie un sacrilège inouï dans une Espagne toute juste sortie de la chape de plomb du catholicisme intégriste. On criait alors partout dans les églises : « Ils ont fait un pacte avec le diable. Maudits soient leur nom ».
Vous chanterez, vous hurlerez ce refrain entrainant. Celui de « Maldito Sea tu Nombre » servi en entrée. Un brulot terrible, de nos jours considéré en référence ultime du heavy metal espagnol, aux riffs imparables, au rythme effréné, affirmant son gros penchant pour «
Judas Priest ». Le chant de Juan Gallardo imite quelque peu celui de Rob
Halford, notamment pour son goût des intonations aigues. On remarque qu’il lui copie le look de la casquette à visière en cuir, que Rob avait rivé sur la tête fin des années 70, début des années 80. «
Judas Priest » est résolument l’influence la plus marquante de l’album, qui se situe néanmoins à cheval entre heavy metal et hard rock, si on le prend dans sa généralité. On sent des sonorités ayant pour origine le fameux groupe de Birmingham à travers « Esclavos de la Noche », version ibérique des titres mordants figurants sur les opus « Stained Class » et « Killing
Machine ». Il en serait pratiquement de même pour « No Juegues don Fuego », dont le refrain entretient un lien filial avec celui de « Breaking the Law » issu du volume « British Steel ».
Il serait impropre et infondé de lier «
Angeles Del Infierno » qu’au seul «
Judas Priest ». Le groupe illustre des penchants multiples et variés. Dans une rythmique beaucoup moins soutenue que ses extraits priestiens, nous pourrons remarquer un heavy metal lent et pesant comme aimait à le pratiquer «
Saxon », sur « Sangre », délice de fermeté et de solennité. Dans un registre qualitatif supérieur et mémorable l’auditeur retiendra l’hymne «
Unidos por el Rock » et son refrain soulevé par un grand renfort de chœurs. Notons ici la performance magistrale du batteur Iñaki Munita qui produit un jeu minutieux et très percutant. C’est toute la vague NWOBHM auquel renvoie « El Principio del Fin ». Morceau éminemment classique dans sa forme, aux salves constantes, mais efficace lui aussi. Moins endiablé en tout cas que l’autre tube, après « Maldito Sea tu Nombre », qu’est le titre éponyme « Es un
Pacto con el Diablo », qui renferme une bonne dose rock n’roll très motivante.
« Es un
Pacto con el Diablo » est la parfaite représentation de ce ballotement entre heavy metal et hard rock, véritable marque de fabrique de ce premier album et des débuts glorieux d’«
Angeles Del Infierno » sur la scène heavy metal. Nous en avons une autre illustration avec «
Rocker » qui montre une inspiration pour un autre groupe anglais, « Motörhead, reconnaissable dans l’usage d’une rythmique massive et gondolée. Il s’agit d’une autre talentueuse performance, incorporant d’ailleurs un superbe solo. Nous retiendrons également celui, plus court, sur «
Condenados a Vivir ». Sympathique celui-là ; attractif notamment pour ses paroles et ses riffs tranchants. Ce dernier se différencie de « Sombras en la Oscuridad », pourtant toujours à la croisée entre heavy metal et hard rock. On y sent davantage de nonchalance, plus de relâchement, bien que la guitare rythmique de Manu Garcia fait preuve encore une fois d’une grande rigueur. Il faut se diriger en fait du côté de Robert Alvarez qui nous acène de véritables sorties mélodiques, démontrant ainsi sa parfaite maîtrise de l’instrument en main.
Vu d’autres pays européens comme la France, on a tendance à négliger l’impact qu’a pu réaliser «
Angeles Del Infierno » et son «
Pacto con el Diablo » daté de 1984. Du moins en Espagne et surtout en Amérique latine. L’album avait réalisé à l’époque un sacré carton. Considérée parmi les dix meilleurs productions heavy metal en langue castillane aujourd‘hui, et disque de chevet de nombreux hispanophones sur deux continents, cette œuvre, enregistrée à Ibiza aux Mediterráneo Studios, ne sera pas l’unique forfait de la bande. D’autres actes forts étaient à venir et n’ont d’ailleurs pas tardé. Le pacte n’est qu’un contrat sensé durer qu’un temps délimité, le pacte avec le diable est valable pour toute une vie. C’est avec son premier opus que l’enfer du heavy metal commence avec «
Angeles Del Infierno ».
16/20
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